Kumba Jekula c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Répertorié: Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans-Toronto, 18 septembre; Ottawa, 20 octobre 1998.

Droit administratif - Contrôle judiciaire - Un agent d'immigration principal (l'agent principal) a décidé, en application de l'art. 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration, que la demanderesse n'était pas recevable à revendiquer le statut de réfugiée au sens de la Convention par ce motif qu'elle s'était déjà fait reconnaître ce statut en Sierra Leone - Avant l'entrevue, il lui a fait savoir que la présence d'un avocat ne serait pas nécessaire - À l'arrivée de la deman­deresse, il a essayé en vain d'appeler l'avocat de cette dernière - L'entrevue a eu lieu sans avocat - Il y a manquement à l'obligation d'équité lorsque l'autorité compétente refuse injustement de permettre à l'intéressé d'être assisté d'avocat à l'audience - Cette obligation n'est normalement pas une obligation positive faite à l'autorité administrative d'informer l'intéressé qu'il peut se faire assister d'un avocat - L'avis de l'agent principal ne peut être qualifié de propos trompeurs, iniques ou erronés sur le plan juridique - Il n'a rejeté aucune demande de représentation par avocat, parce que la demanderesse n'a jamais dit que c'était ce qu'elle voulait - Le guide de l'immigration recommande d'autoriser la présence d'un conseil à la condition que celui-ci soit prêt et immédiatement disponible - L'agent principal n'a pas manqué aux règles de procédure fixées par le guide, puisqu'il n'y a pas eu de demande de représentation par avocat - Le guide n'impose pas aux agents principaux d'informer les demandeurs qu'ils peuvent se faire assister d'un avocat - Le fait que l'agent principal a essayé d'appeler l'avocat ne signifie pas non plus qu'il était tenu de s'assurer que celui-ci serait présent - Question certifiée: la décision portant que la revendication faite par la demanderesse du statut de réfugiée était irrecevable a-t-elle été prise en violation de l'obligation d'équité, en ce que l'agent principal a interrogé la demanderesse en l'absence de son avocat, alors que celui-ci aurait pu y assister si l'agent principal n'avait pas informé celle-ci que sa présence n'était pas nécessaire?

Droit constitutionnel - Charte des droits - Vie, liberté et sécurité - Un agent d'immigration principal (l'agent principal) a conclu, en application de l'art. 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration, que la demanderesse n'était pas recevable à revendiquer le statut de réfugiée au sens de la Convention par ce motif qu'elle s'était déjà fait reconnaître ce statut en Sierra Leone; il a pris une mesure d'exclusion à son égard - Le fait que la demanderesse n'était pas assistée d'un avocat lors de l'entrevue ne vaut pas violation de l'art. 7 de la Charte - Le droit de saisir la section du statut n'est pas compris dans le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne - La demanderesse ne peut être légalement renvoyée hors du Canada sans une appréciation des risques auxquels elle peut s'exposer une fois de retour en Sierra Leone - Cette appréciation doit se faire conformément aux principes de justice fondamentale - Le fait que la mesure d'exclusion est un pas important dans le processus qui pourrait aboutir au renvoi d'une personne hors du Canada ne suffit pas pour déclencher l'application de l'art. 7 de la Charte à l'exercice du pouvoir de prendre cette mesure, même dans le cas où l'intéressé excipe d'un risque sérieux de mort, de violence physique ou de détention s'il est renvoyé dans un pays donné - Les art. 53 et 114(2) de la Loi sur l'immigration prévoient l'appréciation des risques que court l'intéressé avant que la mesure d'exclusion ne soit exécutée.

Citoyenneté et Immigration - Pratique en matière d'immigration - Un agent principal a conclu, en application de l'art. 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration, que la demanderesse n'était pas recevable à revendiquer le statut de réfugiée au sens de la Convention par ce motif qu'elle s'était déjà fait reconnaître ce statut en Sierra Leone - La demanderesse n'avait en sa possession qu'une carte d'identité de réfugié délivrée par ce dernier pays - Un agent principal peut normalement présumer que la preuve qu'un pays a accordé l'asile politique représente aussi l'autorisation d'y revenir - S'il est saisi de la preuve que le pays d'asile ne permettra pas au demandeur de revenir, il ne pourra conclure que la revendication est irrecevable par application de l'art. 46.01(1)a) qu'une fois raisonnablement convaincu que le demandeur pourra y revenir - Rien ne prouve que la demanderesse ne pourra pas revenir en Sierra Leone où elle a vécu pendant sept ans - Les mots «peut être renvoyé» ne signifient pas que l'agent principal soit tenu d'examiner si le demandeur craint avec raison d'être persécuté dans le pays d'asile - L'abrogation en 1993 de la disposition portant expressément sur cette situation signifie qu'il ne faut pas la réincorporer implicitement dans le texte - Faire à l'agent principal obligation d'examiner si un demandeur satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention serait incompatible avec le processus expéditif prévu dans ce régime légal pour écarter certaines revendications irrecevables par la section du statut - D'autres dispositions, c.-à-d. l'art. 53, assurent la protection des personnes qui ont besoin de la protection du Canada parce qu'elles craignent d'être persécutées dans le pays d'asile - Question certifiée: l'agent principal a-t-il commis une erreur de droit en concluant, en application de l'art. 46.01(1)a), que la demanderesse «peut être renvoyée» dans le pays où, selon la preuve documentaire produite, elle s'était vu reconnaître le statut de réfugiée, bien qu'il n'y eût aucun titre de voyage prouvant qu'elle avait le droit de demeurer ou de revenir dans ce pays, ni la preuve qu'elle n'y serait pas admise?

Citoyenneté et Immigration - Exclusion et renvoi - Personnes non admissibles - Avant l'entrevue, l'agent principal a fait savoir qu'il ne serait pas nécessaire pour la demanderesse de se faire accompagner d'un avocat - À l'arrivée de la demanderesse, il a essayé en vain d'appeler l'avocat de cette dernière - L'entrevue a eu lieu sans avocat - L'agent principal a pris une ordonnance d'exclusion contre la demanderesse, par ce motif qu'elle n'avait aucun des titres de voyage normalement requis de ceux qui veulent entrer au Canada - Vu les limites très étroites des points à décider, vu le pouvoir discrétionnaire que l'agent principal tient de l'art. 23(4) pour prendre une ordonnance d'expulsion contre toute personne non admissible, et vu le caractère sommaire et expéditif du processus prévu par la loi, la demanderesse n'a pas automatiquement droit à l'assistance d'un avocat alors que l'agent est investi du pouvoir discrétionnaire de la permettre ou non - L'agent n'est nullement tenu d'informer un demandeur qu'il a intérêt à se faire assister d'un avocat et, faute de demande à cet effet, l'agent principal n'a pas refusé à la demanderesse d'être assistée d'avocat à l'entrevue - Dans ce contexte, il était raisonnable de sa part de décider de ne pas ajourner l'entrevue - Question certifiée: la mesure d'exclusion a-t-elle été prise en violation de l'obligation d'équité, en ce que l'agent principal a interrogé la demanderesse en l'absence de son avocat, alors que celui-ci aurait pu y assister si le premier n'avait pas informé la demanderesse que la présence d'un avocat n'était pas nécessaire?

