Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Gholam Hassan Hajialikhani

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 6 août; Vancouver, 11 septembre 1998.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire d'une décision de la CISR posant que le demandeur de statut était un réfugié au sens de la Convention et que son appartenance aux Moudjahidines ne permettait pas de lui refuser le bénéfice de la protection normalement accordée aux réfugiés — La manière dont «réfugié au sens de la Convention» est défini à l'art. 2(1) de la Loi sur l'immigration exclut toute personne à qui la Convention ne s'applique pas en raison de l'art. 1E et F — L'art. 1Fa) exclut de la définition les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité — Selon un document revêtu de sa signature, le demandeur a fait partie des Moudjahidines de 1979 à 1985, mais il a affirmé que la mention «membre» n'était pas de sa main — La Commission a insisté particulièrement sur le fait que le demandeur de statut n'avait pas personnellement pris part à des actes pouvant être identifiés de manière précise, évoquant ensuite l'organisation en question considérée comme organisation terroriste — Extraits d'instruments internationaux définissant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité — Examen d'arrêts de la C.A.F. relatifs à l'art. 1Fa) — Analyse, dans le contexte de l'art. 1Fa), des cas où l'appartenance à une organisation est donnée comme entraînant une présomption de complicité de crimes contre l'humanité, cela exigeant: a) que l'on évalue la nature de l'organisation et que l'on détermine si l'on peut affirmer qu'elle vise des fins limitées et brutales; b) que l'on évalue la participation de l'individu en question à l'organisation et que l'on cherche à savoir s'il en était membre ou si sa participation permet de conclure qu'il partageait les objectifs du groupe — a) La Commission n'a pas analysé les éléments de preuve concernant la nature même des Moudjahidines — S'il n'est pas immédiatement évident que la preuve permettait de conclure qu'il s'agissait effectivement d'une organisation visant principalement des fins limitées et brutales, la question aurait dû faire, de la part de la Commission, l'objet d'une conclusion explicite — b) La Commission ne s'est pas prononcée quant à la participation du demandeur de statut — Faute de raisons permettant de penser que le formulaire a pu être modifié après sa signature, on peut raisonnablement supposer que la modification a été apportée soit à la demande du demandeur de statut, soit, à tout le moins, avec son consentement — La Commission n'a pas cherché à analyser les éléments de preuve qui auraient permis de conclure à la participation du demandeur — Elle n'a pas appliqué le bon critère lorsqu'elle l'a interrogé pour savoir s'il avait personnellement pris part aux crimes dont il est fait état, c'est-à-dire s'il avait été présent, physiquement, sur les lieux, au lieu de lui demander si sa participation n'avait pas consisté à encourager et à faciliter la commission des crimes présumés par d'autres personnes — Les traits caractéristiques qui font d'un crime de droit commun un crime contre l'humanité n'ont pas été nettement articulés — Il n'est pas immédiatement évident que la documentation versée au dossier permettait de conclure que les activités de l'organisation constituaient effectivement des crimes contre l'humanité — L'affaire est renvoyée devant une autre formation de la Commission.

Il s'agissait d'une demande visant l'annulation d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission avait décidé que le défendeur (demandeur de statut) était un réfugié au sens de la Convention, estimant en outre que l'action qu'il avait menée au sein des Moudjahidines ne permettait pas de lui refuser la protection normalement accordée aux réfugiés. Devant la Commission, le ministre avait soutenu qu'en raison de son action au sein de l'organisation en question, le demandeur de statut devait se voir refuser le bénéfice de la protection prévue en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration exclut de la définition de «réfugié au sens de la Convention» toute personne soustraite à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier. La section Fa) de l'article premier exclut de la définition les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. La Commission a estimé qu'en l'espèce les faits ne relevaient pas de la définition de «crime contre la paix». La Commission a insisté particulièrement sur le fait que le demandeur de statut n'a pas personnellement pris part à des actes pouvant être identifiés de manière précise, évoquant ensuite l'organisation en question considérée comme organisation terroriste. Le ministre soutient que cela aurait dû porter la Commission à conclure que l'organisation appartenait à la catégorie d'organisations «visant principalement des fins limitées et brutales» et que la participation à des campagnes de financement de cette organisation permettait effectivement de conclure à la complicité des actes auxquels se livrait l'organisation en question. L'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe (l'Accord de Londres), instrument international en rapport avec la section Fa) de l'article premier, définit «crimes de guerre» comme des «violations des lois et coutumes de la guerre» en y ajoutant une liste d'exemples précis. La définition de «crimes contre l'humanité» comprend tout acte inhumain contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre; ou bien les persécutions en liaison avec un crime relevant de la compétence du Tribunal. Les «dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices» sont aussi responsables des crimes que les personnes qui les ont commis.

Jugement: le recours en contrôle judiciaire est rejeté.

L'expression «raisons sérieuses de penser» a été interprétée comme décrivant le fardeau de la preuve à appliquer pour dire si l'individu en question «a commis ou s'est rendu complice» d'un ou de plusieurs crimes. Ce fardeau de la preuve est moins contraignant que celui de la prépondérance des probabilités. Pour qu'il y ait complicité des crimes prévus à la section Fa) de l'article premier, il faut que l'intéressé ait participé personnellement et sciemment aux actes incriminés et qu'il ait partagé, avec ceux qui ont effectivement commis ces crimes, un but commun. Un tribunal ne saurait se fonder uniquement sur le Code criminel du Canada pour conclure à la complicité. La simple appartenance à une organisation qui commet à l'occasion des crimes contre l'humanité ne suffit pas à fonder une exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier, sauf lorsque l'organisation en question «vise principalement des fins limitées et brutales» telle une police secrète, ou organisation dont «l'existence même [. . .] repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire». Ainsi, l'appartenance à une police secrète permettrait à elle seule de conclure à la complicité dans les actes commis par ce service, mais l'appartenance aux forces militaires d'un État s'opposant par les armes à une guérilla ne permettrait pas de conclure à la complicité dans les actes commis par les membres de ces forces armées. Le fait de contribuer sciemment à ces activités, quel que soit le mode de cette participation, ou le fait de les rendre possibles, suffit à constituer la complicité.

Aux termes de la Convention, les crimes de guerre n'existent que dans le contexte d'une guerre interétatique. Les crimes contre l'humanité, par contre, peuvent avoir lieu en l'absence de conflit armé entre États. Ce type de crime peut comprendre une situation dans laquelle sont victimes les propres nationaux de l'État en question. En règle générale, ces deux types de crime exigent, du moins au début, que l'État en question les ait soit commis, soit tolérés. Il n'est pas clair dans quelle mesure une organisation peut être en mesure de commettre des crimes appartenant à la catégorie des crimes contre l'humanité sans la coopération implicite d'un État ou d'un appareil quasi étatique qui, par exemple, fermera les yeux sur des actes perpétrés par des particuliers. En tout état de cause, pour qu'il y ait crimes contre l'humanité, il doit s'agir d'actes «commis de façon généralisée et systématique».

