Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Argentine

Contexte politique

En 2007, dans un contexte d'approfondissement de la démocratie, la répression des mouvements de protestation sociale, qui ont fait suite à la crise économique de 2001, a cependant continué de s'accentuer. En effet, la grande majorité des manifestations s'est conclue par l'action répressive et disproportionnée des forces de police et/ou de sécurité. Dans de nombreux cas, on a pu observer l'utilisation d'armes à feu, le recours à la violence physique allant jusqu'à l'utilisation d'armes blanches contre les manifestants. Sont également à noter les pratiques de détention arbitraire, sans décision judiciaire préalable et le maintien en détention provisoire pour une durée excédant les délais prévus par la loi.

Par ailleurs, les avancées de 2006, à savoir les premières condamnations prononcées à l'encontre des responsables des crimes contre l'humanité commis pendant la dictature militaire (1976-1983) – après que la Cour suprême eut annulé, en 2005, les lois qui interdisaient les enquêtes et procès pour des crimes commis pendant cette période1 – et réalisées en parallèle de l'achèvement des réformes de la Cour suprême de justice de la nation, ont permis un réel déblocage de la justice s'agissant des violations des droits de l'Homme commises durant la dictature. Cependant, malgré ces avancées et face au nombre important de procès ouverts, de sérieux obstacles sont apparus, notamment pour que les responsables de ces violations passées soient jugés dans des délais raisonnables. Ainsi, sur les 222 procès ouverts depuis 2005, seules 17 condamnations étaient intervenues fin 2007.

De surcroît, M. Jorge Julio Lopez, témoin clé dans le procès de l'ancien directeur de la police de Buenos Aires, M. Miguel Etchecolatz, poursuivi pour crimes contre l'humanité commis lors de la dictature militaire, reste porté disparu depuis le 17 septembre 2006, ce qui illustre l'absence de politique adaptée pour la protection des personnes liées aux procès : familles, témoins et défenseurs des droits de l'Homme.

Menaces, agressions, effractions, intrusions : obstacles de toute nature à la lutte contre l'impunité et la corruption

Au cours de l'année 2007, un certain nombre de défenseurs des droits de l'Homme et de témoins engagés dans la lutte contre l'impunité ont été victimes de toute sorte de menaces, y compris à l'égard de leurs familles, ainsi que d'agressions verbales et physiques. Par exemple, le 9 avril 2007, M. Pablo Gabriel Salinas, avocat spécialisé dans les droits de l'Homme, a reçu une lettre anonyme de menaces et d'insultes à son encontre et celle de sa famille. M. Salinas condamne régulièrement les mauvaises conditions de détention et le recours à la torture et aux mauvais traitements dans les prisons de la province de Mendoza. Il défend également des victimes de brutalités policières, d'exécutions extrajudiciaires et d'autres violations des droits de l'Homme commises par les membres des forces de sécurité.

Ce climat d'insécurité s'est accompagné d'un certain nombre d'incidents tout aussi préoccupants, tels que l'effraction des bureaux de diverses organisations et le vol d'équipements (ordinateurs, télécopieurs, archives, etc.), dans le but de soustraire l'information dont ces organisations disposaient à propos des violations des droits de l'Homme qu'elles documentent. Ainsi, le 26 juin 2007, deux personnes armées se sont introduites dans les locaux du Comité de défense de la santé, de l'éthique professionnelle et des droits de l'Homme (Comité de Defensa de la Salud, la Ética Profesional y los Derechos Humanos – CODESEDH), à Buenos Aires. Un ordinateur contenant des preuves et des archives relatives au procès en cours contre la dictature a été volé, ainsi qu'une cassette vidéo.

Les journalistes qui dénoncent la corruption des autorités ne sont pas non plus épargnés. Ainsi, le 3 septembre 2007, M. Sergio Poma, propriétaire de la radio FM Noticias et d'une agence de presse locale, a été reconnu coupable d'"injures" envers le gouverneur de Salta (nord-ouest), qu'il avait accusé de détournement de fonds, et condamné à un an de prison. De même, la journaliste indépendante Claudia Acuña a fait l'objet d'un véritable harcèlement policier et judiciaire en juillet 2007 après avoir révélé, dans la presse et dans un livre, l'existence d'un réseau de prostitution de Buenos Aires fonctionnant à la fois sous le contrôle et la menace de certaines autorités.2

La liberté d'association mise à mal par une modification du Code pénal

En dépit des avancées positives de 2006 eu égard à l'amélioration des conditions de travail des défenseurs des droits de l'Homme, l'approbation par le Sénat de la nation, le 6 juin 2007, de la modification du Code pénal proposée par le pouvoir exécutif, qui fait référence à une catégorie d'"associations illicites" dont les caractéristiques s'appliqueraient aisément selon les besoins ou les circonstances à n'importe quelle organisation, est extrêmement préoccupante.

En effet, selon l'article 213 ter, une peine de 5 à 20 ans de réclusion serait applicable à toute personne participant à une association illicite ayant pour but, au moyen de la commission de délits, de terroriser la population ou d'obliger un Gouvernement ou une organisation internationale à entreprendre une action ou à s'en abstenir. Or, selon ce même texte, l'association illicite en question se caractériserait par le fait de disposer d'un "plan d'action destiné à la propagation de la haine ethnique, religieuse ou politique", d'être "organisée dans des réseaux opérationnels internationaux" ou de disposer "d'armes de guerre, d'explosifs, d'agents chimiques ou bactériologiques ou de tout autre moyen approprié pour mettre en danger la vie ou l'intégrité d'un nombre indéterminé de personnes". Ainsi, au sens dudit article 213 ter, il se peut que des participants à une action de contestation ou les organisateurs et leurs organisations se voient confrontés à l'avenir à des poursuites judiciaires pour actes de terrorisme.

Il est donc fortement à craindre que cette nouvelle loi ne devienne rapidement l'argument de répression principal mis en oeuvre par les forces de sécurité afin de sanctionner toute critique d'une politique gouvernementale de la part des défenseurs, et ce même si, fin 2007, elle n'avait pas encore été utilisée à l'encontre de ces derniers.

Poursuite de la criminalisation de la protestation sociale

Par ailleurs, l'année 2007 a confirmé la tendance à la criminalisation de la protestation sociale en Argentine. Environ 5 000 procès étaient ainsi en cours en 2007 à l'encontre de dirigeants de syndicats et de défenseurs de droits économiques et sociaux, comme par exemple le procès ouvert en 2007 à l'encontre de dirigeants syndicaux de l'Association des travailleurs d'État (Associacion de Trabajadores del Estado – ATE), poursuivis pour avoir organisé des manifestations en faveur des salariés et des chômeurs.

Dans certaines régions, l'usage disproportionné de la violence s'est ajouté à la criminalisation, comme le montre le meurtre par des agents de police, le 4 avril 2007, de M. Carlos Fuentealba, membre de l'Association des enseignants de Neuquén (Asociación de Trabajadores de la Educación de Neuquén – ATEN), lors d'une grève salariale à Neuquén.

D'autre part, diverses organisations ont dénoncé les tentatives d'infiltration de la part des membres de la police, des services de sécurité et du renseignement militaire lors des manifestations ou des actes de protestation, afin d'identifier les dirigeants des organisations mais aussi dans le but de provoquer des incidents susceptibles de justifier des mesures répressives et l'arrestation des militants ou des dirigeants populaires.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 La Loi du "point final" (1986) et la Loi sur le devoir d'obéissance (1987), qui exemptaient les forces de sécurité de toute poursuite judiciaire, ont été annulées en juin 2005.

2 Cf. Reporters sans frontières (RSF).

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