Recours en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle un agent d'immigration principal (l'agent principal) a conclu que la revendication faite par la demanderesse du statut de réfugiée au sens de la Convention n'était pas recevable par la section du statut de réfugié, et contre la mesure d'exclusion subséquente. La demanderesse, citoyenne du Liberia, a quitté son pays en 1990 à cause de la guerre civile et a gagné la Sierra Leone, où elle s'est vu reconnaître le statut de réfugiée et a vécu pendant six ans dans un camp de réfugiés. Après une attaque contre le camp, elle est partie pour la capitale Freetown, où les Libériens étaient en proie à une certaine hostilité. Après avoir été violée par un soldat, elle est partie en 1997 pour le Canada où elle a revendiqué le statut de réfugiée. En octobre, elle a été convoquée à une entrevue avec un agent principal après que celui-ci eut reçu un rapport établi en application de l'alinéa 20(1)a). Cette disposition prévoit que l'agent d'immigration qui pense qu'une personne n'est pas admissible au Canada doit signaler son cas à un agent principal. Avant l'entrevue, l'assistant social chargé du dossier de la demanderesse a demandé si elle avait besoin d'un avocat à ses côtés. L'agent principal a répondu que ce ne serait pas nécessaire. À l'arrivée de la demanderesse, ce dernier a appelé l'avocat de celle-ci mais n'a pu le rejoindre. L'entrevue a eu lieu sans avocat. L'agent principal a conclu que par application de l'alinéa 46.01(1)a), la demanderesse n'était pas recevable à revendiquer le statut de réfugiée au Canada, par ce motif qu'elle s'était déjà vu reconnaître pareil statut en Sierra Leone, lequel pays, dit-il après consultation d'un supérieur, n'est pas touché par le moratoire sur les renvois. Le paragraphe 46.01(1) prévoit que la revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays dans lequel il peut être renvoyé.

Le seul document en la possession de la demanderesse était une carte d'identité de réfugié délivrée par le gouvernement de la Sierra Leone. Il y est indiqué que la carte était délivrée en application de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés. L'agent principal a pris une ordonnance d'exclusion contre la demanderesse, par ce motif qu'elle n'avait aucun des titres de voyage normalement requis de ceux qui veulent entrer au Canada. Le paragraphe 23(4) autorise à prendre les mesures d'exclusion contre les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada.

Il échet d'examiner: 1) si l'agent principal a manqué à l'obligation d'équité de la common law ou à l'observation de l'article 7 de la Charte, du fait que la demanderesse n'était pas assistée d'un avocat à l'entrevue; 2) s'il a commis une erreur de droit en concluant que la Sierra Leone était un pays où elle pouvait «être renvoyée» par application de l'alinéa 46.01(1)a), bien qu'elle n'eût en sa possession aucun document prouvant qu'elle avait le droit de revenir dans ce pays, cependant qu'il ne cherchait pas à savoir quel y était son statut légal; et 3) si l'ordonnance d'exclusion était invalide du fait que la demanderesse n'était pas assistée d'avocat lorsque l'agent principal l'interrogeait avant de prendre cette ordonnance.

Jugement: Il faut débouter la demanderesse de son recours.

1)

a) Il y a manquement à l'obligation d'équité lorsque l'autorité compétente refuse injustement de permettre à l'intéressé d'être assisté d'avocat à l'audience. Cette obligation n'est normalement pas une obligation positive faite à l'autorité administrative d'informer l'intéressé qu'il peut se faire assister d'un avocat, et encore moins d'opiner qu'il est dans l'intérêt de ce dernier de se prévaloir de cette possibilité. Dans certains cas, l'équité pourrait imposer une obligation positive aux autorités, mais en l'espèce, la demanderesse avait l'aide d'un assistant social, lequel a accepté l'avis de l'agent principal sans juger nécessaire de s'informer davantage et de consulter l'avocat de la demanderesse. Rien dans cet avis ne peut être qualifié de refus de représentation par avocat, ou de propos trompeurs, iniques ou erronés sur le plan juridique. L'agent principal n'a rejeté aucune demande de représentation par avocat, parce que la demanderesse n'a jamais dit que c'était ce qu'elle voulait. Le guide de l'immigration recommande d'autoriser la présence d'un conseil lors de l'entrevue avec un agent principal, à la condition que le conseil soit prêt et immédiatement disponible. On pourrait dire que le guide va plus loin pour ce qui est de permettre la présence d'un avocat que ne l'exige l'obligation d'équité de la common law, puisque celle-ci peut investir l'agent d'un pouvoir discrétionnaire plus étendu pour refuser cette présence, que ne semble l'indiquer le guide. Ce que faisait l'agent principal ne valait pas manquement aux règles de procédure fixées par le guide, puisque l'assistance d'un avocat n'a été demandée ni par la demanderesse ni par quelqu'un d'autre agissant pour son compte. Le guide n'impose pas aux agents principaux d'informer les demandeurs qu'ils peuvent se faire assister d'un avocat à l'entrevue s'ils le veulent. Le fait que l'agent principal a essayé de communiquer avec l'avocat concerné ne signifie pas non plus qu'il était tenu de s'assurer que celui-ci serait présent. S'il était habilité à procéder à l'interrogatoire sans la présence d'un avocat, il serait certainement déraisonnable d'annuler sa décision pour cause d'iniquité procédurale du seul fait que, ayant peut-être le guide à l'esprit, il avait été assez consciencieux pour chercher à savoir si l'avocat de la demanderesse était disponible. Puisque ni la demanderesse ni quiconque agit pour son compte n'a demandé l'assistance d'un avocat, on ne peut pas dire qu'elle s'est vu dénier cette assistance contrairement à l'obligation d'équité.

b) Une décision rendue en application de l'alinéa 46.01(1)a) n'a pas pour effet de porter atteinte au droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. En premier lieu, le droit de saisir la section du statut n'est pas compris dans «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne». En second lieu, il peut y avoir atteinte aux droits protégés par l'article 7 si le gouvernement renvoie une non-citoyenne dans un pays où elle craint d'être probablement violentée ou emprisonnée. Cependant, la demanderesse ne peut être légalement renvoyée hors du Canada sans une appréciation des risques auxquels elle peut s'exposer une fois de retour en Sierra Leone. Et les modalités de cette appréciation doivent être conformes aux principes de justice fondamentale.

2) Un agent principal peut normalement présumer que la preuve qu'un pays a reconnu le statut de réfugié au demandeur représente aussi l'autorisation pour celui-ci d'y revenir. Mais s'il est saisi de la preuve que, pour une raison quel­conque, les autorités de l'immigration du pays d'asile ne permettront pas au demandeur de revenir, il lui faudra pousser ses investigations plus loin, et il ne pourra conclure que la revendication est irrecevable par application de l'alinéa 46.01(1)a) qu'une fois raisonnablement convaincu que ce demandeur pourra revenir dans le pays d'asile. Rien ne prouve que la demanderesse ne pourra pas revenir en Sierra Leone. La carte d'identité de réfugié est la preuve de son statut de réfugiée dans ce pays où elle a vécu sept ans à titre de résidente permanente. En conséquence, l'agent principal était raisonnablement fondé à croire qu'elle peut y être renvoyée.

