Cam Hoa Huynh c. Sa Majesté la Reine

Répertorié: Huynh c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Cullen-Winnipeg, 3 novembre; Ottawa, 24 novembre 1994.

Citoyenneté et Immigration - Contrôle judiciaire - Compétence de la Cour fédérale - La modification apportée à l'art. 83 de la Loi sur l'immigration transférant la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de la C.A.F. à la Section de première instance, limitant le droit d'en appeler de la Section de première instance à la C.A.F. aux cas dans lesquels le juge de première instance a certifié que l'affaire soulève une question grave de portée générale, et refusant le droit d'en appeler du refus de certifier une question ne contrevient ni à l'art. 7 ni à l'art. 15 de la Charte.

Compétence de la Cour fédérale - Section de première instance - La modification apportée à l'art. 83 de la Loi sur l'immigration transférant la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de la C.A.F. à la Section de première instance, limitant le droit d'en appeler de la Section de première instance à la C.A.F. aux cas dans lesquels le juge de première instance a certifié que l'affaire soulève une question grave de portée générale, et refusant le droit d'en appeler du refus de certifier une question ne contrevient ni à l'art. 7 ni à l'art. 15 de la Charte.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Vie, liberté et sécurité - La modification apportée à l'art. 83 de la Loi sur l'immigration transférant la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de la C.A.F. à la Section de première instance, limitant le droit d'en appeler de la Section de première instance à la C.A.F. aux cas dans lesquels le juge de première instance a certifié que l'affaire soulève une question grave de portée générale, et refusant le droit d'en appeler du refus de certifier une question ne contrevient pas à l'art. 7 de la Charte - L'exigence selon laquelle la question doit être certifiée dans le jugement n'empêche pas le requérant de savoir ce qu'il doit prouver - L'absence de contrôle des décisions de la Section de première instance par la C.A. ou par la C.S.C. ne viole pas les principes de justice fondamentale - La Section de première instance est constitutionnellement compétente pour rendre pareilles décisions - L'absence de disposition d'appel ne constitue pas une violation de la Charte en soi - Le fait que le juge dont la décision est contestée doit certifier la question ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité compte tenu du serment professionnel que le juge a prêté et de la nature de la question à certifier - Il n'existe aucun droit acquis à un appel lorsque la Loi est modifiée.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à l'égalité - La modification apportée à l'art. 83 de la Loi sur l'immigration (qui est entrée en vigueur en février 1993) transférant la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de la C.A.F. à la Section de première instance, limitant le droit d'en appeler de la Section de première instance à la C.A.F. aux cas dans lesquels le juge de première instance a certifié que l'affaire soulève une question grave de portée générale, et refusant le droit d'en appeler du refus de certifier une question ne contrevient pas à l'art. 15 de la Charte - Les droits à l'égalité reconnus au requérant ne sont pas violés, en particulier lorsque les citoyens et les non-citoyens n'ont pas le même droit de demeurer au Canada.

Interprétation des lois - Modification apportée à la Loi sur l'immigration, restreignant le droit d'en appeler des décisions de la Section de première instance à la C.A.F. aux cas dans lesquels le juge de première instance certifie l'existence d'une question de portée générale - Il a été soutenu que la modification s'appliquait rétroactivement de façon à porter atteinte au droit acquis à un appel - Il ressort clairement de l'art. 114 de la Loi modificatrice qu'on prévoyait l'application rétroactive - La présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la loi est réfutée - Absence de droit acquis, aucune demande d'autorisation n'ayant été présentée à la date de la modification.

Une demande de contrôle judiciaire du rejet, par le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement, de la demande de statut de réfugié que le requérant avait initialement présenté au début de 1992, a été rejetée, en juin 1993, par un juge de la Section de première instance, qui a refusé de certifier que l'affaire soulevait une question grave de portée générale.

 En juillet 1993, l'avis d'appel de la décision du juge de première instance que le requérant avait déposé n'a pas été accepté aux fins du dépôt.

Par une modification apportée à la Loi sur l'immigration (en particulier à l'article 83), laquelle est entrée en vigueur le 1er février 1993, la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, était transférée de la Cour d'appel fédérale à la Section de première instance. Deuxièmement, un certain nombre de modifications procédurales visaient à assurer que les demandes soient jugées sans délai. Troisièmement, le droit d'en appeler de la Section de première instance à la Cour d'appel fédérale était limité aux cas dans lesquels le juge de la Section de première instance avait certifié que l'affaire soulevait une question de portée générale. La restriction du droit d'appel était en litige en l'espèce.

Les questions suivantes ont été soumises, conformément à la Règle 474, en vue d'une décision préliminaire sur des points de droit: (1) L'article 83 de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu des faits de l'affaire? (2) L'article 83 contrevient-il à l'article 15 de la Charte, compte tenu des faits de l'affaire?

Jugement: il faudrait répondre aux deux questions par la négative.

Le requérant pouvait invoquer les droits prévus à l'article 7 et avait droit à l'application des principes de justice fondamentale lorsqu'il s'agissait de déterminer s'il était un réfugié au sens de la Convention. Cependant, l'exigence selon laquelle une question devait être certifiée ne violait pas les principes de justice fondamentale, dans le contexte de l'immigration.

Le fait qu'une question de portée générale devait être certifiée dans le jugement n'empêchait pas le requérant de savoir ce qu'il devait prouver. Au moment où le jugement a été rendu, le requérant connaissait les questions graves de portée générale qui se posaient. Pour qu'elle soit certifiée, la question doit se poser dans le contexte des procédures engagées devant la Cour; elle ne doit pas uniquement être fondée sur une question de fait, mais elle doit soulever un point de droit; et elle doit soulever des questions de droit de portée générale qui n'ont pas déjà été tranchées dans des décisions de la Cour fédérale. Compte tenu de la Loi sur l'immigration et de la jurisprudence, le requérant savait ce qu'il devait prouver devant le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement et à l'égard de sa demande de contrôle judiciaire; il connaissait les faits de l'affaire; il connaissait les arguments juridiques sur lesquels il s'était fondé et il connaissait les critères juridiques pertinents que la Cour avait énoncés en interprétant la Loi sur l'immigration. Le requérant devait donc savoir si l'affaire pouvait soulever une question grave de portée générale.