S'agissant de la définition d'une organisation selon qu'elle «vise principalement des fins limitées et brutales», il n'est pas nécessaire, étant donné la notoriété et l'objet du groupe en question, de pouvoir attribuer à l'individu qui s'est rendu complice de ce genre d'action des actes précis. Si l'on entend dire que l'appartenance ou l'association étroite à un groupe porte automatiquement à conclure à la complicité de crimes contre l'humanité commis par les membres de ce groupe, il faut que la qualification de l'organisation en question se fonde sur des preuves indubitables. En outre, s'agissant d'un organisme qui évolue avec le temps, il y a lieu de se pencher sur les actions qui peuvent lui être attribuées aux époques où l'individu concerné collaborait avec elle.

Dans un cas relevant de la section Fa) de l'article premier, où l'appartenance à une organisation est donnée comme entraînant une présomption de complicité de crimes contre l'humanité, l'analyse des conditions d'exclusion exige: a) que l'on évalue la nature de l'organisation en question et que l'on détermine si l'on peut dire qu'elle «vise des fins limitées et brutales»; et, b) que l'on évalue la participation de l'individu en question aux activités de l'organisation et que l'on cherche à savoir s'il en était membre ou si sa participation permet de conclure qu'il partageait des objectifs du groupe.

a)   La Commission n'a pas analysé les éléments de preuve concernant la nature même de l'organisation moudjahidine. S'il n'était pas immédiatement évident que la preuve permettait de conclure qu'il s'agissait effectivement d'une organisation «visant principalement des fins limitées et brutales», la question aurait dû faire, de la part de la Commission, l'objet d'une conclusion explicite.

b)   La Commission a décrit un document revêtu de la signature du demandeur de statut et selon lequel celui-ci a fait partie des Moudjahidines de 1979 à 1985, rappelant que le demandeur de statut affirmait que la mention «membre» n'était pas de sa main, mais ne se prononçant pas elle-même à cet égard. Faute de raisons permettant de penser que le formulaire a pu être modifié après sa signature, il est raisonnable de supposer que la modification a été apportée soit à la demande du demandeur de statut, soit, à tout le moins, avec son consentement.

La Commission n'a pas cherché à analyser les éléments de preuve qui auraient permis des conclusions concernant le degré de participation du demandeur de statut aux activités de l'organisation en question. La Commission n'a pas non plus appliqué le bon critère lorsqu'elle a interrogé le demandeur de statut pour savoir s'il avait personnellement pris part aux crimes dont il est fait état, c'est-à-dire s'il s'était physiquement trouvé sur les lieux de ces crimes, au lieu de lui demander si sa participation n'aurait pas consisté à encourager et à faciliter la commission des crimes présumés par d'autres. Le fait de contribuer au financement de crimes constitue un acte de complicité.

La Commission a insisté sur les activités menées par l'organisation à l'époque où le demandeur de statut reconnaît avoir été actif au sein de cette dernière notamment sur des attaques contre des cibles civiles, que la Commission a estimé légitimes si elles n'entraînent aucune violation des lois et coutumes de la guerre. Elle a estimé que ces activités ne constituaient pas des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Le ministre a fait valoir que, par définition, les attaques contre des objectifs civils constituent une violation des coutumes de la guerre et ce qui compte ce ne sont pas seulement les époques auxquelles le demandeur de statut s'est trouvé personnellement dans les camps militaires, car il est possible de se rendre complice d'un crime simplement en participant à son financement. La décision de la Commission semble contradictoire à de nombreux égards et n'est pas fondée sur les bons critères. Cela s'explique en grande partie par les incertitudes du droit en ce domaine. Les traits caractéristiques qui font d'un crime de droit commun un crime contre l'humanité n'ont pas été nettement articulés. Il n'était pas immédiatement évident que la documentation versée au dossier permettait de conclure que les activités de l'organisation constituaient effectivement des crimes contre l'humanité.

Il y a lieu d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire pour audition devant une autre formation de la Commission. Il n'appartenait pas à la Cour de substituer sa propre décision à celle qu'aurait dû rendre la Commission. Le témoignage du demandeur de statut soulevait des questions de crédibilité. Il y avait également des questions concernant certains éléments de la preuve documentaire qui n'avaient pas été déposés devant la Cour et auxquels celle-ci ne pouvait pas avoir facilement accès. Il y avait des questions à la fois de fait et de droit à trancher. L'analyse juridique qui s'impose mériterait d'un examen plus approfondi de la question de savoir dans quelles circonstances, en droit international, on a considéré qu'un crime relevait de la définition du crime contre l'humanité, ainsi que des instruments internationaux applicables et des décisions rendues dans d'autres juridictions.

lois et règlements

Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe, 8 août 1945, 82 R.T.N.U. 279, art. 6.

Charter of the International Military Tribunal for the Far East, 19 janvier 1946, art. II.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa),b),c).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.) ch. 28, art. 1).

Punishment of Persons Guilty of War Crimes, Crimes Against Peace and Against Humanity, 20 décembre 1945, Allied Control Council Law No. 10, Art. II.

jurisprudence

décisions examinées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 226 N.R. 201; Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; (1994), 119 D.L.R. (4th) 497; 25 Imm. L.R. (2d) 209; 174 N.R. 292 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.); Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.).

décisions citées:

Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 (C.A.); McMullen v. I.N.S., 788 F.2d 591 (9th Cir. 1986).

doctrine

Determination of Refugee Status of Persons Connected with Organizations or Groups which Advocate and/or Practice Violence. Préparé par le projet juridique du Bureau canadien du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, note no 5. Ottawa, 2 août 1989 (non publié).

Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law. Oxford: Clarendon Press, 1983.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto: Butterworths, 1991.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.

Revolutionary and Dissident Movements: An International Guide, 3rd ed. Essex, U.K.: Longman, 1991.

Rikhof, Joseph. «Crimes Against Humanity, Customary International Law and the International Tribunals for Bosnia and Rwanda» (1995-96), 6 N.J.C.L. 233.

Schwelb, E. «Crimes Against Humanity» (1946), 23 B.Y.B.I.L. 178.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice. Toronto: Butterworths, 1992.

World Encyclopedia of Political Systems and Parties, 2nd ed. N.Y.: Facts on File, 1987.

Zambelli, Pia. The 1995 Annotated Refugee Convention. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.

ont comparu:

Diane B. N. Dagenais pour le demandeur.

Isak Grushka pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Isak Grushka, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Reed:

Il s'agit en l'espèce d'une demande par laquelle le ministre sollicite de la Cour l'annulation d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission considère que le défendeur (ci-après dénommé demandeur de statut) est un réfugié au sens de la Convention, estimant en outre que l'action qu'il a menée au sein des Sazeman-e Mojahedin-e Khalq-e Iran (les Moudjahidines) ne permet pas de lui refuser le bénéfice de la protection normalement accordée aux réfugiés. Devant la Commission, le ministre avait soutenu qu'en raison de son action au sein de l'organisation en question, le demandeur de statut devait se voir refuser le bénéfice de la protection prévue à la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention).