Il se pose la question de savoir si une personne «peut être renvoyée» dans un pays qui lui a accordé l'asile alors qu'elle craint avec raison d'y être persécutée pour l'une des raisons prévues par la loi. Les mots «peut être renvoyé» ne signifient pas que l'agent principal soit tenu d'examiner si le demandeur craint avec raison d'être persécuté dans le pays d'asile. L'abrogation en 1993 de la disposition portant expressément sur cette situation signifie qu'il ne faut pas la réincorporer implicitement dans le texte à travers les mots «peut être renvoyé» figurant à l'alinéa 46.01(1)a). Faire à l'agent principal obligation d'examiner si un demandeur satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention serait incompatible avec le processus expéditif prévu dans ce régime légal pour écarter certaines revendications irrecevables par la section du statut. Cela ne veut pas dire que la Loi n'accorde aucune protection aux personnes qui ont besoin de la protection du Canada parce qu'elles craignent d'être persécutées dans le pays qui leur a accordé le droit d'asile. Le paragraphe 53(1) interdit expressément que les personnes dont la revendication a été jugée irrecevable soient renvoyées dans le pays où leur vie ou leur liberté seraient menacées pour l'une des raisons prévues dans la Convention.

3) Vu les limites très étroites des points à décider, vu le pouvoir discrétionnaire à exercer par l'agent principal en application du paragraphe 23(4) qui autorise à prendre une ordonnance d'expulsion contre quiconque n'est pas admissible au Canada, et vu le caractère sommaire et expéditif du processus prévu par la loi (par opposition à l'enquête menée par un arbitre), la demanderesse n'a pas automatiquement droit à l'assistance d'un avocat, mais l'agent est investi du pouvoir discrétionnaire de la permettre ou non. Cependant, cet agent n'est nullement tenu d'informer un demandeur qu'il a intérêt à se faire assister d'un avocat et, faute de demande à cet effet, l'agent principal n'a pas refusé à la demanderesse de se faire assister d'un avocat à l'entrevue. Dans ce contexte, il était raisonnable de sa part de décider de ne pas ajourner l'entrevue.

Le fait que la mesure d'exclusion est un pas important dans le processus qui pourrait aboutir au renvoi de l'intéressé hors du Canada ne suffit pas pour déclencher l'application de l'article 7 de la Charte à l'exercice du pouvoir de prendre cette mesure, même dans le cas où l'intéressé excipe d'un risque sérieux de mort, de violence physique ou de détention s'il est renvoyé dans un pays donné. L'article 53 et le paragraphe 114(2), qui investit le ministre d'un large pouvoir discrétionnaire pour admettre des gens pour des raisons d'ordre humanitaire, prévoient l'appréciation des risques que court l'intéressé avant que la mesure d'exclusion ne soit exécutée.

Les questions suivantes sont certifiées: 1) la décision par laquelle l'agent principal concluait que la revendication faite par la demanderesse du statut de réfugié était irrecevable et l'excluait de l'admission au Canada, a-t-elle été prise en violation de l'obligation d'équité, en ce qu'il a interrogé la demanderesse en l'absence de son avocat, alors que celui-ci aurait pu y assister si l'agent principal n'avait pas informé la demanderesse, par l'intermédiaire de l'assistant social de cette dernière, que la présence d'un avocat n'était pas nécessaire? et 2) l'agent principal a-t-il commis une erreur de droit en concluant, en application de l'alinéa 46.01(1)a), que la demanderesse «peut être renvoyée» dans le pays où, selon la preuve documentaire qu'elle a produite, elle s'était vu reconnaître le statut de réfugié, bien qu'il n'y eût aucun titre de voyage prouvant qu'elle avait le droit de demeurer ou de revenir dans ce pays, ni la preuve qu'en fait, elle n'y serait pas admise?

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 28.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 20(1)a), 23(4) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 3), 29(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 18), 30 (mod., idem, art. 19), 46.01a) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36), (2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36), 53(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15 art. 12), 69(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59), 69.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60), 83(1) (mod., idem, art. 73), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Règles de la section d'arbitrage, DORS/93-47.

Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45.

jurisprudence

décision appliquée:

Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 252; (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 38 (1re inst.).

 décisions examinées:

Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; (1993), 101 D.L.R. (4th) 654; 10 Admin. L.R. (2d) 1; 20 C.R. (4th) 34; 14 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (2d) 245; 150 N.R. 241; Nayci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 105 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.); Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696; (1993), 100 D.L.R. (4th) 151; 14 C.R.R. (2d) 146; 18 Imm. L.R. (2d) 165; 151 N.R. 69 (C.A.); Boun-Leua c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 259; (1980), 113 D.L.R. (3d) 414; 36 N.R. 431 (C.A.).

décisions citées:

Cooper v. Wandsworth Board of Works (1863), 14 C.B. (N.S.) 180; 143 E.R. 414; Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.).

doctrine

Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada. Toronto: Canvasback Publishing, 1998.

Canada. Citoyenneté et Immigration. Guide de l'immigration: points d'entrée. Ottawa: Citoyenneté et Immigration Canada.

RECOURS en contrôle judiciaire contre la décision d'un agent d'immigration principal portant que la revendication du statut de réfugié de la demanderesse était irrecevable, et contre la mesure d'exclusion subséquente. Demande rejetée.

ont comparu:

Osborne G. Barnwell pour la demanderesse.

Andrea Horton pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Ferguson, Barnwell, North York (Ontario), pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans: La demanderesse Mme Jekula agit en contrôle judiciaire contre deux décisions étroitement liées d'un agent d'immigration principal, M. Snow. Dans la première de ces décisions (IMM‑4466-97), M. Snow a conclu que sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention n'était pas recevable par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section du statut). La seconde (IMM‑4468-97) qui faisait suite à la première, était une ordonnance d'exclusion. Bien qu'ils n'aient pas été formellement confondus, les deux recours ont été entendus ensemble et, puisque les faits de la cause sont les mêmes, il convient de les juger par les mêmes motifs.

A.        Les faits de la cause

La demanderesse, citoyenne du Libéria, a gagné la Sierra Leone en 1990 pour fuir la guerre civile qui ravageait son pays à l'époque. Son mari avait été tué sous ses yeux par les troupes rebelles. En Sierra Leone, elle s'est vu reconnaître le statut de réfugiée et a vécu pendant six ans dans un camp de réfugiés. Cependant, après que des maraudeurs sierra-léonais eurent attaqué les réfugiés dans le camp, elle est partie avec ses enfants pour la capitale Freetown, où elle s'est aperçue que les Libériens étaient en butte à une certaine hostilité parce qu'on les tenait pour responsables de la propagation des troubles civils en Sierra Leone. Après qu'elle eut été violée par un soldat et aussi en raison de l'intensification de la guerre civile, la demanderesse, une de ses filles et d'autres membres de la famille ont quitté Freetown pour le Canada en août 1997.

À son arrivée à l'aéroport international Pearson, elle a dit à l'agent d'immigration de service qu'elle fuyait la guerre civile en Sierra Leone et revendiquait le statut de réfugié. L'agent lui a donné à remplir la formule réglementaire, Imm. 5389, Renseignements sur l'admissibilité au Canada et la revendication du statut de réfugié. Comme elle avait du mal à la remplir correctement, elle a été dirigée sur l'African Training and Employment Centre pour assistance. En octobre 1997, elle a été convoquée à une entrevue avec un agent d'immigration principal à l'aéroport, M. Snow, après que celui-ci eut reçu un rapport établi, en application de l'alinéa 20(1)a) [de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2], par un agent d'immigration qui jugeait qu'elle n'était pas admissible au Canada. Avant qu'elle ne se rendît au rendez-vous, son assistant social, M. Edwards, a demandé à M. Snow si elle avait besoin d'un avocat à ses côtés pendant l'entrevue; celui-ci lui a répondu que ce ne serait pas nécessaire.

