Les réfugiés burundais ont fui leur pays dans la peur et la confusion. Persécutés pour leurs choix politiques et dans certains cas pour leur appartenance ethnique, beaucoup sont inquiets à l'idée d'un éventuel retour. Si quelques-uns se sont résolus à l'exil, rares sont ceux qui ont laissé derrière eux la crise qui frappe le Burundi. Certains réfugiés sont déterminés à se battre pour reconquérir la « liberté » dans leur pays, et retrouver leur place dans la société burundaise.

Jean

« Mieux vaut mal vivre que mourir ». Jean, 24 ans, ne s'habitue pas à l'attente et à l'ennui qui font son quotidien au camp de réfugiés de Mtendeli, en Tanzanie. Mais il ne voit aucune issue et a perdu foi en son pays.

Retourner au Burundi lui semble insensé. « Presque tout le monde ici pense que c'est impossible de rentrer », affirme-t-il. « Les gens qui sont encore au Burundi disent que nous sommes égoïstes. Mais eux sont avec le pouvoir ! Si tu rentres on peut directement te tuer. La disparition d'un homme, c'est devenu normal au Burundi… »

Et si le conflit se terminait ? « Est-ce que ça peut se finir ?! Je pense que la crise va continuer : les responsables du régime sont ivres de pouvoir, ils veulent seulement piller et rester aux commandes. Je ne place aucun espoir dans les pourparlers, surtout que tous [les acteurs importants] ne sont pas à la table des négociations. Mais je ne voudrais pas rentrer même s'il y avait la paix. »

Avant de fuir, Jean habitait Bujumbura et étudiait à l'université. Blessé par balles pendant les manifestations d'avril-mai 2015, sa jambe reste malade, faute de soins adaptés. Il ne se déplace qu'en béquilles. « Beaucoup d'entre nous sont handicapés depuis les violences armées ; notre vie est foutue. Nous demandons de l'aide ».

Le jeune homme doute de pouvoir réaliser son rêve de devenir enseignant. « Nous sommes encore jeunes, nous voulons continuer nos études. Mais au camp c'est impossible. » « Je suis entre les mains du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés », conclut Jean.

Charlotte

« Tout ce que je veux, c'est que ça se termine », déclare Charlotte, réfugiée depuis août 2015 au camp de Nakivale en Ouganda, où elle a donné naissance à son deuxième enfant. La jeune femme de 28 ans est sceptique quant à la possibilité d'un dénouement politique de la crise déclenchée en avril 2015.

« Il faut envisager une transition sans Nkurunziza, car c'est lui le problème. C'est ça maintenant l'enjeu, comment réussir à le neutraliser. S'il ne négocie pas, ce sera la guerre. Il faudra le virer par la force, ce sera la seule solution. » A l'issue du conflit, Charlotte préconise la reconstitution d'« une armée nationale professionnelle et unie, intégrant Hutu et Tutsi ; le désarmement de la milice Imbonerakure [la ligue des jeunes du parti au pouvoir, devenue une véritable milice] ; et la refonte de la police. » Enfin, cette jeune citoyenne insiste sur la nécessité pour son pays d'être dirigé par « un président qui n'a pas de sang sur les mains ».

Issue d'une famille proche de l'opposition, Charlotte pose une condition majeure à son retour au Burundi : le rétablissement de la sécurité. Et la jeune femme d'alerter sur le recours aux violences sexuelles comme arme de guerre à Bujumbura : « Les agresseurs disent qu'il faut que dans les quartiers contestataires, les femmes enfantent des Imbonerakure… ».

La sécurité est indissociable, selon elle, de l'établissement d'un nouveau gouvernement. D'où son refus de rentrer au Burundi tant que Nkurunziza sera président. « S'il reste, personne ne va rentrer », affirme-t-elle. Charlotte et son mari ont pourtant abandonné une vie confortable à Bujumbura. Elle était salariée d'une grande entreprise, et lui chef d'entreprise.

Natacha Songore

« La situation au Burundi est explosive », selon Natacha Songore, journaliste et réalisatrice en exil à Kigali, au Rwanda. Membre du Mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité au Burundi, cette intellectuelle a été l'une des organisatrices des manifestations contre le troisième mandat à Bujumbura. Elle a quitté le pays le 17 mai 2015.

Le discours de haine propagé par le régime, en l'absence de médias et d'organisations de la société civile indépendants, crée selon elle un « terreau fertile au développement des extrémismes meurtriers ». Elle estime que le temps joue contre la paix : les rancoeurs s'accumulent et surtout, le gouvernement tente d'étendre et d'ethniciser son pouvoir militaire. « D'une armée reposant sur un équilibre ethnique destiné à tranquilliser la population », le régime a marginalisé et éliminé des ex-membres des Forces armées du Burundi (FAB) - ancien corps de l'armée dominés par les Tutsi -, dénonce-t-elle. Par ailleurs, « des éléments de la milice Imbonerakure ont été mélangés aux corps de police ». « Tous ces changements-là font que le conflit prend une autre dimension. » « La crise risque de s'aggraver et de devenir ingérable, avec d'énormes pertes en vies humaines », prévient-elle.