Le cadre législatif—instruments internationaux

La section Fa) de l'article premier de la Convention a été introduite dans le droit interne canadien par le truchement du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1]. Selon le paragraphe 2(1), on entend par «réfugié au sens de la Convention»:

2. (1)  [. . .]

«réfugié au sens de la Convention» toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i)    soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [. . .]

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi. [Non souligné dans l'original.]

La section Fa) de l'article premier exclut de la définition les personnes ayant commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité:

 F.    Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a)   qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; [Non souligné dans l'original.]

Les alinéas b) et c) de la section 1F de l'article premier excluent donc du dispositif de protection les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis «un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil» ou «se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies».

Les instruments internationaux concernant la section Fa) de l'article premier évoqués devant la Cour par l'avocate du demandeur sont: l'article 6 de l'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe, 8 août 1945 [82 R.T.N.U. 279] (l'Accord de Londres); l'article II de la Allied Control Council Law No. 10, Punishment of persons guilty of War Crimes, Crimes Against Peace and Against Humanity, 20 décembre 1945 (la Allied Control Council Law No. 10); l'article II de la Charter of the International Military Tribunal for the Far East, Tokyo, 19 janvier 1946 (l'Accord de Tokyo).

La Commission a estimé que les faits de l'espèce ne relèvent pas de la définition de «crime contre la paix» et le demandeur n'a pas fait valoir que cette catégorie s'appliquait effectivement aux circonstances du demandeur de statut. On passera donc aux définitions de «crimes de guerres» et de «crimes contre l'humanité».

L'Accord de Londres définit les crimes de guerre comme étant des «violations des lois et coutu­mes de la guerre», précisant que les «crimes de guerre» comprennent:

Article 6

[. . .]

Les Crimes de Guerre [. . .] sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes ou des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.

La Allied Control Council Law No. 10 et l'Accord de Tokyo n'ajoutent rien à cette définition.

La définition de «crimes contre l'humanité» que donne l'Accord de Londres est la suivante:

Article 6

[. . .]

 Les Crimes contre l'Humanité: C'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. [Non souligné dans l'original.]

Dans la Allied Control Council Law No. 10, les «crimes contre l'humanité» sont définis de la manière suivante:

article ii

[. . .]

[traduction]

Crimes contre l'Humanité. Les atrocités et les infractions, comprenant, sans y être limitées, le meurtre, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, l'emprisonnement, la torture, le viol et tout autre acte inhumain commis à l'encontre d'une population civile, ou des persécutions, pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, qu'elles aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où elles ont été perpétrées. [Non souligné dans l'original.]

La définition donnée dans l'Accord de Tokyo ne diffère en rien de celle qui figure dans l'Accord de Londres.

Dans l'Accord de Londres, aussi bien que dans l'Accord de Tokyo, «les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices» sont aussi responsables des crimes commis que les personnes qui en étaient les auteurs effectifs:

Article 6

[. . .]

Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.

Dans la Allied Control Council Law No. 10, la clause concernant les complices est formulée de manière quelque peu différente:

[traduction]

2. Est réputée avoir commis un crime tel que défini au paragraphe 1 du présent article, toute personne qui, quelle que soit sa nationalité ou le titre auquel elle a agi a) a été un des auteurs principaux du crime b) a été un complice dans la perpétration d'un tel crime ou une personne ayant ordonné ou facilité la perpétration de ce crime c) a participé volontairement à un tel crime d) a pris part au plan ou à des projets liés à la perpétration de ce crime ou e) a appartenu à une organisation ou à un groupe lié à la perpétration d'un tel crime.

Jurisprudence

On ne trouve aucun arrêt de la Cour suprême interprétant la section Fa) de l'article premier de la Convention aux fins du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. La décision récemment rendue dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, précise, cependant, que pour interpréter la section F de l'article premier, il convient de recourir aux documents internationaux pertinents. Il s'agissait dans cette affaire d'un demandeur de statut qui se serait présumément «rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies», et qui tombait, présumément, sous le coup de la section Fc) de l'article premier de la Convention.

Venons-en maintenant aux arrêts de la Cour d'appel fédérale qui m'ont été cités: Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306; Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282.

Il s'agissait, dans l'affaire Ramirez, d'un ancien membre des forces armées du Salvador. Il avait, à de nombreuses reprises, assisté à des actes de torture et au meurtre de prisonniers. La Cour a considéré que, bien qu'il n'ait lui-même jamais commis de tels actes, sa simple présence, alors qu'il se trouvait sous les ordres de supérieurs hiérarchiques qui étaient également les supérieurs de ceux qui commirent les actes incriminés, faisait de lui un participant conscient aux crimes en question. La Cour a donc considéré qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il s'était rendu complice de crimes contre l'humanité.

Dans l'affaire Moreno, l'intéressé était un membre de l'armée salvadorienne, recruté à son corps défendant à l'âge de 16 ans. Un jour, alors qu'il était de garde pendant qu'on torturait un prisonnier, il n'a rien fait pour intervenir, estimant que cela ne servirait à rien. Peu de temps après, il désertait. La Cour a estimé que le consentement passif à un crime contre l'humanité ne suffit pas à rendre l'intéressé complice de ce crime. La complicité exige plus que la simple présence physique sur les lieux. Dans l'affaire Moreno, la Cour a estimé que le demandeur n'avait eu aucune connaissance préalable des actes de torture qui devaient être commis et que, en ce qui concerne le crime en question, l'intéressé n'avait ni aidé ni encouragé directement ses supérieurs.

Dans le cadre de ces affaires, la Cour a eu l'occasion de se pencher sur la question du fardeau de la preuve applicable en matière d'exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier. La Cour a interprété l'expression «raisons sérieuses de penser» non pas comme exigeant, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y ait des raisons sérieuses de penser qu'un crime a été commis, mais bien comme décrivant le fardeau de la preuve qu'il y a lieu d'appliquer pour décider si l'individu en question a commis ou s'est rendu complice d'un ou de plusieurs crimes. Ce fardeau de la preuve est moins exigeant que celui de la prépondérance des probabilités.

Dans les affaires Ramirez et Moreno, la Cour d'appel s'est penchée sur la question de savoir s'il y avait lieu d'interpréter la clause d'exclusion de façon stricte ou de manière large. La Cour a rappelé que la doctrine va dans le sens d'une interprétation stricte[1]. Les auteurs prônent en effet une interprétation étroite, car les faits susceptibles de justifier l'exclusion de l'intéressé peuvent être les faits qui, justement, ont porté ce dernier à solliciter le bénéfice des mesures de protection. Une interprétation étroite n'a été expressément retenue ni dans Ramirez, ni dans Moreno. Dans l'affaire Ramirez, M. le juge MacGuigan a relevé que, dans l'esprit des rédacteurs de la Convention, les dispositions en question devaient laisser aux autorités nationales un large pouvoir d'appréciation.

