Résumé des Préoccupations Passées et Présentes d'Amnesty International

L'action menée par Amnesty International en faveur des droits de l'homme au Portugal remonte à la fondation de l'Organisation elle-même. Depuis sa création en 1981, la section portugaise d'Amnesty International a joué un rôle actif dans les grandes actions menées par l'Organisation ces dernières années, telles que les campagnes contre la torture ou en faveur de l'abolition de la peine de mort. Sur le terrain de la peine capitale, les législateurs portugais ont été des précurseurs puisqu'ils ont aboli ce châtiment en 1852 pour les crimes politiques et en 1867 pour les infractions usuelles de droit commun. La peine de mort a ensuite été prohibée par la Constitution de 1976 et, pour finir, le Code de justice militaire a été modifié en 1977.

Néanmoins, le problème de la torture et des mauvais traitements au Portugal demeure un sujet de vive inquiétude pour l'Organisation. Au cours des dernières années, de nombreux témoignages dignes de foi ont fait régulièrement état de tortures et de sévices, ainsi que, dans certains cas, d'exécutions illégales perpétrées, semble-t-il, par des agents de la force publique.

Nombre de ces affirmations reposent sur des éléments médicaux et médico-légaux fiables. Pourtant, une préoccupante constatation s'impose : dans de nombreux cas, l'appareil judiciaire et administratif s'est montré incapable de prendre des mesures décisives pour venir en aide aux victimes et traduire en justice les responsables de ces crimes. La gravité manifeste de cette situation a été soulignée par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) dans un rapport critique sur le Portugal publié en novembre 1996 : « ...un des moyens de prévention les plus efficaces contre les mauvais traitements commis par les fonctionnaires de l'État consiste à examiner de manière approfondie toutes les plaintes relatives à de tels traitements et à imposer, le cas échéant, les peines requises ; ceci aura un effet dissuasif très fort » (traduction non officielle).

Cependant, Amnesty International sait que c'est précisément cet élément qui fait défaut dans la situation actuelle. En novembre 1993, le Comité des Nations unies contre la torture a examiné le rapport initial du Portugal sur l'application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ou Convention des Nations unies contre la torture), entrée en vigueur en mars 1989. Le Comité a constaté que des mauvais traitements, et parfois des tortures, étaient toujours infligées dans les postes de police et autres lieux de détention dans l'ensemble du pays, que l'ouverture d'enquêtes sur les informations faisant état de tortures et de mauvais traitements était fréquemment repoussée, et que les responsables de ces actes n'étaient pas toujours traduits en justice. Selon le Comité, cette situation, ainsi que la légèreté des peines infligées aux personnes reconnues coupables de torture ou mauvais traitements, donnait « l'impression que les auteurs de tels actes [jouissaient] d'une impunité relative qui [portait] grandement préjudice à l'application des dispositions de la convention ». Amnesty International adhère pleinement à ces conclusions.

La gravité du problème posé par la torture et les mauvais traitements a été de nouveau mise en exergue par le rapport de 1996 du CPT, qui constatait, suite à sa visite de 1995, qu'une « proportion significative des personnes interrogées [affirmaient] avoir été maltraitées pendant leur garde à vue ». Amnesty international considère comme extrêmement préoccupant le fait que la quasi-totalité des principales recommandations concernant les garanties contre la torture, formulées par le CPT suite à sa précédente inspection de 1992, n'avaient toujours pas été appliquées en 1995, et que le Comité n'ait pas estimé pouvoir modifier sa précédente déclaration, selon laquelle « les mauvais traitements infligés en garde à vue constituaient un phénomène relativement répandu ».

Amnesty international adhère totalement à cette déclaration. Les interventions de l'Organisation et les informations qu'elle a publiées reflètent cette situation. Depuis 1993, Amnesty International a publié quelque 26 documents externes portant sur divers aspects de son principal motif d'inquiétude à l'égard du Portugal : la poursuite du recours à la torture et aux mauvais traitements par les agents de la force publique.