Elle souligne la responsabilité des acteurs internationaux. « Tout le monde est responsable ; ça ne peut plus continuer. Tous ces mécanismes internationaux censés sauvegarder la paix, comment peuvent-ils ne pas fonctionner ? C'est une question de volonté politique. Cette crise n'est pas que burundaise, elle est aussi internationale. », analyse la journaliste. Pour que le gouvernement négocie, « il faut qu'il y soit contraint ».

« Un grand travail de lobbying est en cours mais plus de coordination est nécessaire entre les acteurs de la société civile. Au niveau international aussi il faut augmenter la pression. Actuellement le gouvernement est reconnu de fait, bien que les élections ne soient, elles, pas reconnues. »

Elle conclut en dénonçant le fait qu'« avec le temps qui passe, c'est comme si on acculait le peuple burundais à prendre ses responsabilités et à résoudre lui-même le problème… ». Pour Natacha, « à un moment donné il y aura une rupture. La résistance va s'armer pour se protéger et lutter contre l'oppression. ».

Depuis l'exil, Natacha se voit « comme une personne mise au défi avec ses amis de conquérir la liberté, la démocratie, la paix, la justice, et les amener de force dans notre pays ». « Mon avenir, c'est gagner cette lutte et rentrer au Burundi la tête haute. C'est encourageant de penser qu'un jour, on va construire quelque chose de nouveau. », déclare-t-elle. Le Rwanda postgénocide est pour elle source d'espoir et d'inspiration. Elle trouve néanmoins « difficile de se projeter ». « Je ne me voyais pas vivre à l'étranger. […] Mais il faut se rendre à l'évidence : nous sommes là pour un moment. ».

Natacha croit au redressement et au développement de son pays à moyen terme. Elle rêve d'un « Burundi progressiste mais aussi enraciné dans ses valeurs » : dignité et humanité (ubuntu en kirundi), droiture, respect de la parole donnée (umushingantahe). « Ce sont des valeurs-piliers de la cohésion sociale. » L'accord de paix d'Arusha constitue selon elle un fondement politique : « il ne faut pas y toucher. Il y a un écart énorme entre ce qu'il est réellement et la façon dont il a été mis en oeuvre. Il faudrait commencer par l'appliquer, notamment en instaurant une Commission vérité et réconciliation effective - ce qui n'était pas possible sous Pierre Nkurunziza. ». Si elle s'autorise à parler de lui au passé, c'est parce qu'elle considère qu'« il n'y a pas d'autre solution » que le départ du président. « Il a tué pour le troisième mandat. Il doit quitter le pouvoir. » Pour Natacha Songore, « le Burundi de demain doit se construire sur la lutte contre l'impunité ».

Paul

« Mon futur, je ne le vois pas. Je suis entre parenthèses. », regrette Paul, un informaticien de 30 ans réfugié en Ouganda. Il rêve d'un « pays de lait et de miel. Un beau pays avec la paix, sans rancoeur. ».

Mais le jeune homme pense que la route sera longue. Le retour à la paix passe par « le départ du président Nkurunziza », « une période de transition » puis « l'organisation d'élections ». « Même si le CNDD gagne avec un autre candidat, la paix peut revenir », selon lui. Dans un premier temps, Paul appelle « les pays limitrophes à instaurer un embargo et les grandes puissances à suspendre toute aide » au Burundi. Par la suite, « nous aurons besoin de soutien » pour mettre le pays sur la voie de la bonne gouvernance et « bien former les gens « , insiste-t-il.

« Il y a quinze ans, c'était déjà la guerre au Burundi. On ne sait pas comment faire pour s'en sortir. »

Pour Paul, le retour des réfugiés n'ira pas de soi. Il n'est pas sûr d'être un jour en sécurité au Burundi. « Il faudra donner du temps aux réfugiés après le départ du président. Un an de réflexion par exemple, car même s'il part, ceux qui travaillaient avec lui demeureront. »

Le jeune informaticien se souvient de la journée sanglante du 11 décembre 2015 dans le quartier de Nyakabiga, à Bujumbura. « Beaucoup de jeunes hommes ont été tués » par le régime. Depuis, la rancoeur ne l'a pas quitté. Il prévient : « Si ça continue ainsi, nous pourrions aussi faire des choses par colère et résister par les armes. De plus en plus de jeunes y pensent. ».

Les réfugiés burundais redoutent l'enlisement du conflit face à la dérive autoritaire du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, et à sa tentative d'ethnicisation du conflit. Les exilés politiquement actifs souhaitent contribuer à la résolution de la crise. Ils appellent les acteurs internationaux à mettre la pression sur le régime de Bujumbura afin de pousser le président au départ.

Cet engagement contraste avec le sentiment d'abattement d'autres réfugiés, notamment dans les camps. Beaucoup craignent le rapatriement au Burundi. La vie dans leur pays leur semble impossible tant que Pierre Nkurunziza reste au pouvoir, voire au-delà pour certains. Les réfugiés les plus désespérés ne croient plus en la possibilité d'une paix durable. Ils placent leurs espoirs d'une vie meilleure à l'étranger, à travers la naturalisation dans leur pays d'asile, ou une réinstallation dans un pays du Nord via le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Pour le Burundi, l'exil prolongé ainsi que les conditions de retour de cette population, parmi laquelle figurent les éléments les plus actifs et dynamiques du pays, posent à terme des problèmes économiques et sociaux majeurs.

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