Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Sénégal

Contexte politique

La réélection de M. Abdoulaye Wade à la présidence de la République dès le premier tour de l'élection présidentielle de février a dominé la vie publique en 2007 au Sénégal. Si, lors de son arrivée au pouvoir en 2000, M. Wade avait bénéficié d'un engouement populaire et d'une majorité confortable à l'Assemblée nationale grâce à la victoire de son parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS), et ses alliés aux élections législatives de 2001, la situation économique du pays et la crise politico-institutionnelle1 ont modifié la donne politique. Les élections législatives du 3 juin 2007 ont ainsi vu la victoire du parti présidentiel allié à plusieurs petits partis au sein de la Coalition Sopi, mais des signes de division sont apparus au sein du camp présidentiel et l'opposition qui s'est rassemblée dans un front uni contre un pouvoir jugé autocrate a boycotté le scrutin. Signes de crispation du pouvoir, plusieurs candidats à la présidentielle ont reçu des menaces2 et le président de l'Assemblée nationale, M. Maki Sall, a subi de fortes pressions afin qu'il démissionne à la suite d'une proposition de l'Assemblée nationale d'auditionner le président du conseil de surveillance de l'Agence nationale de l'organisation de la conférence islamique (ANOCI), qui n'est autre que le fils du Président.

Le pays a longtemps été considéré comme un exemple de démocratie en Afrique et de respect de l'indépendance des médias. Il semble pourtant que le seuil de tolérance à l'égard des formes libres d'expression, notamment celles remettant en cause le pouvoir, se soit abaissé ces dernières années et que la protection des droits fondamentaux soit en régression.

Les retards dans la mise en oeuvre de la décision de l'Union africaine donnant mandat "de faire juger, au nom de l'Afrique, Hissène Habré", ont également entamé la confiance dans la volonté réelle du Gouvernement de faire avancer ce dossier et de lutter contre l'impunité. Si, en juillet 2007, le Ministre sénégalais de la Justice a annoncé que l'ancien dictateur du Tchad serait jugé par la Cour d'assises, aucuné chéancier n'avait, fin 2007, été fixé.3 Le budget disproportionné proposé pour couvrir les frais du procès, qui devrait être en partie pris en charge par l'Union européenne, semble être une manoeuvre dilatoire pour retarder la tenue du procès. Depuis lors, deux importantes réformes judiciaires ont cependant été adoptées par l'Assemblée nationale : l'intégration en droit interne des dispositions de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 et la réforme de la Cour d'assise permettant l'effectivité du droit de recours, deux réformes réclamées depuis longtemps par les avocats et les défenseurs des droits de l'Homme.

La situation économique a également provoqué d'importantes tensions. L'année 2007 a ainsi été ponctuée de manifestations syndicales ou d'étudiants qui ont été réprimées, alimentant la crainte d'une restriction grandissante de la liberté de réunion pacifique. Par exemple, en novembre 2007, une manifestation contre la vie chère, notamment la hausse des prix des produits de première nécessité et contre la remise en cause des commerces ambulants, a été réprimée, alors que les centrales syndicales avaient obtenu l'autorisation de procéder à cette marche.

Intimidation des défenseurs et campagne de discrédit à leur encontre

Outre les visites et interrogatoires de la part de la division des investigations criminelles (DIC), que le pouvoir tente d'utiliser afin de criminaliser l'action politique et publique, les ONG n'ont eu de cesse d'être confrontées aux interventions publiques et aux mises en cause des autorités afin de discréditer leur travail. Lors d'une conférence de presse en juillet 2007 portant sur la question des migrations clandestines des Sénégalais, le Ministre de l'Intérieur, M. Ousmane Ngom, a ainsi déclaré que "les organisations des droits humains telles que la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme [RADDHO] n'ont plus de raison d'être". Le secrétaire général de cette même organisation, M. Alioune Tine, a été auditionné plusieurs fois par la police concernant des armes trouvées au siège de l'association par un policier en civil. Ces armes, déclassées et stockées au siège de l'organisation, avaient en fait été octroyées par l'état major des forces armées dans le cadre des campagnes d'incinération d'armement et de sensibilisation organisées par la RADDHO depuis 2003 pour contribuer à l'édification d'une paix durable en Casamance. Par le passé, la RADDHO avait déjà fait l'objet de graves menaces. Il semble alors que cette affaire ait été orchestrée afin de décrédibiliser son action aux yeux de l'opinion publique et entraver ses activités.