Malgré les exigences qui s'imposent à tout État partie à la Convention des Nations unies contre la torture, le système judiciaire et administratif portugais se montre incapable de prendre en charge efficacement ce type d'affaire. Cette incapacité est clairement illustrée par un cas qui remonte à août 1984. Domingos do Couto était alors mort à l'hôpital, quatre jours après avoir été arrêté à la suite d'une altercation avec un membre de la Garde nationale républicaine (GNR). Il avait affirmé avoir été frappé à coups de pied, de poing et de matraque pendant sa détention. L'autopsie révéla qu'il avait quatre côtes fracturées, la poitrine couverte d'ecchymoses, apparemment provoquées par des coups de matraque, et qu'il présentait des lésions au niveau du cœur. La plainte déposée par la famille de la victime auprès du procureur avait été transmise en novembre 1984 au tribunal militaire compétent pour que des poursuites soient engagées. Neuf ans se sont écoulés sans résultat et finalement, en 1993, Amnesty International a été informée que l'enquête avait été close à la demande de l'officier commandant la région militaire du Nord. Les représentants du ministère public n'ont expliqué ni comment, ni par qui les blessures de Domingos do Couto avaient été infligées en détention, ni dans quelles circonstances il est décédé.

Il est relativement rare que les criminels soient traduits en justice, même lorsqu'il s'agit de crimes graves et étayés par des éléments de preuve médicaux. Lorsque tel est néanmoins le cas, les peines infligées sont si bénignes qu'elles renforcent l'atmosphère de "relative impunité" mise en évidence par le Comité contre la torture. En juin 1992, un tribunal civil d'Oporto a condamné un agent de la police de sécurité publique (PSP) pour coups et blessures infligés à un jeune homme en octobre 1990. Paulo Jorge Gomes Almeida et un de ses amis affirmaient avoir été menacés par un homme portant une une arme à feu. Ils se sont rendus au poste de police pour déposer plainte lorsqu'un agent en uniforme a saisi Paulo Jorge par le cou et l'a projeté à travers une baie vitrée. Le jeune homme a été conduit à l'hôpital où il a reçu 59 points de suture au bras. En outre, il a été défiguré à vie. Condamné par le tribunal à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis, le policier a ensuite été amnistié. Un second policier, impliqué dans cette même affaire, a été pour sa part acquitté. Francisco Carretas et un de ses amis ont été arrêtés par la GNR en février 1992, à Almada. Victime de mauvais traitements, Francisco Carretas a dû être transporté à l'hôpital, où il a été traité pour une fracture du coccyx et des blessures au cou, à l'oreille droite, au cuir chevelu, aux fesses, à la poitrine, aux côtes et à la colonne vertébrale. Son ami souffrait également de blessures au niveau de la cage thoracique et du dos. En mai 1995, un tribunal militaire a condamné cinq policiers pour recours « non nécessaire à la force ». Ces hommes ont été relâchés en attendant qu'il soit statué sur leur appel et, en décembre 1995, le tribunal militaire suprême a confirmé la sentence, les condamnant à neuf mois d'emprisonnement. D'après certaines sources, cette décision a depuis fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant la cour constitutionnelle.

Amnesty International est d'autant plus préoccupée que, dans certains cas, les condamnations pour mauvais traitements sont liées à des persécutions racistes. Alexandre Gravanita, citoyen portugais de race blanche né en Angola, a été appréhendé par un agent de la PSP en décembre 1991, à Setúbal, puis emmené au poste de police. Selon lui, les policiers l'ont frappé à coups de pied et de poing et couvert d'injures racistes. Il a été libéré sans inculpation et a dû être hospitalisé en raison des blessures qui lui ont été infligées. En mars 1993, un agent a été reconnu coupable d'abus de pouvoir et condamné à une peine d'emprisonnement d'un an ainsi qu'à une amende ; un second policier a été déclaré coupable de faux témoignage et condamné à huit mois de détention. Ces deux peines d'emprisonnement ont été assorties d'un sursis et d'une mise à l'épreuve pendant trois ans.