À l'arrivée de la demanderesse, M. Snow a appelé M. Kabateraine, l'avocat recommandé pour Mme Jekula par l'African Training and Employment Centre. Selon la demanderesse, M. Snow semblait préoccupé quand il ne put rejoindre l'avocat, puis il lui a dit qu'il ne pouvait plus attendre. L'entrevue a donc eu lieu sans avocat. Se fondant sur l'alinéa 46.01(1)a) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, M. Snow a conclu que la demanderesse n'était pas recevable à revendiquer le statut de réfugié au Canada, par ce motif qu'elle s'était déjà vu reconnaître pareil statut en Sierra Leone, lequel pays, dit-il après consultation d'un supérieur, n'est pas touché par le moratoire sur les renvois.

Le seul document en la possession de Mme Jekula était une carte d'identité de réfugié délivrée par le gouvernement de la Sierra Leone. Il y est indiqué que la carte était [traduction] «délivrée en application de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés». La carte porte aussi l'emblème de la Société de la Croix-Rouge et le nom du camp de réfugiés où elle avait vécu.

Mme Jekula était évidemment surprise par la décision de M. Snow, puisque d'autres membres de sa famille, qui étaient arrivés à l'aéroport à une date différente, avaient été jugés recevables à revendiquer le statut de réfugié. Une explication possible de cette contradiction manifeste est qu'à la différence de Mme Jekula, ils revendiquaient la protection non seulement à l'égard du Libéria, mais aussi à l'égard de la Sierra Leone, du fait de la guerre civile qui y sévissait. Sur réception du rapport établi, en application de l'alinéa 20(1)a) de la Loi sur l'immigration, par un agent d'immigration qui y concluait qu'il serait contraire à la Loi ou aux règlements pris pour son application d'admettre la demanderesse, M. Snow a pris une ordonnance d'exclusion contre cette dernière, par ce motif qu'elle n'avait aucun des titres de voyage normalement requis de ceux qui veulent entrer au Canada.

B.        Les textes applicables

Le paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l'immigration habilite M. Snow à décider si la revendication de la demanderesse était recevable. En voici les passages applicables:

46.01 (1)   La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes:

a) il s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays dans lequel il peut être renvoyé;

Le paragraphe 23(4) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 3] autorise à prendre les mesures d'exclusion contre les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada:

23. [. . .]

(4)    Sous réserve de l'article 28, l'agent principal prend une mesure d'exclusion à l'encontre de la personne qui fait l'objet du rapport ou l'autorise à quitter le Canada sans délai s'il est convaincu:

a)   qu'elle appartient aux catégories non admissibles suivantes ou à l'une d'entre elles:

[. . .]

(ii)   la catégorie non admissible aux termes de l'alinéa 19(2)d) parce qu'elle ne détient pas, selon le cas, un passeport, un visa ou une autorisation d'étudier ou d'occuper un emploi au Canada en cours de validité, sauf si le droit d'établissement lui a été octroyé et qu'elle n'a pas, par la suite, fait l'objet d'une mesure de renvoi;

L'article 28, qui n'a pas application en l'espèce, prévoit qu'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle sera prise contre la personne dont la revendication du statut de réfugié a été jugée recevable. L'alinéa 20(1)a) prévoit que l'agent d'immigration qui pense qu'une personne n'est ou ne serait pas admissible au Canada doit signaler son cas à un agent principal.

Pour saisir toutes ces dispositions en contexte, il faut noter aussi que l'article 53 prévoit un surcroît de protection contre le renvoi de personnes non reconnues au Canada vers un pays où elles pourraient être victimes de persécution. Voici le paragraphe 53(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 12] qui est applicable en l'espèce:

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politi­ques, sauf si, selon le cas: [. . .]

Afin de ne négliger aucun élément d'analyse, il y a lieu aussi de noter que le paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi investit le ministre d'un large pouvoir discrétionnaire pour accorder l'admission «pour des raisons d'ordre humanitaire». Si la demanderesse estime qu'elle risque la persécution pour l'une des raisons reconnues par la loi, ou pour toute autre raison, elle peut encore invoquer cette disposition.

C.        Les points litigieux

Son mémoire couvrait de nombreux points mais à l'audience, l'avocat de la demanderesse a été en mesure d'en réduire le nombre à trois, surtout parce qu'il a consenti à ce que le défendeur ajoute à la dernière minute au dossier du tribunal une copie du rapport établi par un agent d'immigration en application du paragraphe 20(1) au sujet de Mme Jekula, lequel rapport était à la disposition de M. Snow lors de son entrevue avec cette dernière. Voici les points à trancher en l'espèce:

1. M. Snow, agent principal, a-t-il manqué à l'obligation d'équité de la common law ou à l'observation de l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], du fait que la demanderesse n'était pas assistée d'un avocat à l'entrevue à l'issue de laquelle il a conclu, en application de l'alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration, que sa revendication n'était pas recevable par la section du statut?

2. M. Snow, agent principal, a-t-il commis une erreur de droit en concluant que la Sierra Leone, qui avait reconnu à la demanderesse le statut de réfugiée, était un pays où elle pouvait «être renvoyée» par application de l'alinéa 46.01(1)a), bien qu'elle n'eût en sa possession ni visa ni autre document prouvant qu'elle avait le droit de revenir dans ce pays, cependant qu'il ne cherchait pas à savoir quel y était son statut légal?

3. L'ordonnance d'exclusion prise par M. Snow, agent principal, contre la demanderesse était-elle invalide du fait que cette dernière n'était pas assistée d'avocat lorsqu'il l'interrogeait avant de prendre cette ordonnance?

D.        Analyse

1.         Le droit à l'assistance d'un avocat

a)         l'obligation d'équité de la common law

La Loi sur l'immigration est muette quant à la procédure que doit observer un agent principal avant de décider si une revendication est recevable par la section du statut. Par contre, elle prévoit le droit pour le demandeur d'être entendu et de se faire assister par un avocat lors de l'enquête tenue par un arbitre pour décider s'il y a lieu à ordonnance d'expulsion (paragraphe 29(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 18], article 30 [mod., idem, art. 19] de la Loi; Règles de la section d'arbitrage, DORS/93-47) et devant la section du statut lorsqu'elle examine la revendication (paragraphe 69(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59], article 69.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60] de la Loi; Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45).

 Dans le cas où la loi ne fixe aucun droit en matière de procédure, [traduction] «la justice de la common law suppléera à l'omission du législateur» (Cooper v. Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414, motifs prononcés par le juge Byles, à la page 420). De nos jours, cette omission est comblée par l'obligation d'équité imposée à tout organisme public «qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne» (Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653, motifs prononcés par le juge Le Dain).

Il semble clair que l'obligation d'équité s'attache à l'exercice par les agents d'immigration principaux de leur pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des revendications du statut de réfugié, et je ne comprends pas que l'avocate représentant le ministre ait soutenu le contraire. Une décision défavorable de l'agent principal dénie à l'intéressé d'importants droits, tant au fond que sur le plan procédural, droits dont jouissent les demandeurs dont la revendication est soumise à la Commission. Cette décision a encore pour effet moins immédiat d'aller à l'encontre des intérêts du demandeur en déclenchant un processus qui peut être couronné par son renvoi hors du Canada.