Les arrêts Ramirez et Moreno ont établi que pour qu'il y ait complicité à des crimes prévus à la section Fa) de l'article premier, il faut que l'intéressé ait participé personnellement et sciemment aux actes incriminés et qu'il ait partagé, avec ceux qui ont effectivement commis ces actes, un but commun. La Cour a évoqué les dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] applicables à la complicité, précisant cependant qu'un tribunal ne pouvait pas se fonder uniquement sur le Code criminel pour conclure à la complicité.

Dans les deux arrêts, la Cour a décidé que la simple appartenance à une organisation qui commet à l'occasion des crimes contre l'humanité ne suffit pas à fonder une exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier. La Cour a, cependant, formulé une exception à cette règle. Dans l'arrêt Ramirez, elle a estimé que l'appartenance peut à elle seule suffire lorsque l'organisation en question «vise principalement des fins limitées et brutales»[2]. Dans l'arrêt Moreno, cette exception a été donnée comme applicable aux organisations dont «l'existence même [. . .] repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire»[3]. C'est ainsi que, dans l'arrêt Moreno, la Cour a estimé que l'appartenance à une police secrète permet à elle seule de conclure à la complicité dans les actes commis par ce service, mais que l'appartenance aux forces militaires d'un État s'opposant par les armes à une guérilla ne permet pas de conclure à la complicité dans les actes commis par les membres de ces forces armées.

Dans l'affaire Bazargan, la Cour a estimé qu'une participation qui n'allait toutefois pas jusqu'à l'adhésion en tant que membre, constituait cependant en l'espèce une «participation personnelle et consciente» à un des crimes prévus à la section Fc) de l'article premier. Le demandeur de statut avait appartenu à la sécurité iranienne et avait assuré la liaison entre ce service et la SAVAK (acronyme désignant l'organisation nationale du renseignement de sécurité), le service de sécurité intérieure du Shah. La Cour a estimé que le demandeur de statut tombait sous le coup de la section Fc) de l'article premier, bien qu'il n'ait pas été membre de la SAVAK. Pour la Cour, une «participation personnelle et consciente» peut être directe ou indirecte, et elle n'exige aucunement l'appartenance formelle à l'organisation qui se livre en fin de compte aux activités incriminées. Le fait de contribuer sciemment à ces activités, quel que soit le mode de cette participation, ou le fait de les rendre possibles, suffit à constituer la complicité:

La complicité [. . .] «dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en ont». Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération[4].

Aux termes de la Convention, les crimes de guerre n'existent que dans le contexte d'une guerre interétatique. Les crimes contre l'humanité, par contre, peuvent avoir lieu en l'absence de conflit armé entre États. Ce type de crime peut comprendre une situation dans laquelle sont victimes les propres nationaux de l'État en question. En règle générale, les deux types de crime exigent, du moins au début, que l'État en question les ait soit commis, soit tolérés[5]. Il s'agissait, dans les affaires Ramirez et Moreno, de personnes ayant appartenu aux forces armées de leur pays respectif.

Dans l'arrêt Sivakumar, la Cour d'appel a eu à se prononcer sur une affaire dans laquelle l'État, le Sri Lanka en l'occurrence, était opposé aux actes en question et intéressé à y mettre fin. La Cour a estimé qu'il lui appartenait en l'occurrence de dire si la définition de crimes contre l'humanité exigeait une participation étatique. L'arrêt rendu dans cette affaire concernait un individu qui avait occupé, au sein des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) un poste de direction. La Cour a estimé que si, en règle générale, les crimes contre l'humanité impliquent une participation de l'État, on ne peut plus dire que des individus n'ayant aucun lien avec l'État, et notamment des individus agissant au sein de mouvements révolutionnaires armés ou paramilitaires, échappent au droit international. Il me semble utile de noter que les LTTE contrôlaient à l'époque une partie considérable du territoire du Sri Lanka et étaient par conséquent en mesure de commettre ou de sanctionner des crimes comparables à ceux qu'un État aurait pu lui-même commettre ou sanctionner.

Dans l'arrêt Sivakumar, la Cour a rappelé que l'appartenance à une organisation ne permet pas en soi de conclure à la complicité, et les LTTE n'ont pas été considérés comme une organisation visant principalement des fins limitées et brutales. En ces circonstances, la Cour a estimé que pour qu'un individu tombe sous le coup de la section Fa) de l'article premier, il faut pouvoir lui imputer une complicité dans un crime précis contre l'humanité. En l'occurrence, la Cour a estimé, au vu du témoignage du demandeur, que celui-ci avait connaissance des tueries perpétrées contre des civils et du meurtre par balle de personnes appartenant à des groupes tamouls rivaux. Même en l'absence de preuve d'une participation personnelle de l'intéressé aux crimes en question, la Cour a estimé que les fonctions de direction qu'il occupait au sein des LTTE permettaient de conclure à sa complicité.

Prises dans leur ensemble, les remarques incidentes consignées dans l'arrêt Ramirez (l'appartenance à une organisation «visant principalement des fins limitées et brutales» peut suffire à justifier l'exclusion) et la décision rendue dans l'affaire Sivakumar (des individus ou organisations agissant sans l'approbation ou l'indulgence de l'État peuvent néanmoins commettre des crimes contre l'humanité) ont porté les commentateurs à conclure, et l'avocate du demandeur a faire valoir, que l'appartenance à une organisation terroriste entraîne l'exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier. Je ne suis pas certaine que la jurisprudence ait si nettement écarté le principe voulant que pour qu'il y ait crime contre l'humanité, il faut qu'il y ait eu, pour les actes en question, soit l'approbation soit l'indulgence d'un État ou d'une entité en mesure d'exercer des pouvoirs quasi étatiques. D'après moi, le concept de «crimes contre l'humanité» est né dans le contexte d'actes considérés comme des crimes par l'ensemble des nations sauf par une nation très précise vis-à-vis certains de ses citoyens, en l'occurrence, les citoyens juifs d'Allemagne[6]. C'est ainsi que se justifiait la lutte de la communauté internationale contre ce type de crime. La jurisprudence citée dans le cadre de l'affaire Sivakumar concerne des affaires où un État a fait preuve d'indulgence à l'égard d'actes commis par des individus jugés coupables. Il n'est pas clair dans quelle mesure une organisation peut être en situation de commettre des crimes appartenant à la catégorie des crimes contre l'humanité sans la coopération implicite d'un État ou d'un appareil quasi étatique qui pourra, par exemple, fermer les yeux sur les actes perpétrés par des particuliers. En tout état de cause, pour qu'il y ait crimes contre l'humanité, il faut qu'il s'agisse d'actes «commis de façon généralisée et systématique»[7] [non souligné dans l'original].