Le 23 mai 1996, Vaz Martins, avocat originaire du Cap-Vert, a rendu visite à un client tard le soir au commissariat de la PSP d'Alfragide, après avoir reçu un coup de téléphone. Il a affirmé qu'après avoir attendu 45 minutes pour voir son client, soupçonné du vol d'un appareil photographique, il avait demandé à l'agent de service pourquoi on le faisait attendre. Une querelle s'ensuivit au cours de laquelle le policier lui demanda s'il était accusé de racisme. Lorsqu'un agent a vérifié son identité, il a apparemment déclaré en guise de commentaire que Vaz Martins était un « étranger ». Après avoir vu son client, Vaz Martins a affirmé que le policier avait brandi une arme à feu et l'avait contraint à quitter le commissariat. Presque deux ans avant ces faits, en mai 1994, Vaz Martins avait affirmé avoir été agressé par un agent dans ce même poste. Selon ses dires, il avait reçu des coups de poing au visage et avait été frappé avec la crosse d'une arme à feu, perdant du même coup la quasi-totalité de l'usage de son œil droit. Également blessé au crâne, il avait dû recevoir 39 points de suture et a depuis subi quatre opérations pour retrouver une vue normale. Selon des articles parus dans la presse, une enquête est en cours.

Les allégations de mauvais traitements reçues par Amnesty International concernent tous les organes chargés de faire respecter la loi et toutes les classes socio-économiques, sans distinction d'âge.

Un éminent avocat de Lisbonne, Duarte Teives Henriques, a déposé une plainte auprès du procureur de la république, affirmant qu'il avait été agressé par trois agents de la PSP en juillet 1995. Il venait, semble-t-il, de contester la légalité de l'ordre d'un des policiers, qui lui avait enjoint de déplacer sa voiture, lorsqu'il a été saisi, projeté au sol, frappé à coups de pied et injurié. Victime d'une fracture à la jambe, il a passé la nuit en cellule avant d'être emmené à l'hôpital. En décembre 1996, une enquête était toujours en cours qui portait à la fois sur les plaintes de l'avocat contre la police et sur les accusations formulées à son encontre par les agents, selon lesquels cet homme aurait refusé d'obéir aux ordres, ne se serait pas identifié, aurait endommagé un véhicule et insulté les représentants de l'ordre.

Un magistrat du Parquet, Antonio Guerreiro, a déposé plainte à la suite de l'agression physique et verbale dont il affirme avoir été victime de la part de quatre agents de la division des transports de la GNR. Il traversait Cascais en voiture, le 30 décembre 1995, lorsqu'un véhicule de la division des transports l'a pris en chasse. Les policiers enquêtaient alors sur une collision entre véhicules. Il a déclaré avoir été frappé à coups de poing, tiré hors de sa voiture puis roué de coups de pied. Il a indiqué qu'il était magistrat, mais les agents l'ont manifestement ignoré et ont refusé de contacter un collègue susceptible de confirmer son identité. Ils ont en revanche suggéré qu'il avait dû être mêlé à un trafic drogue, en raison du type de véhicule qu'il conduisait. Il a été soigné dans un hôpital local et retenu en garde à vue toute la nuit. Les policiers l'ont insulté et menacé. En outre, il aurait été inculpé pour défaut de présentation d'identité et tentative de violences sur un policier. Au mois de décembre 1996, une enquête était en cours.

Amnesty International est également préoccupée par un certain nombre de morts suspectes. En mai 1996, Carlos Rosa a été abattu au poste de la GNR de Sacavém. Un sergent de la GNR a avoué le crime, affirmant entre autres, semble-t-il, qu'il lui avait accidentellement tiré dans la tête en nettoyant son arme. Lorsqu'il comprit qu'il l'avait tué, il le décapita à l'aide d'une machette pour empêcher son identification. Deux semaines plus tard, on découvrit le corps dans un fossé, ainsi que la tête, enterrée dans un champ avoisinant. Selon les informations reçues, l'autopsie n'a toujours pas permis d'établir si la victime était morte par balle ou décapitée, et si elle avait été torturée ou non. Une information judiciaire a été ouverte et le tribunal a placé le sergent en détention provisoire, laissant en liberté cinq autres soldats, également présents à Sacavém.

En octobre 1996, une enquête a été ouverte sur les agissements de trois membres de la PSP à Alcântara. Olivio Almado, un jeune homme de vingt et un ans originaire du Cap-Vert, a été interpellé alors qu'il se trouvait avec un groupe d'amis, le 13 octobre 1996. Les policiers l'on fouillé et lui ont demandé de s'identifier, ce qu'il n'a pu faire, n'ayant pas ses papier sur lui. Il a par conséquent été placé dans un véhicule de la PSP, afin d'être emmené au poste pour s'y identifier. La loi autorise dans ce cas une détention maximale de six heures. Néanmoins, rien n'indique qu'Olivio Almado ait jamais atteint le poste de police, alors que l'enregistrement des arrestations est une obligation légale. Son corps a été retrouvé une semaine plus tard, flottant dans la rivière Tagus, près des quais d'Alcântara. L'autopsie a conclu que la mort était due à une « asphyxie par noyade ». Néanmoins, selon certains articles de presse, l'examen du corps a également permis d'établir la présence de traces de violences nettement visibles, le crâne de la victime ayant été fracturé et son visage présentant des blessures.