Il se pose encore la question plus difficile de savoir si, au regard du régime légal en place et dans le contexte des faits de la cause, l'agent principal a manqué à l'obligation d'équité lorsqu'il a entrepris de décider que la revendication de la demanderesse était irrecevable, sans même ajourner l'entrevue jusqu'à ce que l'avocat de cette dernière pût être présent.

M. Barnwell, avocat de la demanderesse, reconnaît pendant les débats que l'obligation d'équité ne confère pas automatiquement à ceux qui revendiquent le statut de réfugié le droit d'être représentés par avocat avant que l'agent principal ne rende la décision prévue au paragraphe 46.01(1). En fait, ce dernier a le pouvoir discrétionnaire de décider s'il permet à une personne d'être représentée par avocat, pouvoir dont l'équité imposera dans certains cas l'exercice en faveur de l'intéressé.

Le régime légal en vigueur écarte indubitablement le droit d'être représenté par avocat sur demande. Le contraste avec les audiences relativement formelles prévues pour ceux dont la revendication est soumise à la section du statut montre que l'instruction préliminaire de recevabilité est de nature bien plus sommaire et expéditive, et n'implique pas les frais, les délais et les formalités propres aux audiences auxquelles assistent couramment les avocats. Au surplus, les critères légaux de recevabilité seront normalement faciles à appliquer aux faits du cas d'espèce, et ne soulèveront normalement pas des questions de fait ou de droit complexes, ni n'obligeront l'agent à exercer quelque pouvoir discrétionnaire draconien. En conséquence, la présence d'un avocat ne sera normalement pas nécessaire pour garantir que le demandeur présente convenablement son cas à l'agent, et que celui-ci ne commette pas une faute dans l'exercice du pouvoir décisionnel qu'il tient de la loi.

Cependant, comme noté supra, une décision défavorable de l'agent a un effet suffisamment marqué sur des droits et intérêts importants de l'intéressé pour qu'il soit injuste de conclure que l'obligation d'équité ne pourrait jamais forcer l'agent à lui permettre de se faire assister d'un avocat lors de l'entrevue précédant la décision.

M. Barnwell soutient que les circonstances de la cause faisaient que l'agent principal devait ajourner l'entrevue afin que l'avocat de Mme Jekula puisse être présent. À la question posée par M. Edwards, l'assistant social chargé du dossier de la demanderesse à la section de Résidence familiale, Services communautai­res de la Communauté urbaine de Toronto, qui voulait savoir si Mme Jekula devrait se faire accompagner d'un avocat à l'entrevue, M. Snow a fait une réponse négative, que M. Edwards a rapportée à cette dernière, c'est pourquoi elle n'était pas assistée d'avocat. Si M. Snow n'avait pas donné cet avis, Mme Jekula aurait probablement comparu en compagnie de son avocat, M. Kabateraine, qui l'assistait à l'époque dans son dossier d'immigration. M. Barnwell soutient par ailleurs que le cas de Mme Jekula soulevait une question de droit qui n'était pas une question de routine, savoir si la Sierra Leone était un pays où elle pouvait «être renvoyée» au sens de l'alinéa 46.01(1)a).

Le premier défaut de cet argument réside dans la présomption y contenue que M. Snow avait tort de dire à M. Edwards que Mme Jekula n'avait pas besoin d'un avocat. Il est important de se rappeler qu'il y a manquement à l'obligation d'équité lorsque l'autorité compétente refuse injustement de permettre à l'inté­ressé d'être assisté d'avocat à l'audience. Cette obligation n'est normalement pas une obligation positive faite à l'autorité administrative d'informer l'intéressé qu'il peut se faire assister d'un avocat, et encore moins d'opiner qu'il est dans l'intérêt de ce dernier de se prévaloir de cette possibilité.

M. Barnwell soutient qu'il n'est par réaliste de s'attendre à ce que les gens qui revendiquent le statut de réfugié, comme Mme Jekula, soient pénétrés de leurs droits légaux au Canada, ou soient en mesure de les faire valoir. En conséquence, si les demandeurs doivent avoir la possibilité raisonnable d'être assistés d'avocat à l'entrevue visée à l'article 46.01, il est essentiel que les agents principaux soient plus ouverts au sujet de l'importance de la présence d'un avocat, que ne l'a été M. Snow.

Je peux bien m'imaginer des cas où l'équité pourrait imposer aux autorités le genre d'obligation positive dont parle M. Barnwell. Par analogie, on peut noter que l'article 30 de la Loi sur l'immigration fait à l'arbitre obligation d'informer quiconque fait l'objet de l'enquête «qu'il a le droit de se faire représenter par un avocat ou un autre conseiller». En l'espèce cependant, Mme Jekula n'était pas entièrement laissée à son sort. Elle avait l'aide de M. Edwards, un assistant social chargé entre autres de diriger les familles sur les organismes compétents et qui devait avoir des notions de réglementation de l'immigration, et il a accepté l'avis de M. Snow sans juger nécessaire de s'informer davantage et de consulter M. Kabateraine, dont il savait qu'il était l'avocat de Mme Jekula.

L'idéal eût été qu'à la question posée par M. Edwards de savoir si Mme Jekula avait besoin d'un avocat, M. Snow lui réponde à peu près: «Les questions décidées à l'occasion des entrevues visées à l'article 46.01 ne nécessitent habituellement pas la présence d'un avocat, mais si la décision est défavorable, elle pourrait avoir de graves conséquences pour Mme Jekula, y compris son renvoi hors du Canada. C'est à elle et à son avocat de décider s'il vaut mieux qu'il soit là, et nous avons pour pratique d'accepter la présence des avocats tant qu'elle ne cause pas un retard.» Cependant, l'équité n'impose pas la perfection procédurale, et je ne vois rien dans l'avis donné par M. Snow qui puisse être qualifié de refus de représentation par avocat, ou de propos trompeurs, iniques ou erronés sur le plan juridique.

Il s'ensuit que lorsque M. Snow refusait d'ajourner l'entrevue pour que l'avocat de la demanderesse puisse y assister, il ne rejetait pas la demande faite par Mme Jekula d'être représentée par avocat, parce qu'elle n'a jamais dit que c'était ce qu'elle voulait. Faut-il tenir compte du fait que lors de l'entrevue, M. Snow lui-même a essayé de communiquer avec M. Kabateraine, en vain il est vrai, et, au dire de Mme Jekula, s'inquiétait de ce qu'elle n'était pas assistée d'avocat? Il se peut qu'en essayant de communiquer avec M. Kabateraine, M. Snow eût à l'esprit la recommandation suivante du Guide de l'immigration intitulé Fonctions de l'agent principal au point d'entrée, PE-10 (à la page 4):

Même si elle n'a pas droit aux services d'un conseil, une personne peut être autorisée à se prévaloir de l'aide d'un conseil au cours d'un interrogatoire par un AP, à la condition que la personne qui agit comme conseil soit prête et immédiatement disponible.