En ce qui concerne les activités terroristes, je relève, par exemple, que le United States Board of Immigration Appeals, en 1988, et le Conseil d'État des Pays-Bas, en 1991, ont considéré respectivement qu'un membre d'une organisation de guérilleros et le détournement d'un aéronef ne tombaient pas sous le coup de la clause d'exclusion que constitue la section Fa) de l'article premier[8]. Cela dit, les activités terroristes (les attentats à la bombe contre des cibles civiles, les détournements d'avion) peuvent relever de la section Fc) de l'article premier, et relèvent à coup sûr de la section Fb) de l'article premier. En ce qui concerne la section Fc) de l'article premier, aux pages 1031 et 1032 de l'arrêt Pushpanathan, le juge Bastarache s'est penché sur la question de savoir dans quelle mesure il peut y avoir crime au titre de la section Fc) de l'article premier sans complaisance implicite de l'État. Il a ainsi estimé que:

Quoiqu'il soit plus difficile pour qui n'agit pas au nom de l'État de perpétrer des violations des droits de la personne à une échelle suffisante pour constituer une persécution sans la complaisance implicite de l'État, il ne faut pas écarter cette possibilité a priori. Je le répète, la Cour doit aussi tenir compte du fait que certains crimes expressément déclarés contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ne sont pas limités aux personnes qui agissent au nom de l'État.

La Cour a eu l'occasion de se pencher sur la section Fb) de l'article premier dans l'arrêt Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.). Dans cette affaire, le demandeur s'était vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'en tant qu'ancien partisan du Shah, il s'était lié avec une faction dure d'opposants à Khomeiny et avait personnellement participé à cinq ou six attentats à la bombe et incendies criminels. Il a fait valoir qu'il s'agissait en l'occurrence d'actes politiques qui ne pouvaient pas avoir pour effet de l'exclure au titre de la section Fb) de l'article premier. La Cour (à la page 533) a estimé qu'il s'agissait là d'actes non politiques étant donné qu'«aucun lien logique objectif entre le fait de causer un préjudice aux intérêts commerciaux de certains riches partisans du régime et un but réaliste consistant à provoquer la chute du régime même ou à changer ses méthodes et son orientation»[9].

Des tribunaux d'autres juridictions sont parvenus à des conclusions analogues. Ainsi, dans l'affaire McMullen v. I.N.S., 788 F.2d 591 (9th Cir. 1986), à la page 597, la Cour d'appel fédérale des États-Unis a estimé que:

[traduction] De tels actes dépassent les limites de ce qui peut être considéré comme un «crime politique». Ce genre d'action a pour unique objectif d'introduire le chaos dans la société. L'anéantissement éventuel de l'État est voulu, certes, mais constitue seulement un résultat indirect [. . .] Le problème provient bien sûr du fait que la PIRA est sans nul doute une organisation «terroriste» et les activités en question faisaient partie de son plan, plus général, pour bouter les Britanniques hors d'Irlande du Nord. Le terrorisme s'insère mal dans le complexe échafaudage du droit international [. . .] et il est difficile d'effectuer une distinction utile entre un acte manifestement terroriste et un autre. Cela dit, il y a bien une distinction pertinente qui a force légale depuis de nombreuses années et qui s'applique en l'espèce. Il existe une distinction utile entre les actes terroristes visant des cibles militaires ou des organismes officiels de l'État et des actes de violence aléatoire perpétrés contre des citoyens ordinaires et dont le seul objectif est «d'instaurer le chaos social» [. . .] La distinction entre les actes commis contre les citoyens ordinaires et ceux qui visent des organes officiels est inscrite dans la Common law depuis l'affaire In re Meunier, 2 Q.B. 415 (1894). Voir également Eain, 641 F.2d, à la p. 521; (discussion de Meunier).

Voir également G. S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, aux pages 60 et 61 (1983) et P. Zambelli, The 1995 Annotated Refugee Convention, aux pages 114 et 115 (1995).

Ceci nous amène à la définition d'une organisation selon qu'elle «vise principalement des fins limitées et brutales». Étant donné la notoriété et l'objet singulier du groupe en question, il n'est pas nécessaire de pouvoir attribuer à l'individu qui s'est rendu complice de ce genre d'action des actes précis. Dans ce contexte, il importe d'examiner attentivement les étiquettes. En effet, l'étiquette fait parfois obstacle à l'analyse. Si l'on entend dire que l'appartenance ou l'association étroite à un groupe porte automatiquement à conclure à la complicité de crimes contre l'humanité commis par les membres de ce groupe, il faut que la qualification de l'organisation en question se fonde sur des preuves indubitables. En outre, s'agissant d'un organisme qui évolue avec le temps, il y a lieu de se pencher sur les actions qui peuvent lui être attribuées aux époques où l'individu concerné collaborait avec elle.

Le fait de ne pas avoir évalué la nature de l'organisation et l'étendue de la participation du demandeur de statut

Dans un cas tel que celui-ci, où l'appartenance à une organisation est donnée comme entraînant une présomption de complicité de crimes contre l'humanité, l'analyse des conditions d'exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier, exige:

a) que l'on évalue la nature de l'organisation en question et que l'on examine la question de savoir si l'on peut dire qu'elle «vise des fins limitées et brutales»;

b) que l'on évalue la participation de l'individu en question à l'organisation et que l'on cherche à savoir s'il en était membre ou si sa participation permet de conclure qu'il partageait les objectifs du groupe.

Examinons maintenant les éléments de preuve relatifs à ces deux questions et la décision à laquelle la Commission était parvenue à cet égard.

a)         L'organisation

En l'espèce, les preuves concernant les Moudjahidines proviennent de deux encyclopédies, de lettres encourageant ou approuvant les objectifs des Moudjahidines, d'un rapport du Secrétaire d'État américain au Congrès des États-Unis, de dépêches d'agences et de coupures de presse, y compris des articles de journaux décrivant les déprédations commises à l'ambassade d'Iran à Ottawa, déprédations auxquelles le demandeur de statut avait participé. La Commission et le demandeur de statut disposaient bien sûr d'une masse de preuves documentaires sur l'Iran, preuves implicitement versées au dossier parce qu'évoquées à l'audience, mais ne figurant pas dans le dossier déposé devant la Cour. La Cour n'est pas à même de savoir dans quelle mesure ces documents renferment des renseignements concernant les Moudjahidines.

En tout état de cause, la Commission ne s'est pas livrée à une analyse de la preuve documentaire, mais a insisté particulièrement sur le fait que le demandeur de statut n'avait pas personnellement pris part à des actes pouvant être identifiés de manière précise, évoquant ensuite l'organisation en question considérée comme organisation terroriste. Selon la Commission:

[traduction] J'estime qu'aucune preuve ne démontre que le demandeur de statut a personnellement pris part à de tels agissements. Il est néanmoins admis en droit que la simple appartenance à une organisation qui vise des fins limitées et brutales peut effectivement faire tomber quelqu'un sous le coup de l'alinéa 1Fa). Il convient de relever que les Moudjahidines ont été décrits comme constituant une «organisation terroriste».