Les agents ont affirmé qu'ils ne l'avaient pas conduit au poste de police, contrairement à ce qu'ils avaient annoncé, mais qu'ils l'avaient déposé dans une autre partie de la ville afin qu'il puisse y retrouver des amis. Rien n'indique qu'il les ait jamais rencontrés. La police a justifié cette attitude en soulignant qu'Olivio Almado était un soldat et que l'enregistrement de son arrestation lui aurait valu des sanctions disciplinaires. On attendait toujours les résultats de nouveaux examens médico-légaux.

Ce bref résumé fait clairement apparaître le problème central des tortures et des mauvais traitements, dégénérant parfois en exécutions illégales, évoqués par de nombreuses sources. Cette situation de violations persistantes des droits de l'homme est d'autant plus alarmante que les informations recueillies soulignent le racisme et la formation insuffisante des agents de la force publique, qui se traduisent chez ces derniers par des comportements agressifs et le non-respect des procédures. Face à ce problème, l'approche des autorités administratives et judiciaires se caractérise fréquemment par des atermoiements, une inertie et un manque d'exhaustivité.

Dans son rapport de 1996, le CPT déclarait que « des mesures fermes et sans équivoque [s'imposaient] pour remédier à cette situation ».

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Portugal: A brief perspective on Amnesty International's concerns, past and present. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - mars 1997.

ROUMANIE: Lettre ouverte d'Amnesty International au président, au gouvernement et aux membres du Parlement (Novembre 1996)

À l'occasion des élections présidentielle et parlementaires qui se sont récemment tenues en Roumanie, je vous écris en tant que secrétaire général d'Amnesty International, mouvement mondial composé de bénévoles qui tente d'empêcher les gouvernements de commettre certaines des violations les plus graves des droits de l'homme. À ce moment crucial pour l'avenir de la Roumanie, nous vous demandons de vous engager, à titre personnel et en tant que représentants officiels des autorités, à renforcer la protection des droits de l'homme et à promouvoir le respect des droits individuels de tous les Roumains, indépendamment de leur race, de leur origine ethnique, de leur sexe, de leurs convictions politiques ou de tout autre élément distinctif. Amnesty International espère que les orientations politiques qu'adopteront les autorités roumaines reflèteront un engagement prioritaire en faveur des droits de l'homme.

Amnesty International continue d'être informée de cas d'atteintes aux droits de l'homme en Roumanie, au nombre desquels figurent l'incarcération de prisonniers d'opinion, la torture et les mauvais traitements auxquels sont soumis certains détenus et qui ont parfois causé leur mort, ainsi que l'usage d'armes à feu par des policiers dans des circonstances controversées. Nous résumons ici les principales préoccupations d'Amnesty International en Roumanie.

Des lois propices aux violations des droits de l'homme

Les autorités roumaines ont maintes fois assuré à Amnesty International qu'elles s'engageaient à respecter et à faire respecter intégralement les droits de l'homme. Mais souvent, le gouvernement roumain n'a pas su démontrer cet engagement dans la pratique, notamment dans le domaine législatif. Lorsque la Roumanie a adhéré au Conseil de l'Europe, en octobre 1993, l'Assemblée parlementaire lui a recommandé de mettre les pratiques et le droit roumains en accord avec la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Roumanie s'est ainsi vu conseiller d'amender la législation en vertu de laquelle les juges doivent se soumettre aux instructions de membres du gouvernement. Toutefois, le Parlement roumain n'a pas, à ce jour, modifié les dispositions en question de l'article 19 de la Loi relative à la réorganisation de l'appareil judiciaire.