L'article 83 nie le droit d'en appeler du refus du juge de la Section de première instance de certifier une question, mais cela ne constitue pas une violation des principes de justice fondamentale. La restriction du pouvoir qu'ont les clauses privatives d'empêcher le contrôle judiciaire s'applique aux tribunaux et autres organismes administratifs. Elle ne s'applique pas aux cours supérieures. La Section de première instance de la Cour fédérale est une cour supérieure et son interprétation de la Charte n'est pas assujettie à un contrôle à moins que la loi que le juge de la Section de première instance interprète ne comprenne une disposition prévoyant un contrôle ou un appel. Aucune disposition de la Loi sur l'immigration ne prévoyait un appel. Le fait qu'il n'existait aucune disposition prévoyant un appel ne constituait pas une violation de la Charte.

Le fait qu'il incombait au juge dont la décision était contestée de certifier une question ne donnait pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Tous les juges de la Cour fédérale sont liés par le serment professionnel qu'ils prêtent, selon lequel ils doivent exercer fidèlement leurs fonctions judiciaires, et ce serment est suffisant pour rejeter toute idée selon laquelle les juges pourraient refuser de certifier une question de façon à protéger leurs décisions contre un appel. En outre, la question certifiée doit trancher l'affaire particulière, mais elle ne porte pas sur celle-ci. Indépendamment de l'issue de l'affaire, le juge de la Section de première instance doit déterminer s'il existe une question qui dépasse les intérêts des parties et englobe des questions de portée générale.

Le requérant a soutenu que lui refuser le droit d'appel voudrait dire que la modification apportée à la Loi sur l'immigration s'appliquait rétroactivement et portait atteinte à son droit acquis à un appel. Toutefois, il ressortait clairement du libellé de l'article 114 de la Loi modificatrice que le législateur voulait que les modifications s'appliquent rétroactivement. La présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la loi était donc écartée. Le requérant n'avait pas non plus de droit acquis à un appel au moment où la Loi sur l'immigration a été modifiée: ce jour-là, il était possible qu'il fasse appel à un moment donné dans l'avenir, mais cette possibilité était à peine définie, puisqu'il n'avait même pas encore présenté de demande d'autorisation.

Aucun des droits à l'égalité reconnus au requérant n'avait été violé. Un principe fondamental du droit de l'immigration est que les non-citoyens n'ont pas le droit absolu d'entrer au pays et d'y demeurer. Un traitement différent pour les citoyens et pour les non-citoyens, en ce qui concerne le droit de demeurer au Canada, ne portait pas atteinte à l'égalité. Quoi qu'il en soit, le requérant n'avait pas prouvé que ses droits à l'égalité avaient été violés.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 6, 7, 15.

Criminal Appeal Act 1968 (U.K.), 1968, ch. 19, art. 33(2).

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43.

Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 114.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 9, 16(4), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 28(1).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 83 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337(2), 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14).

jurisprudence

décisions appliquées:

Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154; (1991), 84 D.L.R. (4th) 161; 67 C.C.C. (3d) 193; 38 C.P.R. (3d) 451; 8 C.R. (4th) 145; 7 C.R.R. (2d) 36; 130 N.R. 1; 49 O.A.C. 161; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] F.C.J. No. 1637 (C.A.) (QL); Popov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 75 F.T.R. 93; 24 Imm. L.R. (2d) 242 (C.F. 1re inst.); R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764; (1989), 49 C.C.C. (3d) 453; 70 C.R. (3d) 383; 41 C.R.R. 39; 96 N.R. 391; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; Hodson c. Canada (1987), 46 D.L.R. (4th) 342; 88 DTC 6001 (C.A.F.); Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401; Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413; 57 D.L.R. 648; [1921] 1 W.W.R. 1154; Xu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 79 F.T.R. 107 (C.F. 1re inst.); Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] 2 All E.R. 721 (P.C.); R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; (1990), 73 D.L.R. (4th) 686; 43 C.P.C. (2d) 165; 112 N.R. 362; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; [1989] 6 W.W.R. 351; (1989), 61 Man. R. (2d) 270.

distinction faite avec:

Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC 14,069; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 50 Admin. L.R. 1; 36 C.C.E.L. 117; 91 CLLC 14,023; 4 C.R.R. (2d) 12; 126 N.R. 1.

décisions citées:

Boateng et autre c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 65 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.); Larue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] F.C.J. No. 484 (1re inst.) (QL); Baldizon-Ortegaray c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 64 F.T.R. 190; 20 Imm. L.R. (2d) 307 (C.F. 1re inst.); Bhuiyan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 77 F.T.R. 286 (C.F. 1re inst.); Huynh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 65 F.T.R. 11; 21 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed., Toronto: Butterworths, 1994.

Therrien, Daniel. "The Current System", in Law Society of Upper Canada. Department of Continuing Legal Education. Understanding the New Immigration Act: How Bill C-86 Rewrites the Law. Law Society of Upper Canada, January 15, 1993.

REQUÊTE présentée conformément à la Règle 474 en vue d'une décision préliminaire sur les points de droit ci-après énoncés: (1) L'article 83 de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 7 de la Charte, compte tenu des faits de l'affaire? (2) L'article 83 contrevient-il à l'article 15 de la Charte, compte tenu des faits de l'affaire? On a répondu aux deux questions par la négative.

avocats:

David Matas pour le requérant.

Gerald L. Chartier pour l'intimée.

procureurs:

David Matas, Winnipeg, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Cullen:

Il s'agit d'une requête qui a été présentée pour le compte du requérant, conformément à la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/79-57, art. 14)], en vue d'une décision préliminaire sur des points de droit. Le juge Rothstein a ordonné qu'il soit statué sur les questions ci-après énoncées:

(1)  L'article 83 de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73)] contrevient-il à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] compte tenu des faits de l'affaire?