Il est vrai que dans certains cas, la juridiction compétente peut conclure qu'un organisme administratif a manqué à l'obligation d'équité par ce motif qu'il ne s'est pas conformé aux procédures contenues dans les engagements pris par les autorités publiques ou dans des instruments n'ayant pas force obligatoire, tel le Guide susmentionné, bien que ces procédures ne fassent normalement pas partie de l'obligation d'équité telle qu'elle s'applique à l'exercice de ce pouvoir par l'organisme concerné; voir Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto: Canvasback Publishing, 1998), à la page 7:2431. On pourrait même dire que le Guide va plus loin pour ce qui est de permettre la présence d'un avocat que ne l'exige l'obligation d'équité de la common law, puisque celle-ci peut investir l'agent d'un pouvoir discrétionnaire plus étendu pour refuser cette présence, que ne semble l'indiquer le Guide.

Cependant, je ne suis pas convaincu que ce que faisait M. Snow valût non-observation des règles de procédure fixées par le Guide, puisque l'assistance d'un avocat n'a été demandée ni par Mme Jekula ni par quelqu'un d'autre agissant pour son compte, comme M. Edwards. Le Guide n'impose pas aux agents principaux d'informer les demandeurs qu'ils peuvent se faire assister d'un avocat à l'entrevue s'ils le veulent. Le fait que M. Snow a essayé de communi­quer avec l'avocat concerné ne signifie pas non plus qu'il était tenu de s'assurer que celui-ci serait présent, à condition qu'il fût prêt et immédiatement disponible. Si M. Snow était légalement fondé à procéder à l'interrogatoire sans autres formalités quand Mme Jekula comparaissait sans avocat, il serait certainement déraisonnable d'annuler sa décision pour cause d'iniquité procédurale du seul fait que, ayant peut-être le guide à l'esprit, il avait été assez consciencieux pour chercher à savoir si son avocat était disponible.

Certes, s'il n'avait pas dit à M. Edwards que Mme Jekula n'aurait pas besoin d'un avocat à l'entrevue, il est possible que M. Kabateraine y eût assisté. Cependant, comme noté supra, on ne saurait dire que l'avis de M. Snow valait refus de permettre la présence d'un avocat, qu'il était trompeur ou qu'il constituait une erreur de droit. Cet avis n'a pas non plus empêché M. Edwards d'en communiquer la teneur à M. Kabateraine, comme à Mme Jekula, afin que l'avocat pût considérer s'il fallait assister à l'entrevue ou non.

Enfin, la demanderesse soutient que les faits propres à son cas donnaient lieu à une question à l'égard de laquelle les observations de son avocat auraient pu éclairer l'agent principal pour ce qui était de savoir si elle pouvait «être renvoyée» en Sierra Leone, laquelle investigation est l'un des critères légaux de recevabilité de la revendication par la section du statut. Il est vrai que la complexité des questions soumises à la décision administrative est un facteur à considérer pour examiner si l'obligation d'équité impose la présence d'un avocat, mais, compte tenu de mon interprétation des mots «peut être renvoyé», la question à trancher est bien moins compliquée que l'affirme l'avocat de la demanderesse. Quoi qu'il en soit, puisque ni Mme Jekula ni quiconque agit pour son compte n'a demandé l'assistance d'un avocat, on ne peut pas dire qu'elle s'est vu dénier cette assistance contrairement à l'obligation d'équité.

Un dernier point à ce sujet. Les difficultés de Mme Jekula ont pu tenir au fait qu'à la différence d'autres membres de sa famille, elle n'a pas réclamé la protection à l'égard de la Sierra Leone, bien qu'elle eût mentionné qu'à la suite de la propagation des troubles à ce pays, les Sierra-Léonais avaient manifesté de plus en plus d'hostilité envers les Libériens, et qu'elle‑même avait été victime d'agression. Peut-être que si elle avait à ses côtés un avocat lors de l'entrevue, elle aurait modifié sa revendication de façon à ajouter la Sierra Leone à titre de second pays à l'égard duquel elle demandait l'asile, bien qu'il soit fort douteux que le résultat eût été différent. Je ne pense cependant pas que l'entrevue en soit devenue si inique qu'il faut annuler la décision de l'agent.

b)        l'article 7 de la Charte

M. Barnwell soutient aussi que faute d'ajournement, l'irrecevabilité prononcée par M. Snow allait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Lorsque les droits garantis par la Charte sont en jeu, les principes de justice fondamentale peuvent assurer au justiciable des droits plus étendus en matière de procédure que ceux qui découlent de l'obligation d'équité de la common law, y compris, dans certains cas peut-être, l'obligation positive de l'informer qu'il peut se faire représenter par avocat.

L'avocat de la demanderesse tire argument de la différence entre l'affaire en instance et la cause Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, où il a été jugé que le demandeur ne tient pas de la Constitution le droit à l'assistance d'un avocat lors de l'interrogatoire secondaire mené par un agent d'immigration, cette étape du processus décisionnel n'étant qu'un «interrogatoire effectué dans le but de recueillir des renseignements de routine». Par contraste, dit-il, l'entrevue de Mme Jekula avec M. Snow s'est soldée par une mesure d'exclusion. Il conteste aussi la conclusion que le juge Muldoon, après avoir cité Dehghani, a tirée dans Nayci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 105 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.) [à la page 127] comme suit:

Soulignons que, dans ces extraits jurisprudentiels, rien n'indique qu'un interrogatoire menant à une mesure d'exclusion complète est autre chose qu'un «interrogatoire effectué dans le but de recueillir des renseignements de routine».

Il se trouve cependant que dans ce contexte, les principes de justice fondamentale n'entrent en jeu que si l'action administrative porte atteinte au droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il s'agit donc de savoir si une décision rendue en application de l'alinéa 46.01(1)a) a cet effet. Je ne le pense pas. En premier lieu, s'il est vrai qu'un verdict d'irrecevabilité dénie à la demanderesse l'exercice d'un droit important, ce droit n'est pas compris dans «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne»; Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.), à la page 213; Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.).

En second lieu, il peut y avoir atteinte aux droits protégés par l'article 7 si le gouvernement renvoie une non-citoyenne dans un pays où elle craint d'être probablement violentée ou emprisonnée. Cependant, la conclusion que la revendication n'est pas recevable n'est qu'une étape dans le processus admi­nistratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada. L'étape suivante, c'est-à-dire la procédure d'appréciation du risque, à laquelle la demanderesse aura droit en application de l'article 53 avant qu'elle ne soit renvoyée, se prête au contrôle au regard des garanties constitutionnelles afin de garantir l'observation des principes de justice fondamentale, bien que cette procédure ne soit prévue ni dans la Loi ni dans les règlements pris pour son application: Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), à la page 271. De surcroît, tout en jugeant que la Loi sur l'immigration n'allait pas à l'encontre de l'article 7 en limitant la recevabilité, le juge Marceau, J.C.A., a encore fait observer ce qui suit dans Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.), aux pages 708 et 709:

Je serais toutefois d'avis que le ministre violerait carrément la Charte s'il prétendait exécuter une mesure d'expulsion en forçant l'intéressé à retourner dans un pays où, selon la preuve, il sera torturé et peut être mis à mort. Il me semble que ce serait [. . .] à tout le moins, commettre un outrage aux normes publiques de la décence en violation des principes de justice fondamentale visés à l'article 7 de la Charte.