La discussion parlementaire portant sur la révision du Code pénal est une autre illustration du fossé qui existe entre les engagements en matière de droits de l'homme affichés publiquement par le gouvernement roumain et les progrès réellement accomplis dans ce sens. En effet, le projet de loi sur les amendements au Code pénal présenté devant le Parlement au début de l'année 1996 n'avait de nouveau que le nom[1] Ses dispositions avaient déjà fait l'objet de deux rejets ; de ce fait, elles ne pouvaient plus, d'après la Constitution, être soumises à délibération, sauf modifications[2] La Roumanie s'était notamment engagée auprès du Conseil de l'Europe à amender le Code pénal de sorte que les adultes consentants ayant en privé des relations homosexuelles cessent d'être exposés à des poursuites. La proposition initiale d'amendement de l'article 200, critiquée pour sa formulation vague et ambiguë par les organisations de défense des droits de l'homme locales et internationales, a été adoptée par le Sénat. Le caractère restrictif de cette proposition s'est encore accentué le 10 septembre 1996, lorsque le nouveau ministre de la Justice a remanié le texte dans le sens d'une interdiction complète de tout acte homosexuel[3] Le 1er octobre 1996, le Parlement roumain a adopté le premier amendement à l'article 200. Il s'agissait, semble-t-il, de démontrer aux yeux de l'opinion publique internationale que la Roumanie se conformait pleinement aux recommandations qui lui avaient été adressées, notamment dans la résolution adoptée le 19 septembre par le Parlement européen, au sujet de la dépénalisation des relations homosexuelles en privé entre adultes consentants. Le vote final de cette loi relevait en fait d'un simulacre de démocratie. Le décompte officiel de parlementaires présents dans l'assemblée s'est déroulé en début de séance. À la suite du vote relatif à la ratification du traité roumano-hongrois, il semble que la majorité des élus aient quitté l'assemblée ; ils figuraient néanmoins au nombre des votants favorables au projet de loi sur les amendements au Code pénal.

Les principaux motifs de préoccupation d'Amnesty International en ce qui concerne le Code pénal amendé sont les suivants :

• L'article 200, alinéa 1 du Code pénal amendé sanctionne les actes homosexuels entre adultes consentants « si les faits ont été commis en public ou ont causé un scandale public ». L'alinéa 5 de ce même article rend passible de peines allant d'une à cinq années d'emprisonnement toute personne ayant « incité, par la séduction ou par tout autre moyen, une personne à avoir avec elle des relations homosexuelles, ayant formé des associations de propagande ou fait, sous quelque forme que ce soit, du prosélytisme à cette fin ». Amnesty International craint que ces dispositions ne se traduisent non seulement par la poursuite des incarcérations d'adultes au seul motif de leur participation à des relations homosexuelles privées et librement consenties, mais également par l'emprisonnement de personnes qui auraient simplement exercé leur droit de s'exprimer et de se réunir ou de s'associer librement.

• Un certain nombre d'autres amendements au Code pénal imposent de même des restrictions excessives à la liberté d'expression. L'article 168 interdit « la diffusion, par quelque moyen que ce soit, de faux en tous genres : nouvelles, faits, informations ou documents fabriqués de toutes pièces et destinés à mettre en danger la sécurité de l'État roumain ou ses relations internationales ». L'article 236 qualifie d'infractions de droit commun les « actes publics commis dans l'intention manifeste de diffamer l'État ou une nation ». Amnesty International estime que la formulation de ces dispositions est vague et ambiguë et que leur application pourrait exposer à des poursuites des personnes n'ayant fait qu'exercer leur droit, universellement reconnu, à la liberté d'expression.

• Certaines dispositions de l'article 238, alinéa 1 et de l'article 239, alinéa 1, qui sanctionnent quiconque se rendrait coupable d'outrage à l'endroit d'un agent de l'État, pourraient également constituer une entrave à la liberté d'expression. Le droit des journalistes roumains de diffuser des informations et des opinions sans ingérence des autorités publiques s'en trouverait notamment affecté, de même que le droit des citoyens roumains de prendre connaissance de ces informations et de ces opinions. Un agent de l'État qui se considère victime de propos diffamatoires peut user des recours légaux prévus pour permettre à tous les citoyens, quels que soient leur statut ou leur fonction, de protéger leur réputation. De tels recours ne devraient cependant pas servir à étouffer les critiques proférées à l'encontre des autorités ni à intimider les personnes exprimant des préoccupations légitimes au sujet des actes et des pratiques des autorités publiques.