Censure de toute critique à l'égard des autorités

Depuis plusieurs années, les agents de l'État pratiquent une forme de censure à travers le blocage des ouvrages de plusieurs auteurs, journalistes et intellectuels, critiques à l'égard du régime en place. Ces ouvrages, lorsqu'ils sont publiés à l'étranger, sont retenus par la douane avant d'être retournés à l'éditeur. Les éditeurs nationaux refusent pour leur part d'imprimer ces ouvrages par crainte de représailles et notamment de harcèlement fiscal.

Il semble qu'un pas supplémentaire ait été franchi cette année. En effet, le procureur de Dakar a initié des poursuites judiciaires contre un journaliste, M. Abdoulatif Coulibaly, par rapport à son dernier ouvrage alors que les trois ouvrages précédents, tous interdits de publication, n'avaient pas donné lieu à des poursuites. L'auteur, la maison d'édition et la société de diffusion sont mis en cause pour "distribution d'ouvrages diffamatoires et injurieux" à l'égard du directeur de la loterie sénégalaise. Pourtant, ce livre, qui met en cause les relations entre le pouvoir et la loterie, a été transmis par l'auteur à la Commission nationale de lutte contre la corruption qui a demandé dans un rapport publié le 12 novembre 2007 à ce que le directeur de la loterie soit renvoyé devant la justice pour corruption.

Plusieurs journalistes ont également été arrêtés suite à des articles mettant en cause le chef de l'État ou l'armée, à l'instar de M. Pape Amadou Gaye, directeur de publication du Courrier du jour, qui a été interpellé par la DIC le 1er novembre 2007 après que son journal eut publié un article mettant en cause la responsabilité du Gouvernement pour résoudre les problèmes liés à la hausse des prix et qui estimait que l'armée était le seul pouvoir capable de contraindre les autorités à exercer leur devoir. Le 6 novembre 2007, il a été inculpé pour "offense au chef de l'État, acte de nature à porter atteinte à la sûreté de l'État, et acte de nature à entraîner la désobéissance de l'armée" et placé sous mandat de dépôt, avant d'être libéré le 8 novembre 2007. Le rôle prépondérant que semblent avoir joué le Président et le Gouvernement aussi bien dans le déclenchement des poursuites à l'encontre de ces journalistes que dans leur abandon par le parquet laisse craindre une ingérence grandissante du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires, mettant durement à l'épreuve l'indépendance de la justice sénégalaise.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Les élections législatives ont été reportées deux fois : initialement prévues en mai 2006 puis reportées pour être couplées avec l'élection présidentielle, les deux échéances électorales n'ont pu se tenir respectivement qu'en février et juin 2007.

2 Il s'agissait notamment de MM. Moustafa Niass, Amath Dansokho, Ousmane Tanor Dieng et Idirssa Seck, gravement mis en cause par le Président de la République.

3 L'ancien Président tchadien Hissène Habré est suspecté de plus de 40 000 assassinats politiques et de tortures systématiques perpétrées entre 1982 et 1990. Vivant au Sénégal, il a été inculpé suite à une plainte déposée par des victimes tchadiennes sur le fondement de la compétence universelle des tribunaux sénégalais pour crimes de torture. La Cour de cassation a d'abord déclaré les tribunaux sénégalais incompétents. Suite au mandat donné par l'Union africaine, le Sénégal a adopté une loi en février 2007 permettant aux tribunaux sénégalais de connaître des crimes les plus graves, notamment les crimes de torture, sur le fondement de la compétence universelle.

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