(2)  L'article 83 de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu des faits de l'affaire?

LES FAITS

Les parties devaient déposer un exposé conjoint des faits.

Le requérant, Cam Hoa Huynh, est un citoyen vietnamien; il habite Winnipeg (Manitoba). Phuong Hue Huynh a parrainé ses parents et son frère, le requérant, pour qu'ils entrent au Canada à titre d'immigrants ayant reçu le droit d'établissement. Le 13 juin 1991, un bureau canadien des visas a délivré un visa au requérant pour qu'il entre au Canada à titre de parent. Le requérant est arrivé à Vancouver le 8 octobre 1991. Un agent principal a refusé d'accorder au requérant le droit d'établissement pour le motif qu'il n'était pas un parent, puisqu'il était à la charge du requérant principal, à savoir son père. Un agent d'immigration a demandé au requérant de se présenter à une enquête, le 18 octobre 1991, étant donné que, au moment de l'interrogatoire, celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences légales.

Lors d'une enquête qui a eu lieu le 11 mars et le 25 mai 1992, le requérant a revendiqué le statut de réfugié. Un tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement a conclu que la revendication du requérant n'avait pas de minimum de fondement. L'arbitre a pris une mesure d'exclusion contre le requérant. Le requérant a interjeté appel de la mesure d'exclusion devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cet appel est en instance.

Le requérant a également sollicité au moyen d'une demande de prorogation de délai et d'une demande d'autorisation, le contrôle judiciaire de la décision que le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement avait rendue. Le 11 février 1993, le juge Reed a prorogé le délai et accordé l'autorisation. L'audience relative au contrôle judiciaire devait avoir lieu le 27 avril 1993.

La demande de contrôle judiciaire a subséquemment été ajournée; elle a été entendue par le juge Rothstein le 25 mai 1993. Après avoir entendu les plaidoiries, le juge Rothstein a mis l'affaire en délibéré. La Cour a rendu jugement le 24 juin 1993 [(1993), 65 F.T.R. 11] et la demande de contrôle judiciaire a été rejetée. La Cour a refusé de certifier les questions que l'avocat du requérant avait soumises.

Le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée, est entré en vigueur le 1er février 1993. Auparavant, la personne dont la demande de contrôle judiciaire avait été rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale pouvait interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale, et ce, de plein droit. Le 20 juillet 1993, l'avocat du requérant a déposé un avis d'appel de la décision que le juge Rothstein avait rendue le 24 juin 1993. Le 23 juillet 1993, le juge en chef de la Cour fédérale a statué que l'avis d'appel ne pouvait pas être accepté aux fins du dépôt. La directive disait qu'il incombait à l'avocat du requérant d'exercer les recours appropriés.

HISTORIQUE LÉGISLATIF ET DISPOSITIONS LÉGALES

 Trois modifications importantes apportées à la Loi sur l'immigration sont entrées en vigueur le 1er février 1993[1]. Premièrement, la compétence exclusive, aux fins du contrôle judiciaire des décisions rendues par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), était transférée de la Cour d'appel fédérale à la Section de première instance. Deuxièmement, un certain nombre de modifications procédurales visaient à assurer que les demandes soient jugées sans délai. Troisièmement, le droit d'en appeler de la Section de première instance à la Cour d'appel fédérale était limité aux cas dans lesquels le juge de la Section de première instance avait certifié que l'affaire soulevait une question grave de portée générale. Le litige porte sur la restriction du droit d'appel.

Pour plus de clarté, je citerai la disposition contestée de la Loi sur l'immigration:

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application-règlements ou règles-ne peut être porté en appel devant la Cour d'appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

De plus, le paragraphe 83(4) prévoit ceci:

(4)     Il est entendu que le refus par la Section de première instance de certifier dans son jugement qu'une affaire soulève une question grave de portée générale et d'énoncer celle-ci ne constitue pas un jugement susceptible d'appel.

POSITION DU REQUÉRANT

Les arguments du requérant seront examinés plus à fond sous la rubrique Analyse. Toutefois, je les résumerai brièvement.

Le requérant soutient que le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration viole l'article 7 de la Charte. Le requérant a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; le mot «chacun» s'applique à lui. L'exigence selon laquelle une question doit être certifiée équivaut à une atteinte à son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, ce qui n'est pas en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les principes de justice fondamentale sont violés de quatre façons. Premièrement, étant donné que la question doit être certifiée dans le jugement, le requérant ne peut pas savoir ce qu'il doit prouver. Il se peut que la question à certifier ne devienne claire qu'à la lecture des motifs du jugement. Deuxièmement, l'exigence relative à la certification constitue une clause privative irrégulière puisque le juge de la Section de première instance peut protéger sa décision contre un contrôle, et ce, pour n'importe quel motif. Troisièmement, étant donné que le juge qui se prononce sur le contrôle judiciaire décide également si une question doit être certifiée, il statue essentiellement sur l'appel de sa propre décision. Cela donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Quatrièmement, l'exigence relative à la certification s'applique rétroactivement et abolit le droit d'appel que le requérant a acquis.

Au cours de la plaidoirie, le requérant a soulevé une cinquième question: même s'il n'existe aucun droit constitutionnel d'appel, si la loi prévoit un appel, la procédure à suivre doit être conforme à la Charte.

Le requérant soutient également que l'exigence relative à la certification constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par l'article 15 de la Charte. Ses droits à l'égalité sont violés en ce sens que la loi établit, entre le requérant et d'autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. La distinction fondée sur des caractéristiques personnelles est visée par les motifs énumérés à l'article 15 ou par des motifs analogues. Elle équivaut à de la discrimination.

POSITION DE L'INTIMÉE

Comme c'est le cas pour les arguments du requérant, les arguments de l'intimée seront examinés plus à fond sous la rubrique Analyse, mais je les résumerai brièvement ici.