Pour récapituler, les droits garantis par l'article 7 n'entrent pas en jeu à l'étape de la décision sur la recevabilité et de la mesure d'exclusion. Cependant, la demanderesse ne peut être légalement renvoyée hors du Canada sans une appréciation des risques auxquels elle peut s'exposer une fois de retour en Sierra Leone. Et les modalités de cette appréciation doivent être conformes aux principes de justice fondamentale.

2.         Le groupe verbal «peut être retourné»

Selon M. Barnwell, l'agent principal a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire puisque, ayant constaté que Mme Jekula s'était vu reconnaître le statut de réfugiée en Sierra Leone, il a conclu que sa revendication n'était pas recevable sans s'assurer, conformément à l'alinéa 46.01(1)a), qu'elle «peut être renvoyée» dans ce pays. Il n'a fait que consulter un supérieur, après quoi il a informé Mme Jekula qu'il n'y avait pas de moratoire sur les renvois en Sierra Leone. M. Barnwell en conclut qu'il ne s'est pas attaché à la question pertinente, savoir si Mme Jekula avait le droit d'être admise de nouveau dans le pays par les autorités de l'immigration de la Sierra Leone, et non si le gouvernement du Canada était en train de renvoyer des gens dans ce pays malgré la guerre civile qui y sévissait. À l'appui de son argument, M. Barnwell cite la décision Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), à la page 262 où le juge suppléant Heald a fait la remarque suivante, dans la note de bas de page no 6:

J'interprète l'expression «peut être renvoyé» comme liée au statut du revendicateur dans le pays d'asile, en ce sens que le pays d'asile est tenu de permettre au revendicateur de revenir.

Mme Jekula n'avait ni un passeport avec visa pour la Sierra Leone ni aucun document délivré par les autorités sierra-léonaises et attestant qu'elle avait le droit de demeurer dans ce pays et d'y revenir. Tout ce qu'elle avait, c'était une carte d'identité de réfugié délivrée par le gouvernement de la Sierra Leone «en application de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés», avec le nom du camp de réfugiés où elle vivait. Il semble que cette carte servait principalement de carte de rations alimentaires, et non de titre de voyage international destiné à prouver le droit de revenir en Sierra Leone. Selon M. Barnwell, ce document ne prouvait pas qu'elle avait le droit de revenir dans ce pays et faute par M. Snow de vérifier si elle avait ce droit, il a commis une erreur de droit en concluant que la condition prévue par la loi, savoir s'assurer qu'elle «peut être renvoyée», était remplie.

 L'avocate représentant le ministre, Mme Horton, réplique qu'une fois l'agent principal convaincu que la demanderesse s'était vu reconnaître le statut de réfugiée dans un autre pays, il n'était pas nécessaire d'en savoir davantage. Elle fait remarquer que la version antérieure de l'alinéa 46.01(1)a), qui est entré en vigueur le 1er janvier 1989, portait:

46.01 (1) [. . .]

a) il s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays, lequel lui a délivré un titre de voyage en cours de validité aux termes de l'article 28 de la Convention. [Soulignement ajouté.]

En outre, il y a lieu de noter qu'il n'y avait pas de disposition équivalente à l'alinéa 46.01(1)a) en vigueur au moment où le juge d'appel Urie a tiré la conclusion suivante dans Boun-Leua c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 259 (C.A.), en page 264:

En l'espèce, le requérant étant un réfugié en France, il peut retourner en ce pays dans la mesure où le visa que lui a délivré ce pays est toujours valide.

Selon Mme Horton, il faut présumer qu'en modifiant l'alinéa 46.01(1)a) en 1993, le législateur a entendu faciliter le renvoi des demandeurs dans le pays où ils se sont vu reconnaître le statut de réfugié, d'autant plus qu'il n'est pas rare qu'à leur arrivée au Canada, les demandeurs d'asile n'aient aucun titre de voyage ou autre pièce d'identité, ou aient en leur possession un document périmé.

Cet argument pèche en ce qu'une lecture de l'alinéa 46.01(1)a) abstraction faite du groupe verbal «peut être renvoyé» va à l'encontre de la présomption en matière d'interprétation des lois qu'autant que possible, il faut tenir compte de chaque terme du texte. Par contre, obliger un agent principal à entreprendre la tâche, longue et peut-être sans résultat concluant, de vérifier si un demandeur a le droit légal de retour selon la loi du pays d'asile, semble incompatible avec le caractère sommaire du processus prévu à l'article 46.01, tel que le prévoit le régime légal pour exclure entre autres ceux qui n'ont pas besoin de protection parce qu'ils se sont déjà vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre pays.

À mon avis, un agent principal peut normalement présumer que la preuve qu'un pays a reconnu le statut de réfugié au demandeur représente aussi l'autorisation pour celui-ci d'y revenir. Mais s'il est saisi de la preuve que, pour une raison quelconque, les autorités de l'immigration du pays d'asile ne permettront pas au demandeur de revenir, il lui faudra pousser ses investigations plus loin, et il ne pourra conclure que la revendication est irrecevable par application de l'alinéa 46.01(1)a) qu'une fois raisonnablement convaincu que le demandeur pourra revenir dans le pays d'asile.

Rien en l'espèce ne prouve que Mme Jekula ne pourra pas revenir en Sierra Leone. La carte d'identité de réfugié est la preuve de son statut de réfugiée dans ce pays où, selon son propre affidavit, elle a vécu sept ans à titre de résidente permanente. En conséquence, M. Snow était raisonnablement fondé à croire qu'elle «peut être renvoyée» en Sierra Leone.

Il faut envisager une autre interprétation possible du groupe verbal «peut être renvoyé». La raison donnée par Mme Jekula pour revendiquer le statut de réfugié au Canada était qu'elle craignait pour sa sécurité en Sierra Leone, du fait que ce pays a sombré dans les troubles civils et que les Libériens y sont en proie à l'hostilité et aux actes de violence. Il se pose la question de savoir si une personne «peut être renvoyée» dans un pays qui lui a accordé l'asile alors qu'elle craint avec raison d'y être persécutée pour l'une des raisons prévues par la loi.

Il est important de noter dans ce contexte qu'avant l'adoption en 1993 du projet de loi C-86 qui modifiait l'article 46.01, il y avait une disposition qui prévoyait expressément les cas de ce genre. Aux termes du paragraphe 46.01(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14], était recevable la revendication de la personne qui s'était déjà vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre pays et qui craignait avec raison d'y être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

On pourrait conclure de l'abrogation de cette disposition en 1993 que les personnes se trouvant dans cette situation ne sont plus exclues de la catégorie de ceux dont la revendication n'est pas recevable du fait qu'ils se sont déjà vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre pays. Par ailleurs, le projet de loi C-86 a aussi élargi la portée de l'alinéa 46.01(1)a) en substituant les mots «peut être renvoyé» à la prescription plus spécifique que la personne qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre pays n'est irrecevable que si elle a en sa possession un titre de voyage en cours de validité, délivré conformément à l'article 28 de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].

À mon avis, les mots «peut être renvoyé» ne signifient pas que l'agent principal soit tenu d'examiner si le demandeur craint avec raison d'être persécuté dans le pays d'asile. L'abrogation en 1993 de la disposition portant expressément sur cette situation signifie qu'il ne faut pas la réincorporer implicitement dans le texte à travers les mots «peut être renvoyé» figurant à l'alinéa 46.01(1)a). Faire à l'agent principal obligation d'examiner si un demandeur satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention serait incompatible avec le processus expéditif et relativement simple prévu dans ce régime légal pour écarter certaines revendications irrecevables par la section du statut.