Amnesty International prie instamment le nouveau gouvernement roumain de revoir ces amendements au Code pénal et d'amorcer la procédure de réforme législative afin de les rendre conformes aux engagements de la Roumanie en vertu des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Certaines dispositions de la Loi n°46/1996 relative à la mobilisation de la population en vue de la défense, promulguée en juin 1996, sont contraires aux principes relatifs à l'objection de conscience reconnus au plan international. La loi en question prévoit un service civil uniquement dans le cas des personnes qui refusent pour des raisons religieuses d'effectuer un service militaire impliquant le port d'armes ; encore est-il prévu que ce service civil s'étende sur vingt-quatre mois, soit deux fois la durée du service militaire habituel. En outre, la Loi n°46/1996 n'apporte aucune précision sur les démarches à effectuer pour exercer son droit à l'objection de conscience, ni sur l'organisation ou les modalités d'accomplissement du service civil. Une décision gouvernementale devrait, semble-t-il, statuer sur cette question, mais elle n'a, à ce jour, pas été promulguée.

Amnesty International considère que les motivations de l'objection de conscience relèvent non seulement de croyances religieuses mais également de convictions éthiques, morales, humanitaires, philosophiques, politiques ainsi que d'autres préoccupations du même ordre. La durée du service civil ne devrait pas venir sanctionner ces convictions personnelles. Or l'Organisation estime que la durée du service civil fixée par la Loi n°46/1996 a un caractère punitif. Elle considère comme des prisonniers d'opinion les objecteurs de conscience qui se voient refuser le droit d'effectuer un service civil susceptible de leur convenir, et qui sont incarcérés en conséquence. Elle engage le gouvernement roumain à amender la loi en question en veillant à ce qu'elle ne contrevienne pas aux normes internationales.

Détention de prisonniers d'opinion

Une personne au moins est actuellement incarcérée du seul fait de son homosexualité. D'après des informations communiquées par la Direction générale des établissements pénitentiaires, un détenu de la prison de Poarta Alba, âgé de quarante-deux ans[4]4, a été appréhendé en novembre 1995 puis condamné par le tribunal de Constantza à deux années d'emprisonnement « pour avoir à plusieurs reprises eu des relations sexuelles avec un autre homme ». Amnesty International le considère comme un prisonnier d'opinion et a demandé sa libération immédiate. L'organisation de défense des droits de l'homme a été informée que les autorités pénitentiaires avaient adressé une requête au tribunal local, demandant sa libération conditionnelle, et qu'il pourrait être relâché prochainement[5] Amnesty International exhorte le gouvernement roumain à demander à un tribunal de se prononcer sur la légalité de cette détention.

Le 25 octobre 1996, un tribunal municipal de Bucarest a condamné Sorin Rosca Stanescu et Tana Ardeleanu respectivement à un an et à quatorze mois d'emprisonnement, au titre de l'article 238, alinéa 1 du Code pénal, pour atteinte à l'honneur d'un agent de l'État. Ils ont été inculpés pour « offense envers le président de la République » à la suite de la publication le 9 mai 1995, dans le quotidien Ziua, d'un article intitulé « Un meurtrier à la tête de la Roumanie » ainsi que de divers autres écrits dans lesquels ils qualifiaient le président d'« agent du KGB ». Sorin Rosca Stanescu et Tana Ardeleanu demeurent en liberté en attendant qu'il soit statué sur leur appel. S'ils devaient être incarcérés, Amnesty International les considérerait comme des prisonniers d'opinion et demanderait leur libération. L'article 238, alinéa 1, est resté inchangé dans le Code pénal amendé.

En attendant la réforme du Code pénal et son alignement sur les normes internationales relatives aux droits de l'homme, Amnesty International engage les autorités roumaines à suspendre les poursuites contre toute personne inculpée en vertu de l'article 168, de l'article 200, alinéas 1 et 5, de l'article 236, de l'article 238, alinéa 1 ou de l'article 239, alinéa 1.

Torture et mauvais traitements infligés par des policiers

En 1996, Amnesty International a attiré l'attention des autorités roumaines sur de nouveaux cas de passages à tabac et de mauvais traitements dont des policiers se seraient rendus responsables. Ces cas viennent étayer les conclusions exposées dans le rapport intitulé Roumanie. Droits de l'homme : engagements non tenus publié en mai 1995, et soulignent qu'il est nécessaire et urgent pour la Roumanie d'appliquer les recommandations formulées par l'Organisation au sujet des enquêtes relatives à des plaintes pour torture et autres mauvais traitements infligés par des policiers.