En premier lieu, l'intimée soutient que tout examen de la question de la violation doit être fondé sur le fait que les étrangers ne bénéficient pas des mêmes droits et de la même protection que les citoyens canadiens et les personnes qui ont une résidence permanente au Canada. En common law, les étrangers n'avaient pas de droits et ce n'est qu'au moyen d'une loi que des droits restreints sont conférés au requérant.

L'intimée soutient que l'exigence relative à la certification ne viole par les principes de justice fondamentale. Il est de droit constant que la Charte canadienne des droits et libertés ne prévoit pas de droit d'appel. En outre, l'article 7 de la Charte ne permet pas au requérant de se prévaloir des procédures les plus favorables qui soient. Enfin, la revendication d'un droit d'appel acquis a déjà été jugée invalide par la Section de première instance dans une situation fort similaire.

En ce qui concerne l'article 15 de la Charte, l'intimée soutient que le requérant n'a pas démontré que ses droits à l'égalité avaient été violés. En outre, les droits à l'égalité d'un non-citoyen ne peuvent pas légitimement être comparés à ceux d'un citoyen.

L'intimée n'a pas avancé d'argument à l'égard de l'article premier de la Charte.

ANALYSE: ARTICLE 7 DE LA CHARTE

L'article 7 de la Charte dit ceci:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Selon la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour doit procéder en trois étapes pour trancher la question qui se pose en l'espèce. Premièrement, il faut déterminer si les demandeurs de statut qui se trouvent au Canada ont droit à la protection de l'article 7 de la Charte. Deuxièmement, la Cour doit se demander si les dispositions législatives contestées, soit en l'espèce l'exigence selon laquelle une question doit être certifiée pour qu'un appel puisse être formé devant la Cour d'appel, nient les droits conférés au demandeur de statut par l'article 7. Troisièmement, il faut décider si les restrictions imposées à l'égard des droits du requérant sont justifiées au sens de l'article premier de la Charte.

Dans l'arrêt Singh, précité, à la page 202, le juge Wilson a dit que le mot «chacun» englobe «tout être humain qui se trouve au Canada et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne». Dans l'arrêt Singh, précité, les demandeurs de statut pouvaient se réclamer de la protection de l'article 7. En l'espèce, il est clair que le requérant pourrait également invoquer les droits prévus à l'article 7.

Depuis la décision rendue dans l'affaire Singh, précitée, il n'est pas contesté que les demandeurs de statut ont droit à l'application des principes de justice fondamentale lorsqu'il s'agit de déterminer s'ils sont des réfugiés au sens de la Convention. Comme le juge Wilson l'a dit, aux pages 208 et 212:

On doit reconnaître qu'à ce stade les appelants ne peuvent pas invoquer des droits de réfugié au sens de la Convention; ils prétendent avoir droit à l'application des principes de justice fondamentale lorsqu'il s'agit de reconnaître s'ils sont des réfugiés au sens de la Convention.

. . .

En résumé, je suis d'avis que les droits que cherchent à faire valoir les appelants leur permettent de bénéficier de la protection de l'art. 7 de la Charte.

La Cour doit ensuite déterminer si la procédure énoncée dans la disposition contestée de la Loi sur l'immigration porte atteinte aux principes de justice fondamentale. Dans l'arrêt Singh, précité, le juge Wilson a dit ceci, aux pages 212 et 213:

Tous les avocats s'entendent pour dire que la notion de «justice fondamentale» qui figure à l'art. 7 de la Charte englobe au moins la notion d'équité en matière de procédure énoncée par le juge en chef Fauteux dans l'arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917. Celui-ci affirme, à la page 923:

En vertu de l'art. 2e) de la Déclaration des droits, aucune loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer de manière à le priver d'une «audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale». Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l'ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu'il doit donner à l'accusé l'occasion d'exposer adéquatement sa cause.

La procédure d'arbitrage des revendications du statut de réfugié énoncée dans la Loi satisfait-elle à ce critère d'équité en matière de procédure? Offre-t-elle à la personne qui revendique le statut de réfugié une possibilité suffisante d'exposer sa cause et de savoir ce qu'elle doit prouver? Il semble que ce soit là la question à laquelle nous devons répondre . . .

Toutefois, les exigences relatives à l'application des principes de justice fondamentale varient selon la nature de la décision qui est rendue. Dans l'arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, à la page 226, le juge Cory a dit ceci:

Il est désormais clair que la Charte doit être interprétée en fonction du contexte dans lequel une revendication prend naissance. Le contexte est important à la fois pour délimiter la signification et la portée des droits garantis par la Charte et pour déterminer l'équilibre qu'il faut établir entre les droits individuels et les intérêts de la société.

Dans le contexte de l'immigration, ce point a été réitéré dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. À la page 733, voici ce que le juge Sopinka a conclu:

Donc, pour déterminer la portée des principes de justice fondamentale en tant qu'ils s'appliquent en l'espèce, la Cour doit tenir compte des principes et des politiques qui sous-tendent le droit de l'immigration. Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer.

En l'espèce, il s'agit essentiellement de savoir si la certification d'une question viole les principes de justice fondamentale dans le contexte de l'immigration. De prime abord, je souscris à l'avis du requérant que, si la loi prévoit un appel, la procédure à suivre doit être conforme à la Charte. Par conséquent, en l'espèce, je me demanderai si la procédure ou les exigences imposées par le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration violent l'article 7 de la Charte. Le requérant soutient que l'exigence assujettissant le droit d'appel à la certification d'une question par le juge de la Section de première instance enfreint les principes de justice fondamentale, et ce, pour quatre raisons.

(1)       L'article 83 de la Loi sur l'immigration viole le droit de savoir ce qu'on doit prouver:

Le requérant soutient qu'étant donné que la question doit être certifiée «dans [le] jugement», il devient impossible pour les parties de présenter des observations sur la question à certifier après avoir pris connaissance du jugement. Il se peut que la détermination de la question de savoir si une question doit être certifiée ne devienne évidente qu'après le prononcé des motifs du jugement. Le requérant soutient que, au moment où la question à certifier est soumise, il ne sait pas ce qu'il doit prouver. Cela constitue une violation de la règle audi alteram partem ainsi que d'un principe de justice fondamentale.

