Ngalula Bienvenue c. l'Etat belge et Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides

LE PRÉSIDENT F. F. DE LA XIe CHAMBRE,

Vu la demande introduite le 11 juillet 1995 par Bienvenue Ngalula, de nationalité zaïroise, qui tend à la suspension, selon la procédure d'extrême urgence, de l'exécution de la décision confirmant le refus d'accès avec refoulement, prise le 29 juin 1995;

Vu l'ordonnance du 12 juillet 1995, notifiée aux parties, convoquant celles-ci à comparaître le 13 juillet 1995 à 10.30 heures;

Entendu, en son rapport, M. HANOTIAU, conseiller d'Etat, président f.f.;

Entendu, en leurs observations, Me V. LURQUIN, avocat, comparaissant pour la partie requérante et M. L. JANS, secrétaire d'administration, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, M. HENSENNE, auditeur au Conseil d'Etat;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que la requérante présent comme suit les faits de la cause:

"La requérante est mineure d'âge et orpheline.

Le frère de la requérante, Monsieur Kashala Wa Kashala, était employé au service de l'immigration à l'aéroport international de Ndjili.

Il était membre de, l'UDPS et favorisait la fuite des membres de ce parti et d'autres, opposants au régime, lors de leur passage du contrôle frontière de l'aéroport.

Cela lui valut d'être incarcéré pendant deux semaines au camp Tshatshi.

Après son évasion en octobre 1991, il quitta le Zaïre pour la Hollande où il se déclara réfugié politique.

Juste après son départ des militaires passèrent à la maison familiale et saccagèrent celle-ci.

La requérante, alors âgée de 13 ans, ainsi que sa mère et ses frères et soeurs furent battus. Ils décidèrent d'aller se réfugier dans la zone de Kalamu.

La requérante et ses frères et soeurs changèrent de nom et d'école, pour éviter d'être repérés.

La requérante et sa famille réintégrèrent la maison familiale sise dans la zone de Masina en 1994.

A cette époque, la mère de la requérante eût, en avril 1995, un litige avec leurs nouveaux voisins: suite à la chute d'un arbre d'ans la parcelle familiale, la mère de la requérante exigea des voisins qu'ils enlèvent ou taillent la partie de l'arbre surplombant sa parcelle.

Vu l'absence de réaction des voisins, elle chargea une tierce personne de tailler l'arbre. Les voisins mécontents, portèrent plainte. Ils avaient un fils employé à l'auditorat militaire

La mère de la requérante reçut rapidement une convocation à se présenter devant les autorités de la zone.

Elle n'y donna cependant aucune suite. Le 19 avril 1995, alors que la requérante étaient en train de regarder la télévision chez d'autres voisins, des militaires firent irruption dans la maison familiale et tuèrent sa mère.

Suite au décès de sa mère, la requérante partit se réfugier chez un militaire, ami de la famille, le capitaine Mwana, qui habitait dans la zone de Ndjili.

La requérante arriva en Belgique le 16 juin 1995, muni d'un passeport d'emprunt.

Elle se déclara réfugiée le lendemain devant les services de l'Office des Etrangers de l'aéroport de Bruxelles-National.

Elle se vit notifier une décision de refus d'entrée avec refoulement (annexe 25bis) le 20 juin 1995.

Cette décision fut confirmée par la décision attaquée du 29 juin 1995.";

Considérant que la décision critiquée est rédigée comme suit:

"L'intéressée a été entendue le 26 juin 1995 au Centre de transit 127 avec l'aide d'un interprète qui maîtrise le lingala et en présence de son avocat, Maître NSITA Luvengika.

Selon ses dernières déclarations, en 1991, son frère, employé à l'immigration à l'aéroport international de Ndjili et sympathisant de l'UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social), aurait dû fuir le Zaïre après avoir été incarcéré pour avoir facilité le passage des contrôles frontaliers à des opposants recherchés. Après le départ de celui-ci, des militaires seraient passés au domicile familial afin de savoir où il se cachait, auraient brutalisé la famille et auraient pillé la maison. La famille se serait réfugiée pendant plus de deux ans dans la zone de Kalamu. En 1994, ils auraient rejoint leur domicile à Masina sans connaître de problèmes particuliers de la part des autorités. Le 19 avril 1995, sa mère aurait été tuée par des militaires, suite à un conflit de voisinage portant sur la chute d'un arbre sur leur parcelle. Elle se serait réfugiée chez un capitaine, ancienne connaissance de son père, qui aurait organisé son départ du Zaïre, à destination de la Belgique. Elle aurait quitté son pays le 16 juin 1995, munie d'un passeport d'emprunt.

Force est, d'une part, de constater que suite aux événements de septembre 1991, elle-même et les membres de sa famille, n'ont plus connu de difficultés avec les autorités en place pendant plus de trois ans et demi après les faits qui ont suivi le départ de son frère, du Zaïre. Cette constatation se trouve confortée en ce sens que la famille est retournée vivre, en 1994, sans connaître aucun problème, dans la parcelle qu'elle avait fuie en 1991, ce qui est de nature à démontrer l'absence de crainte de persécution sur base de ces événements.

