Cioroianu Florian c. l'Etat belge

COMMISSION PERMANENTE DE RECOURS DES REFUGIES,

Audience publique du 21 janvier 1993

En cause de:

NOM, PRENON: CIOROIANU Florian

NE A: Waiova LE: 19.05.1955

NATIONALITE: roumaine

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et son Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés;

Vu la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, modifiée par la loi du 14 juillet 1987 et par la loi du 18 juillet 1991;

Vu l'arrêté royal du 18 octobre 1990 fixant la procédure devant la Commission permanente de recours des réfugiés modifié par l'arrêté royal du 25 septembre 1991;

Vu la décision (CG/89/8943/RA0994) du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides notifiée le 12 décembre 1990;

Vu la requête introduite auprès de la Commission par pli recommandé à la poste le 20 décembre 1990;

Vu les convocations notifiées aux parties en date du 29 décembre 1992 pour l'audience du 21 janvier 1993;

Entendu la partie requérante en ses dires et moyens à l'audience du 21 janvier 1993;

Considérant que le requérant, qui a quitté la Roumanie en octobre 1989 a occupé des fonctions importantes en tant qu'ingénieur civil spécialisé dans les technologies de pointe relatives à l'informatique et l'automatisation dans diverses entreprises dont notamment l'Institut de Recherche Scientifique à Bucarest qui a été chargé dès fin 1988 de concevoir un système d'automatisation et de sécurité de la résidence de l'ex-président N. Ceaucescu;

Considérant qu'avant d'en arriver à être personnellement chargé de la conception de ce système de sécurité, le requérant invoque un passé professionnel caractérisé à la fois par l'attribution de responsabilités importantes en raison de ses qualifications et par l'accumulation de mesures de pressions et de menaces qui se sont intensifiées au point de l'amener à fuir son pays;

Qu'en effet, entre 1982 et 1985, la requérant, qui occupait des fonctions de coordination dans une entreprise d'exploitation pétrolifère (carottage) fut contraint d'établir des rapports de productivité d'entreprise conformes aux objectifs du plan mais loin d'en refléter la situation réelle;

Que ce faisant, le requérant réalisait pleinement la danger de sa position qui lui imposait d'être l'auteur de ces résultats falsifiés et le responsable de la falsification en cas de détérioration trop importante ou même en cas d'accidents;

Qu'ainsi, c'est dans l'intention de se protéger que le requérant prit l'initiative de faire connaître aux plus hauts responsables de l'entreprise ainsi qu'au Président Ceaucescu lui-même, la situation économique et technologique réelle de cette entreprise, ce qui revenait à publiquement dévoiler (et condamner) des méthodes d'exploitation et de gestion qui pourraient s'avérer dangereuses et pour lesquelles le requérant refusait d'endosser une quelconque responsabilité;

Que cette dénonciation aboutit à l'intervention du Comité central du Parti Communiste qui chargea une Commission spéciale d'enquêter sur la personne du requérant;

Que plusieurs rapports ont été rendus par cette Commission;

Que le requérant décrit cette période comme étant celle d'un étouffement progressif dans la mesure où perpétuellement surveillé il lui était devenu impossible d'obtenir un changement d'affectation ou même de remettre sa démission;

Que ce n'est que finalement pour des motifs de santé qu'il a pu démissionner de l'entreprise;

Que, pour éviter une condamnation pour a "parasitisme" le requérant qui, en dépit de ses qualifications, ne parvenait pas à retrouver du travail stigmatisé par la Securitate et le parti dans sa ville d'origine, décida d'entreprendre un cycle d'études en mathématique à l'Université de Craiova;

Considérant qu'après avoir réussi. les examens d'entrée à l'Institut de recherche scientifique de Bucarest, le requérant fut contraint d'accepter d'occuper un poste de travail dans une filiale de cet institut située à Craiova;

Que cette réaffectation du requérant dans sa ville d'origine constituait un nouveau moyen d'établir un plus grand contrôle sur ses activités professionnelles et académiques;

Considérant que lorsque le requérant fut chargé de concevoir le système de sécurité automatisée de la résidence présidentielle, il lui est apparu clairement que la nature de Cette mission, intrinsèquement liée à la sécurité de l'Etat, pouvait aboutir à son élimination une fois la tâche accomplie;

Qu'à ce moment il a envisagé son départ du pays;

Que l'obtention en octobre 1989 d'un visa de 15 jours pour la Bulgarie, à titre de récompense pour le système mis sur pied, était dès lors l'occasion unique pour fuir son pays;

Considérant que la Commission constate que l'ensemble des documents déposés au dossier atteste la crédibilité du récit du requérant;

Que ces documents mettent en évidence l'enfermement progressif du requérant dans un réseau de liens étroits qui se sont développés à Craiova entre le parti, la Sécuritate, l'Université et l'entreprise dans laquelle il opérait;

Que la Commission estime que la spécificité de la dernière mission qui fût imposée au requérant est susceptible de pouvoir l'exposer, en cas de retour, à des investigations particulières;

Que ces investigations dont le requérant pourrait faire l'objet seraient diligentées dans le domaine de la sécurité de l'Etat, (systèmes automatisée de surveillance);

Que le processus de réforme en cours en Roumanie visant notamment à assurer davantage le respect des garanties procédurales en matière d'atteinte à la liberté individuelle, ne permet pas encore de conclure à l'existence d'une pleine transparence dans le domaine précité de nature à garantir à l'intéressé un traitement équitable;

Qu'en conséquence la Commission conclut à l'existence d'un risque de persécution dans le chef du requérant qui permet de conclure au caractère fondé et raisonnable de la crainte invoquée;

PAR CES MOTIFS:

LA COMMISSION

-           Statuant contradictoirement;

-           Déclare la demande recevable et fondée; Réforme la décision rendue le 10 décembre 1990 par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides;

-           Reconnaît au requérant la qualité de réfugié;

Ainsi délibéré le 21 janvier 1993.

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