Il est de droit constant que les personnes concernées devraient avoir la possibilité d'exposer leur cause. Dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), à la page 19, lord Denning a dit ceci:

[traduction] La règle fondamentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou des sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours ou de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature des allégations formulées contre elle et lui donner une possibilité raisonnable d'y répondre.

Bref, on dit que tous les preneurs de décisions sont tenus d'observer les règles de la justice naturelle et d'accorder à une partie le droit d'être entendue. De même, le droit d'être entendu implique également l'obligation de fournir aux parties des renseignements au sujet des arguments et de la preuve qui sont présentés, de façon qu'elles puissent vraiment participer aux prises de décisions.

L'exigence selon laquelle une question de portée générale doit être certifiée dans le jugement empêche-t-elle le requérant de savoir ce qu'il doit prouver? Je ne le crois pas. Au moment où le jugement a été rendu, le requérant connaissait les questions graves de portée générale qui se posaient.

La procédure que suivent les juges individuels de la Section de première instance dans la salle d'audience, lorsqu'ils décident s'ils doivent certifier une question, n'est peut-être pas uniforme, mais des normes générales ont été énoncées au sujet du genre de questions qui doivent être certifiées. Récemment, dans l'arrêt de la Cour d'appel Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [[1994] F.C.J. No. 1637 (QL)], le juge Décary, J.C.A., a précisé la nature des questions à certifier:

Lorsqu'il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d'avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (voir l'excellente analyse de la notion d'«importance» qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al. (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l'Ont.)) et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel. Le processus de certification qui est visé à l'article 83 de la Loi sur l'immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d'obtenir, de la Cour d'appel, des jugements déclaratoires à l'égard de questions subtiles qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

Dans un certain nombre de décisions, la Section de première instance a également examiné la nature des questions à certifier: Boateng et autre c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 65 F.T.R. 81; Larue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [[1993] F.C.J. No. 484 (QL)]; Baldizon-Ortegaray c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 64 F.T.R. 190; Bhuiyan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 77 F.T.R. 286.

En résumé, il semble que, pour qu'elle soit certifiée, la question doit se poser dans le contexte des procédures engagées devant la Cour; elle ne doit pas être uniquement fondée sur une question de fait, mais elle doit soulever un point de droit; et elle doit soulever des questions de droit de portée générale qui n'ont pas déjà été tranchées par la Cour fédérale. Une question certifiée ne se rapporte pas à l'affaire qui est entendue; elle vise à clarifier un point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé.

Lorsque le jugement est rendu oralement, le requérant sait clairement ce qu'il doit prouver. Dans l'arrêt Popov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 75 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), le juge Reed a conclu [à la page 95] que l'expression «dans son jugement» devait être interprétée comme se rapportant uniquement au jugement consigné par écrit, conformément à la Règle 337(2) des Règles de la Cour fédérale. Lorsque le juge de la Section de première instance prononce son ordonnance oralement, les parties peuvent encore présenter des arguments au sujet d'une question à certifier.

Toutefois, même dans les cas où le juge de première instance met l'affaire en délibéré et où un jugement n'est rendu par écrit qu'après l'audience, comme en l'espèce, le requérant sait ce qu'il doit prouver. Avant l'audience relative au contrôle judiciaire, la revendication du requérant a été examinée par le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement. La Loi sur l'immigration énonce les critères que le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement utilise en arrivant à sa décision. À ce stade de la procédure, le requérant savait ce qu'il devait prouver. Au stade de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, le requérant connaissait les motifs pour lesquels l'affaire pouvait être examinée. Il n'est pas allégué que le requérant ne savait pas ce qu'il devait prouver à ce stade. Au moment où le jugement a été rendu, le requérant connaissait les faits de l'affaire. Il connaissait les arguments juridiques sur lesquels il s'était fondé. Il connaissait les critères juridiques pertinents que la Cour avait énoncés en interprétant la Loi sur l'immigration. Étant donné que la certification d'une question ne doit pas dépendre des faits précis ou du règlement de sa propre cause, le requérant devait également savoir si l'affaire pouvait soulever une question grave de portée générale.

Au moment où le jugement a été rendu, le requérant savait que des questions graves de portée générale pouvaient se poser. Il savait ce qu'il devait prouver et, cela étant, il n'a pas été privé de l'application des principes de justice fondamentale.

(2)       L'article 83 de la Loi sur l'immigration constitue une clause privative:

Le requérant soutient que les tribunaux ont refusé d'appliquer des clauses privatives lorsque la décision rendue par le Tribunal portait sur une question constitutionnelle. En soustrayant possiblement au contrôle de la Cour d'appel fédérale ou de la Cour suprême du Canada les décisions dans lesquelles la Section de première instance de la Cour fédérale interprète la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 83 de la Loi sur l'immigration viole la Charte.

Je conviens que la décision qu'un tribunal rend sur une question juridictionnelle ou constitutionnelle ne peut pas être soustraite au contrôle judiciaire, mais l'argument du requérant, si on l'applique à la Cour fédérale, est gravement défectueux.

L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4], confère à la Section de première instance un pouvoir de contrôle judiciaire sur la plupart des offices fédéraux. Il est bien établi qu'une clause privative, si elle est formulée de la façon appropriée, peut effectivement empêcher l'interprétation judiciaire de questions de droit et d'autres questions non juridictionnelles. Toutefois, aucune clause privative ne peut empêcher le contrôle de la décision d'un tribunal par une cour supérieure lorsqu'une erreur juridictionnelle a été commise ou en ce qui concerne une question d'interprétation constitutionnelle. Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412, aux pages 441 et 442, le juge Beetz a dit ceci:

Or une fois qu'une question est qualifiée de question de compétence et a fait l'objet d'une décision par un tribunal administratif, la cour supérieure chargée d'exercer le pouvoir de contrôle et de surveillance sur ce tribunal ne peut, sans refuser elle-même d'exercer sa propre compétence, s'abstenir de statuer sur l'exactitude de cette décision ou statuer sur elle au moyen d'un critère approximatif.