L'avocat du ministre soutient que cela aurait dû porter la Commission à conclure que l'organisation appartenait à la catégorie des organisations «visant principalement des fins limitées et brutales» et que la participation à des campagnes de financement de cette organisation constituait un lien permettant effectivement de conclure à la complicité des actes auxquels se livrait l'organisation en question. L'avocate du demandeur de statut soutient pour sa part que si certaines sources donnent effectivement les Moudjahidines pour une organisation terroriste, ce n'est pas le cas de la Commission. Il estime que c'est l'interprétation qui découle implicitement du reste de la décision prononcée par la Commission.

Les deux encyclopédies, la World Encyclopedia of Political Systems and Parties, 2e édition, 1987 et Revolutionary and Dissident Movements: An International Guide (Longman, 3e édition, 1991) décrivent les Moudjahidines comme un mouvement islamique de gauche, né parmi les classes moyennes éduquées d'Iran au début des années 1960. Ses membres s'opposaient au Shah qui, lui, voyait en eux des «marxistes islamiques». Selon une de ces publications, au milieu des années 1970 les membres de l'organisation ont cambriolé des banques, commis des attentats à la bombe contre les bureaux de lignes aériennes, et assassiné plusieurs militaires américains en poste en Iran. En 1975, l'organisation s'est scindée en deux groupes, dont l'un qui prônait l'action armée comme moyen d'atteindre des objectifs politiques. C'est l'autre groupe qui a continué à utiliser le nom de Moudjahidines. Bien qu'ils aient soutenu la révolution iranienne de 1979, les Moudjahidines ont par la suite constitué un important mouvement d'opposition à Khomeiny. Les documents cités font état de manifestations de 150 000 personnes, organisées à Téhéran par des Moudjahidines, et d'un journal partisan tirant à 500 000 exemplaires. Les documents font également état d'actes de violence commis par des membres de l'organisation à l'encontre de cibles gouvernementales, évoquant également des cas où les Gardiens de la révolution ont fait feu sur les Moudjahidines au cours de manifestations organisées par ceux-ci. Par exemple, en juin 1981, les Gardiens de la révolution ont ouvert le feu sur une énorme manifestation de Moudjahidines. Après cela, les Moudjahidines ont commis un attentat à la bombe contre le siège du Parti de la république islamique, tuant 74 dirigeants de ce parti. Le groupe est interdit par Khomeiny en juin 1981. Après cela, les dirigeants de l'organisation se sont repliés sur la France.

À Paris, les dirigeants de ce groupe forment la Coalition nationale de la résistance qui, initialement composée de plusieurs organisations, a fini par ne constituer qu'une autre branche des Moudjahidines. En 1986, les dirigeants des Moudjahidines sont expulsés de France et se rendent en Irak où Saddam Hussein leur donne des terres qui leur permettent d'établir une base militaire. Ils sont appuyés par Saddam Hussein et prennent part, du côté de l'Irak, aux dernières années de la guerre Irak-Iran. Selon un document, le groupe est expulsé d'Irak en 1989 mais, selon d'autres documents, l'organisation continue de mener une guérilla contre l'Iran à partir de sa base en Irak. Selon une des encyclopédies, à partir de 1987, le nombre des adhérents du groupe commence à baisser et il perd une partie de ses appuis lorsque le gouvernement iranien l'oblige à entrer dans la clandestinité. À partir de cette date, la plupart de ses adhérents sont des étudiants vivant en Iran, aux États-Unis ou en Europe.

Le dossier contient également de nombreuses lettres et déclarations, datant de la première moitié de 1995, prônant les objectifs poursuivis par le Conseil national de la résistance. Par exemple, 212 membres du Parlement européen ont signé une déclaration sur l'Iran contenant la profession suivante:

[traduction] Nous sommes convaincus que l'appui que l'on apportera aux aspirations démocratiques du peuple iranien en vue de l'instauration de la démocratie et du pluralisme politique en Iran, aspirations qu'incarne le Conseil national de la résistance, permettra d'accélérer le retour à paix et à la stabilité dans la région[10].

Des déclarations analogues ont été faites par des députés à la Chambre des communes du Royaume-Uni[11], par quinze membres du Congrès des États-Unis[12] ainsi que par un député à la Chambre des communes du Canada[13].

Le document versé au dossier et ayant servi de fondement à la thèse développée par le ministre devant la Commission est un rapport au Congrès, préparé en juin 1994 par le Secrétaire d'État américain. En termes généraux, ce rapport parvient à la conclusion que les Moudjahidines constituent un groupe de guérilleros qui prônent le recours à la force pour atteindre des buts politiques, qu'il s'agit d'un organisme fantoche manipulé par Saddam Hussein, que ses membres cherchent à convaincre les Européens et les Nord-Américains qu'ils forment une opposition crédible à l'actuel gouvernement iranien alors que ce n'est pas le cas, et qu'ils ont ou font semblant d'avoir réduit leur acceptation du recours à la force à l'appui d'objectifs politiques, simplement pour se ménager des appuis politiques en Occident.

Le rapport du Secrétaire d'État américain relève le meurtre en Iran de six citoyens américains, en 1973, 1975 et 1976, notant que des membres des Moudjahidines avaient été, à la suite de ces meurtres, arrêtés et exécutés par le gouvernement du Shah. Selon le rapport, cette organisation a soutenu la prise de l'ambassade des États-Unis à Téhéran, et s'est opposée à la libération des otages américains. Selon le rapport, l'organisation a changé de ligne en 1979-1981, passant du soutien à la révolution iranienne et à Khomeiny à une opposition au régime de celui-ci. Selon le rapport, il s'agit d'une organisation qui se voue au changement politique, et dont les moyens comprennent la lutte armée. Le rapport décrit aussi l'exil des dirigeants à Paris, la formation du Conseil national de la résistance, à l'époque de laquelle les Moudjahidines sont donnés comme contrôlant un certain nombre d'organisations dont l'Association des étudiants musulmans, la Société Tawhidi des Guildes, le Mouvement des enseignants musulmans, l'Union des maîtres de conférence des universités et des établissements d'enseignement supérieur. Le rapport fait état d'une scission au sein de la direction du groupe, les dirigeants actuels se rapprochant de Saddam Hussein. On y trouve une description du passage, en 1986, de la France à l'Irak, déplacement qui, selon le rapport, aurait été accéléré par des pressions iraniennes sur le gouvernement français. En ce qui concerne l'activité des Moudjahidines depuis 1986, on apprend dans le rapport que l'organisation n'a que peu d'initiatives militaires à son actif et que sa principale incursion en territoire iranien à partir de l'Irak remonte à juin et juillet 1988, dans une opération menée de front avec les forces irakiennes. Au premier paragraphe de la partie consacrée aux activités récentes de l'organisation en Iran, l'auteur explique qu'il ne peut ni confirmer ni infirmer l'affirmation, faite par les Moudjahidines, qu'ils ne s'en prennent pas à des objectifs civils:

[traduction] Dans les textes qu'ils distribuent en Occident, les Moudjahidines prétendent ne s'en prendre en Iran à aucun objectif civil. Nous ne sommes en mesure ni de confirmer ni d'infirmer cette affirmation.