Force est, d'autre part, de constater que l'assassinat de sa mère, événement, certes, douloureux, ne peut se rattacher aux critères de l'art. 1er, par. A, al. 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 dès lors qu'il trouve son origine dans une problématique de conflit de voisinage de laquelle est absente toute crainte raisonnable d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

Par ailleurs, le récit apparaît, sur certains points, peu cohérent.

Ainsi si, durant son audition devant les services de l'Office des étrangers, elle a fait état de passages réguliers des militaires à leur domicile, elle a déclaré ce jour que ceux-ci étaient passés à une reprise et qu'après cela la famille avait fui dans une autre zone sans être autrement inquiétée.

Ainsi aussi, si lors de sa narration du 19 juin 1995, elle a précisé que sa mère avait été tuée lors d'un contrôle, elle a affirmé au Commissariat général que sa mère avait été abattue suite à un conflit de voisinage sans aucun lien direct ou indirect avec les événements de septembre 1991.

Enfin, il y a lieu de relever que la requérante, selon le rapport de la Gendarmerie de l'aéroport de Bruxelles-National (n° 134/5029/M), n'a demandé l'asile que le lendemain de son arrivée dans le Royaume, après s'être entendue signifier une décision de refoulement, ce qui est de nature à remettre en cause l'existence d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951.

De ce qui précède, il ressort que la demande de l'intéressée est manifestement non fondée, parce que l'étranger n'a pas fourni d'élément de nature à établir qu'il existe, en ce qui le concerne, de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, le Commissaire général confirme le refus d'accès décidé par le délégué du Ministre de l'Intérieur le 19 juin 1995.

Le Commissaire général est d'avis que, dans les circonstances actuelles, l'étranger concerné peut être reconduit à la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa déclaration, sa vie, son intégrité physique ou sa liberté serait menacée. Le Commissaire général est toutefois d'avis qu'un refoulement éventuel doit être effectué au regard des principes développés par la Convention relative aux Droits de l'Enfant, du 20 novembre 1989, ratifiée par la Belgique.";

Considérant que la requérante prend un premier moyen de la violation de l'article 62 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs; qu'elle soutient que le commissaire général ne démontre pas "en quoi le fait que la famille soit retournée vivre, en 1994, sans connaître aucun problème, dans la parcelle qu'elle avait fuie en 1991, est de nature à démontrer l'absence de crainte de persécution sur base de ces événements" et qu'il n'explique pas davantage pourquoi il considère que cet assassinat ne trouverait son origine que dans une "problématique de conflit de voisinage de laquelle est absente toute crainte raisonnable d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques"; qu'elle souligne que c'est à cause du problème de voisinage en avril 1995 que les problèmes liés au départ de son frère en 1991 ont été remis au grand jour, ainsi qu'elle l'a déclaré au Commissaire général; qu'elle ajoute, quant aux incohérences relevées par le Commissaire général à propos des contrôles des militaires, que certains faits remontent à 1991, alors qu'elle avait treize ans, et que, pour ce qui est du décès de sa mère, ses récits à l'office des étrangers et au Commissariat général ont évoqué des faits qui, même s'ils ont été inégalement exposés lors de chacune de ces deux auditions, ne sont pas contradictoires; qu'elle fait encore valoir que la circonstance qu'elle n'a demandé l'asile que le lendemain de son arrivée en Belgique, après une décision de refoulement, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève;

Considérant que les motifs invoqués par le Commissaire général sont vérifiés à la lecture du dossier administratif; qu'ils se rattachent à la circonstance qu'à l'Office des étrangers, la requérante n'a rien déclaré quant à un départ pendant près de trois ans hors de la maison, après la fuite de son frère, soit de 1991 à 1994, se bornant à faire état de passages réguliers des militaires à la maison qui provoquaient "la plupart du temps" la fuite des siens et d'elle-même; qu'elle y a seulement déclaré que "le 19 avril 1995, il y a eu de nouveau un contrôle à la maison, nous avons fui mais ma mère qui était restée sur les lieux a été tuée par balles"; qu'à l'Office des étrangers, elle n'a pas davantage fait état de la querelle de voisinage concernant la taille d'un arbre; que ces deux faits ont seulement été évoqués lors de l'audition au Commissariat général; qu'il s'agit là, au moins en ce qui concerne le départ pendant près de trois ans, d'un fait important qu'un enfant de treize à quinze ans ne peut oublier; qu'à lui seul, cet élément suffit à fonder la décision critiquée; que le moyen n'est pas sérieux;

Considérant que la requérante prend un second moyen "de la violation du principe de prudence et du principe en vertu duquel l'autorité administrative lorsqu'elle statue doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause"; qu'elle soutient que le Commissaire général aurait dû prendre en considération la demande d'asile de son frère au Pays-Bas;

Considérant qu'il ressort de l'examen du premier moyen que la décision critiquée est adéquatement motivée; qu'en conséquence le second moyen n'est pas sérieux;

Considérant que l'une des conditions requises par l'article 17, § 2, alinéa 1er des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat pour que la suspension puisse être ordonnée n'est pas remplie,

DECIDE:

Article unique.

La demande de suspension d'extrême urgence est rejetée.

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