C'est pourquoi les cours supérieures qui exercent le pouvoir de révision judiciaire n'utilisent pas et ne peuvent utiliser le critère de l'erreur manifestement déraisonnable une fois qu'elles ont qualifié une erreur d'erreur juridictionnelle.

De même, les tribunaux administratifs ne peuvent s'attendre à aucune retenue judiciaire lorsqu'ils rendent des décisions constitutionnelles: voir Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22.

Toutefois, la restriction du pouvoir qu'ont les clauses privatives d'empêcher le contrôle judiciaire s'applique uniquement aux tribunaux ou autres organismes administratifs. Ces restrictions ne s'appliquent pas aux cours supérieures elles-mêmes. Or, la Section de première instance de la Cour fédérale est clairement une cour supérieure et son interprétation de la Charte n'est pas assujettie à un contrôle à moins que la loi que le juge de la Section de première instance interprète ne comprenne une disposition prévoyant un contrôle ou un appel. Aucune disposition de la Loi sur l'immigration ne prévoit un appel. De plus, le fait qu'il n'existe aucune disposition prévoyant un appel ne constitue pas une violation de la Charte. Dans l'arrêt R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, à la page 1773, le juge McIntyre a dit ceci:

L'argument à l'appui de ce moyen porte simplement que les droits protégés ou garantis par la Charte sont d'une importance telle qu'on devrait pouvoir interjeter appel lorsqu'une réparation prévue dans la Charte est refusée en première instance. En bref, on fait valoir que la Charte rend obligatoire un droit d'appel contre toute procédure judiciaire en première instance.

En common law, les appels n'existaient pas. Tous les appels sont une création de la loi écrite . . . Donc, si ce droit précis existe, il doit se trouver dans la Charte. La Cour doit alors répondre à la question suivante: En raison de l'importance des droits qu'elle protège, la Charte donne-t-elle un droit d'appel contre le rejet d'une demande de révision de type Wilson, alors que ni le Code criminel ni aucune autre disposition législative n'en prévoient? . . .

Je dirais au départ qu'à mon avis la Charte ne prévoit pas ce genre d'appel.

Je ne crois pas que le fait d'empêcher le contrôle des décisions de la Section de première instance par la Cour d'appel ou par la Cour suprême du Canada constitue une violation des principes de justice fondamentale. La Section de première instance est constitutionnellement compétente pour rendre pareilles décisions. En outre, l'absence d'une disposition prévoyant un appel ne constitue pas en soi une violation de la Charte.

(3)       L'article 83 de la Loi sur l'immigration donne lieu à une crainte raisonnable de partialité:

Le requérant admet qu'il n'existe aucun droit constitutionnel à un appel. Toutefois, il soutient qu'il y a une différence entre l'inexistence d'un droit d'appel et un appel qui n'est possible qu'avec l'assentiment du juge même dont le jugement fait l'objet de l'appel envisagé. Selon le requérant, cela donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Le pouvoir de certifier une question découlant d'un jugement que le juge de la Section de première instance a lui-même rendu s'apparente au pouvoir d'entendre en appel une affaire qu'il a déjà jugée puisque lui seul décide s'il y aura un appel.

Le critère qui s'applique lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité dans les circonstances d'une affaire particulière a été énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394. Ce critère est ainsi formulé:

. . . à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le Tribunal, en l'espèce] consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

Il n'est pas nécessaire de conclure à l'existence d'une partialité réelle. C'est plutôt l'impression de partialité qui rend nulle la décision.

La loi dit clairement que le juge ne peut pas entendre en appel une affaire qu'il a lui-même tranchée en première instance. Le paragraphe 16(4) de la Loi sur la Cour fédérale dit qu'«un juge ne peut entendre en appel une affaire qu'il a déjà jugée». Une disposition similaire figure dans la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, paragraphe 28(1), et dans les lois habilitantes s'appliquant aux cours provinciales.

Le fait que le juge de la Section de première instance qui rend jugement décide également s'il y aura appel de sa propre décision satisfait-il au critère de la partialité ? Une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait-elle que le juge de la Section de première instance ne rendrait peut-être pas une décision juste au sujet de la question de la certification? Je ne puis souscrire à l'avis du requérant, lorsqu'il dit que l'exigence énoncée au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

Le fait qu'une question doit être certifiée pour qu'il soit possible d'interjeter appel n'est pas sans précédent dans les autres ressorts de common law[2]. En Angleterre, il n'existe, au criminel, aucun appel devant la Chambre des lords à moins que la Cour d'appel ne certifie qu'un [traduction] «point de droit de portée générale est soulevé»: voir le paragraphe 33(2) de la Criminal Appeal Act 1968 [(R.-U.), 1968, ch. 19]. En Floride, un appel contre une décision d'une cour d'appel de district devant la cour suprême de l'État ne peut être interjeté que si la cour de district certifie que l'affaire soulève une question d'une [traduction] «grande importance pour le public» ou que la décision qu'elle a rendue est [traduction] «directement en conflit avec la décision d'une autre cour d'appel de district»: section 3(b)(4) de l'article V de la Florida Constitution.

À mon avis, l'exigence relative à la certification ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, en vertu de l'article 9 de la Loi sur la Cour fédérale, les juges prêtent un serment professionnel:

9. (1)  Préalablement à leur entrée en fonctions, les juges jurent d'exercer les attributions qui leur sont dévolues, consciencieusement, fidèlement et le mieux possible.