Le rapport donne alors une description des émissions de radio diffusées par la «Voix de Mojahed», diffusées en Iran à partir de bases moudjahidines en Irak. Dans ces émissions, les Moudjahidines revendiquent des attaques et des attentats à la bombe.

Je conviens avec l'avocate du demandeur que la Commission n'a pas analysé les éléments de preuve concernant la nature même de l'organisation moudjahidine. Cela dit, il n'est pas immédiatement évident que la preuve permette de conclure qu'il s'agit effectivement d'une organisation «visant principalement des fins limitées et brutales» au sens que prend cette expression dans les arrêts Ramirez et Moreno. Il s'agit, cependant, d'une question qui aurait dû faire, de la part de la Commission, l'objet d'une conclusion explicite.

b)         La participation du demandeur de statut

Selon les documents revêtus de la signature du demandeur de statut, celui-ci a fait partie des Moudjahidines d'octobre 1979 à février 1985. Il a affirmé devant la Commission que la mention «membre» n'était pas de sa main. La Commission a fait état de ce témoignage mais ne s'est pas prononcée à son égard:

[traduction] Selon le formulaire d'immigration du Centre d'immigration du Canada (pièce M-1), le demandeur de statut est un membre de l'organisation. La mention «membre» est à l'évidence consignée dans une écriture différente des mentions apposées dans le reste du formulaire. Le demandeur de statut prétend ne pas avoir écrit le mot «membre». Même si l'on admet que le demandeur de statut a effectivement appartenu aux Moudjahidines en Iran, rien ne permet de dire qu'il se soit livré à des activités terroristes.

Le fait que le formulaire ait été modifié par une mention portée par quelqu'un d'autre, ne veut pas dire que le demandeur de statut n'ait pas consenti à cette modification. Faute de raisons permettant de penser que le formulaire a pu être modifié après sa signature, on peut raisonnablement supposer que la modification a été apportée soit à la demande du demandeur de statut, soit à tout le moins, avec son consentement.

En tout état de cause, que le demandeur de statut ait été ou non membre des Moudjahidines, le ministre demandait à la Commission de tirer certaines conclusions concernant le degré de participation de celui-ci aux activités de l'organisation, sur le fondement du fait que le demandeur de statut s'était à deux reprises rendu au camp militaire de l'organisation, situé près de Bagdad, une fois en 1987 et une autre fois en 1989, et qu'à ces deux occasions il y avait séjourné pendant trois mois, l'ensemble de ses dépenses de déplacement et de séjour étant réglées par l'organisation. Un de ces séjours était pour célébrer la mort de Khomeiny. Les souvenirs du demandeur de statut concernant ces visites semblent avoir été délibérément vagues. Il semble avoir tenté une troisième fois de se rendre dans ce camp, muni d'un faux passeport, aux frais des Moudjahidines, après avoir été accusé d'infractions en rapport avec les déprédations commises à l'ambassade iranienne à Ottawa, en 1992. Alors que, selon la documentation, il a été membre des Moudjahidines de 1979 à 1985, certains éléments démontrent qu'il serait resté étroitement lié à cette organisation au moins jusqu'en 1992. De plus, le demandeur de statut avait, pour soutenir l'organisation, recueilli au Canada des fonds auprès d'Iraniens. Alors qu'il n'a pas reconnu avoir eu connaissance d'atrocités commises par l'organisation, il a reconnu lire le journal Iran Zameen, organe du Conseil national de la résistance qui, selon le ministre, rend compte des atrocités en question. Ce journal n'a cependant pas été versé au dossier déposé devant la Cour et, s'il doit fonder une partie des arguments développés par le ministre, des exemplaires auraient dû en être déposés devant la Commission afin qu'elle puisse décider d'elle-même du genre de connaissances que pourrait procurer sa lecture.

Notons également certaines coïncidences dont on ne sait si elles sont révélatrices. Le demandeur de statut a déclaré que sa participation aux activités des Moudjahidines en Iran était minime, qu'il a été expulsé de l'université en 1980, et qu'il a fait un séjour en prison en marge d'un des attentats à la bombe perpétrés contre le gouvernement Khomeiny. Il a quitté l'Iran pour la Turquie en 1985. Il est arrivé au Canada en 1986, l'année où les Moudjahidines ont été expulsés de France. C'est alors qu'il se rend dans le camp situé aux alentours de Bagdad, et qu'il participe aux déprédations commises à l'ambassade d'Iran à Ottawa, cette participation lui valant condamnation à une peine légère. Il affirme par ailleurs n'avoir joué aucune rôle important au sein de l'organisation en Iran, s'y être surtout intéressé alors qu'il se trouvait en Turquie, sa participation principale aux activités de cette organisation remontant à son arrivée au Canada.

Je conviens avec l'avocate du ministre que la Commission n'a pas cherché à analyser les déclara­tions du demandeur de statut et qu'elle n'a pas appliqué le bon critère lorsqu'elle l'a interrogé pour savoir s'il avait personnellement pris part aux crimes dont il est fait état, au sens où il aurait été physiquement présent sur les lieux de ces crimes, au lieu de lui demander si sa participation n'aurait pas consisté à encourager et à faciliter la commission des prétendus crimes par d'autres personnes. Il ne fait aucun doute que le fait de contribuer au financement de crimes constitue un acte de complicité.

Quels sont les actes constituant des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité?

La Commission a insisté sur les activités menées par l'organisation à l'époque où le demandeur de statut reconnaît avoir été actif au sein de cette dernière, c'est-à-dire au début des années 1980 ainsi qu'aux époques où il se trouvait dans le camp situé au sud de Bagdad, en 1987 et en 1989. La Commission a estimé pour l'essentiel que ces activités ne constituaient ni des crimes de guerre ni des crimes contre l'humanité:

[traduction]

Il me reste à examiner la question de savoir s'il peut s'agir de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Il ressort clairement de la preuve que les Moudjahidines possédaient effectivement une base militaire en Irak et que, au début des années 1980, la faction militaire des Moudjahidines avait lancé des attaques et des contre-attaques contre des cibles industrielles et civiles en Iran. J'estime que de telles actions menées contre des civils sans défense sont moralement condamnables. Il est parfaitement légitime de prendre les armes et de tenter de renverser, par la force militaire, un régime non démocratique, brutal et répressif, dans la mesure où l'on respecte les lois et les coutumes de la guerre. J'estime que c'est la participation à des crimes de guerre qui déclenche l'application de l'alinéa 1Fa).