En octobre 1996, Amnesty International a publié un rapport intitulé Romania : Ill-treatment of minors: Gheorghe Notar Jr, Ioan Ötvös and Rupi Stoica [ Roumanie. Mauvais traitements infligés à des mineurs : les cas de Gheorghe Notar Jr, de Ioan Ötvös et de Rupi Stoica ] qui proposait, entre autres, une analyse de quelques-unes des dispositions de la Loi n°3/1970 relative à la protection de certaines catégories de mineurs. Cette loi permet aux policiers de placer les mineurs suspectés d'une infraction de droit commun en garde à vue pour une durée pouvant aller jusqu'à trente jours. Elle ne définit pas les modalités de cette garde à vue, n'impose aux policiers aucune restriction concernant les interrogatoires auxquels ils soumettent les mineurs ainsi maintenus en garde à vue, et ne les oblige nullement à informer les parents ou tuteurs de cette mesure de rétention. En outre, les parents ou tuteurs ne bénéficient d'aucune possibilité efficace de recours contre cette décision policière. Le gouvernement roumain a adopté, en décembre 1995, un texte destiné à remplacer la Loi n°3/1970, dans lequel les dispositions relatives aux mineurs suspectés d'une infraction de droit commun demeuraient inchangées. Toutefois, ce projet de loi n'avait fait l'objet d'aucun débat devant le Parlement. Amnesty International engage le gouvernement roumain à réviser la Loi n°3/1970 et à suivre les recommandations formulées dans son rapport.

Amnesty International se félicite de l'attitude du procureur général de Roumanie, qui s'est montré prêt à tenir compte de ses préoccupations. Des procureurs militaires enquêtent actuellement sur la plupart des cas que l'Organisation a portés à leur connaissance ; par ailleurs, un nombre croissant de rapports d'enquêtes et de documents médicaux, tels que des rapports d'autopsie, ont été mis à la disposition d'Amnesty International. Toutefois, les enquêtes se trouvent souvent ralenties, du fait des procédures judiciaires en vigueur et en raison de l'organisation complexe du ministère public et de la police. Il arrive fréquemment que l'enquête initialement confiée à un procureur militaire local soit examinée à Bucarest et renvoyée en vue de vérifications supplémentaires. De ce fait, les éléments de preuves sont plus difficiles à rassembler. En outre, les victimes et les témoins sont davantage exposés à des manœuvres de harcèlement de la part de policiers responsables d'atteintes aux droits de l'homme ; en effet, il est rare que les agents de police soient suspendus pendant la durée de l'enquête.

L'Organisation a également reçu des informations faisant état de mauvais traitements infligés à des Rom (Tsiganes), notamment à l'occasion de descentes policières organisées officiellement pour appréhender des suspects de droit commun. Les victimes rom qui se sont fait connaître auprès d'Amnesty International sont de plus en plus nombreuses à avoir subi des tentatives d'intimidation ainsi que d'autres formes de harcèlement de la part des agents de la force publique qui mènent l'enquête sur leurs plaintes. Amnesty International constate avec inquiétude que ces faits témoignent de la persistance des atteintes aux droits de l'homme en Roumanie, et qu'en outre, l'impunité manifeste dont jouissent les agents de la force publique dans de telles circonstances révèle que les autorités elles-mêmes cautionnent les actes et les attitudes racistes.

En septembre 1995, le Comité européen pour la prévention de la torture s'est rendu en Roumanie et a transmis au gouvernement un rapport assorti de certaines questions. Amnesty International demande instamment au gouvernement roumain de publier ce rapport et de mettre rapidement en application toutes les recommandations qu'y formule le comité.