Un juge de cette Cour est lié par le serment. Il se peut qu'il n'aime pas voir ses décisions infirmées en appel, mais toute déception personnelle est surmontée par la promesse solennelle qu'il fait d'exercer fidèlement ses fonctions judiciaires. La question de la partialité a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Hodson c. Canada (1987), 46 D.L.R. (4th) 342 (C.A.F.). La Cour d'appel a fortement condamné l'allégation selon laquelle les juges qui ont déjà travaillé pour l'État font preuve de partialité en faveur de celui-ci. Tous les juges sont liés par l'article 9 de la Loi sur la Cour fédérale et, à mon avis, ce serment est suffisant pour rejeter toute idée selon laquelle un juge refuserait simplement de certifier une question parce qu'il veut protéger son jugement contre un appel.

En second lieu, la crainte raisonnable de partialité ne découle pas de la nature de la question à certifier. La question certifiée doit trancher l'affaire particulière, mais elle ne porte pas sur celle-ci. La question doit viser à clarifier un point de droit de portée générale qui n'est pas réglé. L'exigence relative à la certification est, dans un sens, distincte du règlement de l'affaire. Indépendamment de l'issue réelle de l'affaire, le juge de la Section de première instance doit déterminer s'il existe une question qui dépasse les intérêts des parties directement concernées par le litige et englobe des questions de portée générale. Certifier une question n'équivaut pas à entendre un appel d'une décision que le juge a rendue en première instance; tout appel serait entendu par des juges de la Cour d'appel. Le juge de la Section de première instance délimite simplement les questions qui peuvent être portées en appel.

L'exigence selon laquelle le juge de la Section de première instance doit certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité et ne constitue pas une violation des principes de justice fondamentale.

(4)       L'article 83 de la Loi sur l'immigration porte atteinte à un droit acquis:

En vertu de l'article 114 [Dispositions transitoires] de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, tous les appels, en matière d'immigration, y compris les appels devant la Cour d'appel dont la date d'audition n'avait pas été fixée, sont réputés être des demandes de contrôle judiciaire présentées devant la Section de première instance en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 114 de la Loi modificatrice dit ceci:

114.    Les demandes d'autorisation relatives à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire et les demandes d'autorisation d'appel visées aux articles 82.1, 82.3 et 83 de la Loi sur l'immigration, dans leur version à la date d'entrée en vigueur de l'article 73 de la présente loi, formées mais à l'égard desquelles aucun jugement n'a encore été rendu à cette date, sont transférées à la Section de première instance de la Cour fédérale et il en est décidé par celle-ci conformément aux articles 82.1 à 84 de la Loi sur l'immigration, dans leur version édictée par l'article 73 de la présente loi, les demandes d'autorisation d'appel étant réputées être des demandes d'autorisation relatives à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

Le requérant soutient que son droit d'appel a été acquis le jour où il a d'abord demandé le statut de réfugié, soit le 11 mars 1992, date à laquelle l'enquête a commencé. Ce jour-là, le requérant avait un droit d'appel. Toutefois, les dispositions édictées par la Loi modificatrice ont supprimé son droit d'appel. Le requérant soutient que les dispositions touchent au fond et se fonde sur les présomptions de common law voulant qu'une disposition législative de fond ne puisse pas s'appliquer rétroactivement et qu'on ne puisse pas porter atteinte aux droits acquis. L'intimée maintient que les dispositions produisent leur effet dans l'avenir. Subsidiairement, le libellé de la Loi, qui est clair, réfute toute atteinte aux droits acquis. L'intimée soutient que les présomptions à l'encontre de la rétroactivité ne s'appliquent pas.

Les arguments du requérant, en ce qui concerne l'application rétroactive et les droits d'appel acquis, ne sont pas fondés.

Il existe une présomption de common law selon laquelle la loi ne peut pas s'appliquer rétro- activement. Une disposition rétroactive est [traduction] «une disposition qui s'applique à des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi»: Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 513. Dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 279, le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit ceci:

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.

Toutefois, la présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la loi peut être écartée si la loi le décrète expressément ou si elle exige implicitement une telle interprétation: Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413, à la page 419.

Il n'est pas contesté que l'article 114 de la Loi modificatrice visait des dossiers se rapportant à des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la Loi; de même, il n'est pas contesté que la cause du requérant faisait partie des dossiers visés. Toutefois, il ressort également clairement du libellé de l'article 114 que le législateur voulait que les modifications s'appliquent rétroactivement. Dans l'arrêt Xu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 79 F.T.R. 107 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a examiné la question de l'application rétroactive de cette disposition de la Loi modificatrice. Il a dit ceci [à la page 110]: «À mon avis, toute présomption en common law de respect des droits acquis et de non-rétroactivité de la loi trouve sa réponse en l'espèce dans le langage clair et non équivoque de la Loi». Par conséquent, le libellé exprès et clair de l'article 114 de la Loi modificatrice écarte la présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la loi.

En plus de la présomption à l'encontre de l'application rétroactive de la loi, il est présumé que celle-ci ne vise pas à porter atteinte aux droits acquis. L'article 43 de la Loi d'interprétation. L.R.C. (1985), ch. I-21, codifie la présomption de common law:

43.     L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence:

. . .

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé.

Par conséquent, les textes législatifs devraient être interprétés de façon à respecter, si possible, les droits acquis. S'il existe une ambiguïté, la loi devrait être interprétée de façon à respecter ces droits. En outre, il existe une présomption voulant que le texte législatif ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que le législateur n'ait clairement manifesté l'intention contraire. De fait, dans l'arrêt Gustavson, précité, à la page 282, le juge Dickson a confirmé la chose:

Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation: Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board, [1933] R.C.S. 629, à la page 638.

Il s'agit donc de savoir si, le 1er février 1993, le requérant avait un droit «acquis». À la page 531, le professeur Sullivan dit que [traduction] «dans chaque cas la cour doit décider si, au moment de l'abrogation, le droit revendiqué par la personne concernée en vertu de la loi était suffisamment défini et établi, et s'il lui était suffisamment reconnu, pour être considéré comme un droit acquis».