Cela nous amène aux crimes contre l'humanité. J'estime que, même si, d'après moi, les incidents remontant au début des années 80 commencent à dater, dans leur ensemble, ils ne relèvent point de la définition de «crimes contre l'humanité». Au cours des périodes où le demandeur de statut s'est rendu du Canada en Irak, rien ne me porte à conclure que le personnel militaire des Moudjahidines en poste dans les camps en Irak ait le moindrement participé à des activités que l'on pourrait considérer comme des crimes contre l'humanité. On ne comprend toujours pas très bien pourquoi on a choisi le demandeur de statut pour rendre visite aux Moudjahidines en Irak. J'estime que ses explications à cet égard manquaient de véracité. Cela dit, s'agissant d'exclusion, la preuve incombe au ministre. Je conclus, au vu de l'ensemble des preuves et témoignages, que le ministre ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve. Je n'estime donc pas que le demandeur de statut doive se voir refuser le statut de réfugié au sens de la Convention. [Non souligné dans l'original.]

Selon l'avocate du demandeur, la Commission ne peut pas conclure à la fois que le groupe a mené des attaques contre des objectifs civils et qu'il a respecté les coutumes de la guerre. Les attaques contre des objectifs civils constituent, par définition, une violation des coutumes de la guerre (même si cela n'est pas vrai d'attaques menées contre des objectifs militaires ou gouvernementaux et à l'occasion desquelles des civils peuvent avoir été tués accidentellement). L'avocate du demandeur soutient également qu'en matière de crimes contre l'humanité, ce ne sont pas seulement les époques auxquelles le demandeur de statut s'est personnellement trouvé dans les camps militaires qui comptent. Ainsi que nous l'avons noté, il est possible de se rendre complice d'un crime sans être présent sur les lieux de celui-ci, par exemple en participant à son financement.

 Je dois accueillir l'argument de l'avocate du ministre selon lequel la décision de la Commission semble contradictoire à de nombreux égards et ne se fonde pas sur les bons critères. Je suis convaincue que, dans une grande mesure, cela s'explique par les incertitudes du droit en ce domaine. Comme nous l'avons noté plus haut, les traits caractéristiques qui font d'un crime de droit commun un crime contre l'humanité n'ont pas été nettement articulés. La description suivante est citée dans l'article de Rikhof[14]:

[traduction] Des infractions isolées n'ont pas été considérées comme relevant du concept de crime contre l'humanité. En règle générale, pour transformer des crimes de droit commun, punissables en droit interne, en crimes contre l'humanité auxquels s'intéresserait également le droit international, il fallait des actions systématiques, surtout si ces actions étaient menées par les autorités. Seuls les crimes qui, en vertu de leur ampleur et de leur sauvagerie, ou de leur grand nombre ou du fait que les mêmes comportements ont eu lieu à des époques ou des lieux différents, mettaient en péril la communauté internationale ou choquaient la conscience de l'humanité, justifiaient l'intervention des États autres que ceux sur le territoire desquels les crimes en question avaient été commis ou dont les nationaux avaient été victimes. [Non souligné dans l'original.]

Il n'est pas immédiatement évident que la documentation versée au dossier permette de conclure que les activités de l'organisation répondent à ce critère, voire au critère moins exigeant exposé dans l'arrêt Sivakumar, et selon lequel il doit s'agir de crimes «commis de façon généralisée et systématique».

Conclusion

La Cour s'est demandée si, à la lumière des considérations exposées ci-dessus, elle devait conclure en l'espèce que la décision en cause était fondée, même si les motifs exposés à son appui ne reflètent pas l'analyse à laquelle il convenait de procéder. Après longue réflexion, j'ai décidé cependant qu'il y a lieu en l'espèce d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire pour nouvelle audition devant une autre formation de la Commission. Il n'appartient pas à la Cour de substituer sa décision à celle qu'aurait dû rendre la Commission. Le témoignage du demandeur de statut soulève des questions de crédibilité. Il y a également des questions concernant certains éléments de preuve documentaire qui n'ont pas été déposés devant la Cour, et auxquels celle-ci ne pouvait pas facilement avoir accès. Il y a des questions à la fois de fait et de droit qui doivent être tranchées. L'analyse juridique qui s'impose profiterait d'un examen plus approfondi de la question de savoir dans quelles circonstances, en droit international, on a considéré qu'un crime relevait de la définition de crimes contre l'humanité, notamment à la lumière de l'arrêt Pushpanathan et des instruments internationaux applicables, ainsi que de décisions rendues dans d'autres juridictions. L'avocate du demandeur aura, dans le cadre d'une nouvelle audition, l'occasion de faire valoir ce type d'analyse devant la Commission.

Par conséquent, la Cour ordonne l'annulation de la décision contestée et son renvoi pour nouvelle audition. Les avocats des deux parties ont convenu que les circonstances de la présente affaire n'imposent la certification d'aucune question à porter en appel.



[1] Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 1979, par. 149, aux p. 38 et 39; G. S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, (Oxford, 1983), aux p. 61 et 62; cité dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 (C.A.), par le juge Marceau, J.C.A., aux p. 607 et 608; L. Waldman, Immigration Law and Practice (Toronto, 1992); J. C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, 1991); et HCNUR Legal Project in Canada, note no 5 [Determination of Refugee Status of Persons Connected with Organizations or Groups which Advocate and/or Practice Violence], par. 16, à la p. 4.

[2] [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), à la p. 317.

[3] [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), à la p. 321.

[4] (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.), à la p. 287

[5] J. Rikhof «Crimes against Humanity, Customary International Law and the International Tribunals for Bosnia and Rwanda» (1995-96), 6 N.J.C.L. 233, à la p. 242.

[6] E. Schwelb, «Crimes Against Humanity» (1946), 23 Br.Y.B.I.L. 178, aux p. 197 et 198.

[7] [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), à la p. 443.

[8] Supra, note 5, à la p. 253 (note 70).

[9] «Dans l'application du premier volet du critère du caractère accessoire, c'est une chose que d'accepter que les crimes de l'appelant ont été commis dans le contexte général d'une opposition violente contre le gouvernement; c'est une toute autre chose que de tolérer l'utilisation de la force meurtrière contre des cibles commerciales civiles non armées, dans des circonstances où il est inévitable que des innocents seront tués ou grièvement blessés. Des actes de violence de ce type sont totalement hors de proportion avec tout objectif politique légitime» [[1995] 1 C.F. 508 (C.A., à la p. 534].

[10] Dossier du tribunal, à la p. 290.

[11] Id., à la p. 291.

[12] Id., à la p. 291.

[13] Id., aux p. 287 et 288.

[14] Supra, note 5, à la p. 258.

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