Usage d'armes à feu par des policiers dans des circonstances controversées

Amnesty International s'inquiète du nombre croissant d'incidents au cours desquels des membres de la police ont tiré sur des personnes non armées, qui n'étaient pas soupçonnées d'avoir commis un crime particulièrement grave et qui n'avaient pas mis en danger la vie des policiers en question, ni d'aucune autre personne. En 1995 et en 1996, l'Organisation a engagé les autorités roumaines à enquêter sur plusieurs incidents de ce type, dont certains ont entraîné la mort de la victime. Toutefois, les procureurs roumains n'ont engagé de procédure pénale que dans l'un de ces cas. Toutes les autres plaintes déposées à l'encontre de policiers ayant fait usage de leur arme pour interpeller un suspect non armé semblent avoir été classées sans suite. Amnesty International a été informée, à deux reprises, que ces méthodes policières passaient pour légitimes. En vertu de l'article 19-d de la Loi n°26/1994 relative à l'organisation et au fonctionnement de la police roumaine, un agent de police est autorisé à recourir à une arme à feu « pour appréhender un suspect pris en flagrant délit qui tente de s'échapper alors que la police lui a intimé l'ordre de rester sur les lieux de l'infraction ». Amnesty International s'inquiète de ce que cette loi semble contraire aux principes 4 et 9 des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et à l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois et exhorte le gouvernement roumain à engager une procédure de révision.

Réfugiés et demandeurs d'asile

Alors que la Roumanie est partie à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, la Loi n°15/1996 relative au statut et au régime des réfugiés en Roumanie, promulguée en avril 1996, n'est pas conforme aux normes internationales. L'opinion d'Amnesty International à ce sujet est partagée par le bureau roumain du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Amnesty International a recensé des cas récents de demandeurs d'asile refoulés ou menacés de refoulement. En mars 1996, le demandeur d'asile Hussain Kamil, qui avait été incarcéré en raison de ses activités politiques en Syrie entre 1987 et 1994, et était considéré par l'Organisation comme un prisonnier d'opinion, a été renvoyé de force en Syrie, depuis l'aéroport d'Otopeni où il était détenu. À son arrivée, il a été immédiatement arrêté et aurait été torturé.

Amnesty International exhorte les autorités roumaines à se conformer aux obligations relatives au principe de non-refoulement prévues dans l'article 33 de la Convention de 1951, qui interdit le renvoi d'une personne dans un pays où elle court le risque de subir de graves violations des droits de l'homme. Dans cette optique, l'Organisation engage les autorités roumaines à abroger les dispositions de l'article 6 de la Loi n°15/1996, qui fixent à dix jours le délai maximal pour déposer une demande d'asile, et à garantir l'adoption de règles de procédure minimales relatives à l'attribution du statut de réfugié politique. Les autorités roumaines devraient ainsi veiller à ce que chaque demandeur d'asile puisse présenter sa demande individuellement, avec l'aide d'un interprète, le cas échéant, et à ce que les responsables de l'attribution de ce statut aient suivi une formation approfondie dans le domaine du droit international relatif aux droits de l'homme et aux réfugiés. En outre, Amnesty International prie instamment les autorités roumaines de mettre fin aux pratiques de détention prolongée de demandeurs d'asile ainsi qu'aux refoulements arbitraires depuis l'aéroport d'Otopeni, et de modifier la législation relative au passage des frontières afin de la rendre conforme aux normes internationales.

Enfin, Amnesty International invite également les autorités roumaines à revoir l'ensemble des recommandations qu'elle leur a adressées dans le rapport intitulé Roumanie. Droits de l'homme : engagements non tenus et à les mettre en application. Ces recommandations portent sur les réformes législatives et judiciaires, sur les enquêtes relatives aux plaintes pour torture et autres mauvais traitements infligés par des agents de la force publique et sur la protection efficace des Rom contre les violences à caractère raciste.

L'Organisation espère que le président, le gouvernement et le parlement roumains accorderont la priorité aux problèmes soulevés dans la présente, et défendront activement des politiques capables de garantir et de promouvoir le respect des droits de l'homme.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Romania: Open letter from Amnesty International to the President, the Government and the Members of the Parliament. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - décembre 1996.



[1]. Ce même texte, ainsi que des amendements à la procédure pénale, avait en effet déjà été soumis au Parlement sous l'intitulé de "projet d'amendements au Code pénal et au Code de procédure pénale".

[2]. L'article 75 de la Constitution roumaine dispose en effet que le second rejet d'un projet de loi est définitif.

[3]. Ces modifications contrevenaient même à la décision de la Cour constitutionnelle roumaine relative à l'article 200, alinéa 1, entrée en vigueur en janvier 1995.

[4]. Amnesty International a communiqué son identité aux autorités roumaines.

[5]. Les délinquants primaires bénéficient généralement d'une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de leur peine d'emprisonnement.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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