Dans l'arrêt Gustavson, précité, à la page 283, le juge Dickson a examiné les critères permettant de reconnaître l'existence de droits acquis:

Le simple droit de se prévaloir d'un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d'entre eux à la date de l'abrogation d'une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis: Abbott v. Minister of Lands, [1895] A.C. 425, à la p. 431; Western Leaseholds Ltd. v. Minister of National Revenue, [1961] C.T.C. 490 (Exch.); Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] 2 All E.R. 721 (P.C.).

Dans l'arrêt Ho Po Sang, qui est cité dans le passage de l'arrêt Gustavson, précité, le Comité judiciaire du Conseil privé a distingué un [traduction] «droit acquis» d'[traduction] «un simple espoir ou [d']une simple attente».

Le 1er février 1993, le requérant en l'espèce avait revendiqué le statut de réfugié, et sa demande avait été rejetée par le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement. Le requérant n'avait pas encore sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision. Ce jour-là, il était possible qu'il fasse appel à un moment donné dans l'avenir, mais cette possibilité était à peine définie, puisqu'il n'avait même pas encore présenté de demande d'autorisation. Aucune décision n'avait été rendue dans le dossier; aucune date d'audience n'avait été fixée. Il m'est difficile de voir comment pareil état amorphe-la possibilité de se prévaloir d'un appel à un moment donné dans l'avenir-puisse être interprété comme étant «acquis». Par conséquent, j'estime que le requérant n'avait pas de droit acquis à un appel au moment où la Loi sur l'immigration a été modifiée.

En résumé, à mon avis, les droits reconnus aux requérants par l'article 7 de la Charte n'ont aucunement été niés ou violés. Le requérant savait ce qu'il devait prouver; la Section de première instance avait compétence pour se prononcer; il n'existait pas de crainte raisonnable de partialité; il n'y avait pas eu atteinte aux droits acquis du requérant. L'article 83 de la Loi sur l'immigration ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. J'examinerai maintenant les arguments se rapportant à l'article 15 de la Charte.

ANALYSE: LE PARAGRAPHE 15(1) DE LA CHARTE

Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi libellé:

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Dans l'arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, la Cour suprême du Canada a résumé le cadre fondamental d'analyse des plaintes fondées sur le paragraphe 15(1). Voici ce qu'a dit le juge en chef Lamer, à la page 992:

La cour doit d'abord déterminer si le plaignant a démontré que l'un des quatre droits fondamentaux à l'égalité a été violé (i.e. l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d'autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une «discrimination». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres. De plus, pour déterminer s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s'assurer que la plainte correspond à l'objectif général de l'art. 15, c'est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Par conséquent, il faut d'abord déterminer si le requérant s'est vu refuser l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi ou le même bénéfice de la loi. Il faut déterminer si l'article 83 de la Loi sur l'immigration fait intentionnellement ou d'autre façon, entre le requérant et d'autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles.

Le requérant soutient que l'article 83 de la Loi sur l'immigration ne s'applique essentiellement qu'aux non-citoyens. Dans la plupart des cas, un citoyen canadien ne serait pas en cause dans une affaire où l'article 83 de la Loi sur l'immigration serait invoqué. La disposition contestée, par son effet, établit une distinction entre les non-citoyens et les citoyens. De même, les autres plaideurs devant la Cour fédérale sont assujettis à l'exigence relative à la certification.

Je ne puis voir comment l'un des droits à l'égalité reconnus au requérant a été violé. Un principe fondamental du droit de l'immigration est que les non-citoyens n'ont pas le droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. De fait, la distinction entre les citoyens et les non-citoyens est reconnue à l'article 6 de la Charte. Si les résidents permanents jouissent, aux termes du paragraphe 6(2), du droit de se déplacer dans tout le pays ainsi que d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens se voient conférer, au paragraphe 6(1), le droit «de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir». Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême du Canada a affirmé qu'un traitement différent pour les citoyens et pour les non-citoyens, en ce qui concerne le droit de demeurer au Canada, ne porte pas atteinte à l'égalité. À la page 736, le juge Sopinka a dit ceci:

Comme je l'ai déjà indiqué, l'art. 6 de la Charte prévoit expressément un traitement différent à cet égard pour les citoyens et les résidents permanents. Si les résidents permanents jouissent aux termes du par. 6(2) de certains droits à la liberté de circulation, seuls les citoyens se voient conférer au par. 6(1) le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. Ne constitue donc pas une discrimination interdite par l'art. 15 un régime d'expulsion qui s'applique aux résidents permanents, mais non aux citoyens.

En outre, le requérant n'a pas prouvé d'une façon appropriée que les droits à l'égalité que la Charte lui reconnaît avaient été violés. Dans l'arrêt Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1099, la Cour suprême du Canada a exigé l'existence d'un fondement factuel adéquat avant d'examiner une loi en regard des dispositions de la Charte, surtout lorsque, comme c'est le cas, en l'espèce, le litige porte sur les effets de la loi contestée. Dans l'arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361 et 362, le juge Cory a dit ceci:

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. . . . Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

En résumé, je ne puis voir comment l'article 83 de la Loi sur l'immigration porte atteinte aux droits du requérant à l'égalité devant la loi, à l'égalité dans la loi, à la même protection de la loi et au même bénéfice de la loi, en particulier lorsque les citoyens et les non-citoyens n'ont pas le même droit de demeurer au Canada.

CONCLUSION

En l'espèce, j'ai examiné les questions ci-après énoncées:

(1)     L'article 83 de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu des faits de l'affaire?

(2)     L'article 83 de la Loi sur l'immigration contrevient-il à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu des faits de l'affaire?

J'ai examiné les arguments que les deux parties ont présentés, tant oralement que par écrit, et je réponds aux deux questions par la négative.



[1] Les modifications ont été effectuées au moyen de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49.

[2] Daniel Therrien, «The Current System» (Law Society of Upper Canada, Department of Continuing Legal Education, séminaire du 15 janvier 1993, Understanding the New Immigration Act: How Bill C-86 Rewrites the Law).

Disclaimer:

This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.