Cela ne veut certainement pas dire que la Loi n'accorde aucune protection aux personnes qui ont besoin de la protection du Canada parce qu'elles craignent d'être persécutées dans le pays qui leur a accordé le droit d'asile. Le paragraphe 53(1) interdit expressément que les personnes dont la revendication a été jugée irrecevable soient renvoyées dans le pays où leur vie ou leur liberté seraient menacées pour l'une des raisons prévues dans la Convention.

Lorsque M. Snow demanda à son supérieur s'il y avait un moratoire sur les renvois en Sierra Leone, il se peut bien qu'il eût l'article 53 à l'esprit. Cepen­dant, et il semble que les avocats des deux parties en conviennent, l'existence de pareil moratoire n'avait aucun rapport avec le verdict d'irrecevabilité.

D'ailleurs, dans Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), en page 270, le juge suppléant Heald a conclu dans le même sens, en ces termes:

En vertu du paragraphe 46.01(2) de la Loi sur l'immigration, les personnes dont le statut de réfugié avait été reconnu à l'étranger étaient autorisées à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention par rapport à leur pays d'asile, mais il n'existe aucune disposition équivalente dans la version actuelle de la Loi. L'abrogation quant au fond du paragraphe 46.01(2) de la Loi sur l'immigration indique que le législateur a choisi de ne pas permettre aux personnes dont le statut de réfugié a été reconnu par un autre pays de faire valoir une crainte bien fondée d'être persécutées dans leur pays d'asile.

Le juge suppléant Heald a encore comparé le sens de l'alinéa 46.01(1)a) et du paragraphe 53(1), pour tirer la conclusion suivante [à la page 268]:

L'application automatique du paragraphe 53(1) aux personnes dont la revendication est irrecevable en vertu de l'alinéa 46.01(1)a) constitue un compromis légitime entre l'intérêt qu'a l'État à éviter la quête du meilleur pays d'asile et la nécessité que les conséquences du critère de recevabilité-le renvoi du Canada-soient appréciées dans le cadre d'une évaluation obligatoire du préjudice que son pays d'asile pourrait faire subir au demandeur visé par l'alinéa 46.01(1)a).

Je comprends que les demandeurs d'asile puissent trouver que le processus d'appréciation du risque administré par les agents d'Immigration Canada en application du paragraphe 53(1) est moins favorable que l'audition en bonne et due forme de la revendication par une formation de jugement de la section du statut, qui applique le critère moins rigoureux de la «crainte bien fondée». À la lumière cependant de l'historique de l'alinéa 46.01(1)a) et du paragraphe 46.01(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36] ainsi que du régime légal pris dans son ensemble, cette considération n'est pas impérieuse au point de me convaincre que, pour examiner si un demandeur «peut être renvoyé», l'agent principal doit procéder à l'appréciation du risque lors de l'application de l'alinéa 46.01(1)a).

3.         La validité de l'ordonnance d'exclusion

Enfin, M. Barnwell conteste la validité de la mesure d'exclusion prise par M. Snow en application du paragraphe 23(4) après qu'il eut conclu que la revendication de Mme Jekula était irrecevable et qu'il eut reçu le rapport indiquant qu'elle relevait de la catégorie des personnes non admissibles du fait qu'elle n'avait ni passeport, ni visa, ni autre document prévu par la loi. Selon M. Barnwell, cette ordonnance était illégale du fait que la demanderesse s'était vu refuser l'assistance d'un avocat à l'entrevue qui en précédait la délivrance.

Il a réitéré en grande partie les arguments déjà proposés au sujet de la conclusion d'irrecevabilité tirée par l'agent principal et, par les motifs pris à ce même sujet, je ne peux y faire droit non plus. Étant donné les limites très étroites des points à décider, étant donné le pouvoir discrétionnaire à exercer par l'agent principal en application du paragraphe 23(4), et étant donné le caractère sommaire et expéditif du processus prévu par la loi (par opposition à l'enquête menée par un arbitre, par exemple), le demandeur n'a pas automatiquement droit à l'assistance d'un avocat alors que l'agent est investi du pouvoir discrétionnaire de la permettre ou non. Cependant, cet agent n'est nullement tenu d'informer un demandeur qu'il a intérêt à se faire assister d'un avocat et, faute de demande à cet effet, M. Snow n'a pas refusé à Mme Jekula de se faire assister d'un avocat à l'entrevue. Dans ce contexte, il était raisonnable de sa part de décider de ne pas ajourner l'entrevue jusqu'à ce que l'avocat de Mme Jekula pût être consulté, décider s'il voulait assister à l'entrevue puis fixer une date où il pourrait être présent.

Il est vrai que la mesure d'exclusion est un pas important dans le processus qui pourrait aboutir au renvoi de l'intéressé hors du Canada. Mais cela ne suffit pas pour déclencher l'application de l'article 7 de la Charte à l'exercice du pouvoir de prendre une mesure d'exclusion, même dans le cas où l'intéressé excipe d'un risque sérieux de mort, de violence physique ou de détention s'il est renvoyé dans un pays donné. Comme noté supra, l'article 53 et le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration prévoient l'appréciation des risques que court l'intéressé avant que la mesure d'exclusion ne soit exécutée.

4.         Conclusion

Par ces motifs, la demanderesse est déboutée de ses recours en contrôle judiciaire. Je tiens à féliciter les avocats de part et d'autre pour leurs arguments minutieux et réfléchis. Puisque ni l'une ni l'autre partie ne conclut aux frais et dépens, il n'y aura pas d'allocation en la matière.

5.         Questions certifiées

À la conclusion des débats, l'avocat de la demanderesse m'a demandé de certifier une ou des questions aux fins d'appel, en application du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l'immigration. Conformément à la pratique établie, j'ai ordonné au greffe de faire parvenir aux avocats des deux parties un exemplaire des motifs que je me proposais de prononcer, et de les inviter à présenter leurs conclusions écrites sur une question aux fins d'appel, laquelle question doit être conforme au critère établi par la loi, savoir que le jugement de «l'affaire soulève une question grave de portée générale».

Après lecture des conclusions utiles de M. Barnwell, l'avocat de la demanderesse, je certifie que les questions proposées ci-dessous satisfont au critère défini par le paragraphe 83(1):

1. La décision par laquelle l'agent d'immigration principal concluait que la revendication faite par la demanderesse du statut de réfugié était irrecevable et l'excluait de l'admission au Canada, a-t-elle été prise en violation de l'obligation d'équité, en ce qu'il a interrogé la demanderesse en l'absence de son avocat, alors que celui-ci aurait pu y assister si l'agent principal n'avait pas informé la demanderesse, par l'intermédiaire de l'assistant social de cette dernière, que la présence d'un avocat n'était pas nécessaire?

2. L'agent principal a-t-il commis une erreur de droit en concluant, en application de l'alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration, que la demanderesse «peut être renvoyée» dans le pays où, selon la preuve documentaire produite par cette dernière, elle s'était vu reconnaître le statut de réfugié, bien qu'il n'y eût aucun titre de voyage prouvant qu'elle avait le droit de demeurer ou de revenir dans ce pays, ni la preuve qu'en fait, elle n'y serait pas admise?

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