Violations des Droits de l'Homme au Sahara Occidental

Introduction

Les forces de sécurité marocaines continuent de perpétrer des violations des droitsde l'homme au Sahara occidental. Des prisonniers d'opinion sont détenus pour avoir exprimé leurs convictions sans user de violence, d'autres purgent des peines d'emprisonnement infligées par des tribunaux militaires à l'issue de procès inéquitables. La détention prolongée au secret est très répandue et les nombreuses plaintes pour torture et mauvais traitements ne sont jamais suivies d'enquêtes.Plus de 300 Sahraouis, dont certains avaient "disparu" depuis seize ans, ont été libérés en 1991 par les autorités marocaines. On reste toutefois sans nouvelles de plusieurs centaines d'autres personnes "disparues" après leur arrestation, dans certains cas depuis 1975. Aucune enquête n'a été effectuée sur la "disparition" des personnes libérées en 1991 de centres de détention secrets ni sur la mort de très nombreux "disparus". Les familles des prisonniers morts en détention secrète et les anciens "disparus" n'ont reçu aucune compensation. Certains des anciens "disparus" ont été de nouveau arrêtés et détenus pendant plusieurs mois. La situation des droits de l'homme s'est sensiblement améliorée au Maroc au cours des cinq dernières années. Plusieurs centaines de prisonniers d'opinion et de "disparus" ont recouvré la liberté, et des condamnations à mort ont été commuées.Amnesty International a favorablement accueilli ces initiatives et elle a appelé les autorités marocaines à prendre de nouvelles mesures pour améliorer la situation des droits de l'homme au Maroc et au Sahara occidental.

Amnesty International n'a cessé, depuis une vingtaine d'années, de recueillir des informations sur les violations des droits de l'homme commises au Sahara.[1] L'Organisation a adressé de nombreuses recommandations au gouvernement marocain, attirant l'attention des autorités sur ses préoccupations persistantes quant aux violations présentes et passées des droits fondamentaux, et l'appelant à prendre des mesures pour y remédier, conformément aux obligations découlant des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Maroc a ratifiés.[2]

Ces violations, qui ont commencé après l'annexion du Sahara occidental par le Maroc en 1975[3], n'ont pas cessé malgré la présence depuis 1991 de la Mission des nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidenta (MINURSO).[4] Amnesty International est préoccupée par le fait que le mandat de cet organisme ne comporte pas de dispositions globales concernant la surveillance de la situation des droits de l'homme, les enquêtes sur les violations de ces droits et la dénonciation de tels agissements. Elle déplore que les garanties limitées relatives aux droits de l'homme contenues dans le mandat de la MINURSO ne soient pas respectées. Depuis les années 70, l'Organisation n'a cessé de faire part de ses préoccupation au gouvernement marocain. Depuis 1992, elle appelle les Nations unies à faire en sorte que les garanties relatives aux droits de l'homme inscrites dans le mandat de la MINURSO soient respectées. Elle réclame en outre un élargissement de ce mandat par l'inclusion de nouvelles dispositions relatives à la protection des droits de l'homme. Les Nations unies n'ont pris jusqu'à présent aucune initiative dans ce sens. Des mesures concernant la situation des droits fondamentaux au Sahara occidental doivent être prises de toute urgence sous peine de voir la MINURSO rester le témoin silencieux des violations de ces droits.

Amnesty International ne prend position ni sur les revendications concernant leSahara occidental – le Maroc revendique la souveraineté sur ce territoire tandis que le Front Polisario réclame la création d'un État indépendant – ni sur lesquestions liées au référendum sur l'avenir de ce territoire. Les préoccupations de l'Organisation concernent uniquement les violations des droits de l'homme relevant de son mandat ; parallèlement, les préoccupations quant à la MINURSO tiennent uniquement au fait que cet organisme ne protège pas les droits fondamentaux au Sahara occidental.

Le présent rapport expose en détail des cas de violations des droits de l'homme signalés au Sahara occidental. Il fait référence à la situation des droits fondamentaux au Maroc afin d'illustrer le caractère systématique des violations et l'évolution de la situation dans ce domaine. Ce texte présente également les préoccupations d'Amnesty International concernant les exactions commises par le passé dans les camps de réfugiés administrés par le Front Polisario à Tindouf, dans le sud de l'Algérie. Les informations fournies dans ce rapport ont été recueillies par l'Organisation, au fil des années, auprès des victimes et de leurs proches, de témoins oculaires, d'avocats, de médecins, de fonctionnaires des Nations unies ainsi que des autorités marocaines et du Front Polisario, entre autres sources. Conformément à la méthode de travail d'Amnesty International, elles ont été vérifiées et recoupées. Étant donné la persistance des violations des droits del'homme au Sahara occidental, l'identité de certaines des victimes ou des sources est gardée secrète afin de protéger les personnes concernées.

Les recommandations adressées aux autorités marocaines, aux Nations unies et au Front Polisario figurent à la fin du présent rapport.

Les "disparitions": un climat de peur, de silence et de dénégation

5. Article 2 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ONU).5La pratique des "disparitions" d'opposants réels ou présumés aux autorités marocaines remonte aux années 60. L'un des cas non élucidés les plus anciens signalés au Maroc est celui d'Abdelhaq Rouissi, syndicaliste "disparu" après avoir été interpellé à son domicile, le 4 octobre 1964. Il a été vu en 1979, en 1983 et en1989 dans des centres de détention secrets ; aucune information n'a toutefois été fournie par les autorités et on reste sans nouvelles de cet homme. De très nombreux Marocains ont "disparu", dans les années 70 pour la plupart, après avoir été arrêtés par les forces de sécurité. Les "disparitions" de Sahraouis ont commencé à la fin de 1975 et se sont poursuivies jusqu'à la fin des années 80. La dernière grande vague de "disparitions" a été signalée en novembre 1987, à l'occasion de la visite d'une mission technique des Nations unies au Sahara occidental. Les hommes, les femmes et même les enfants "disparus" au Sahara occidental depuis 1975 appartiennent à toutes les catégories de la population. Bon nombre d'entre eux ont été emprisonnés en raison de leurs activités présumées en faveur de l'indépendance, de leur soutien au Front Polisario et de leur opposition au contrôle marocain sur le Sahara occidental. Certains ont été arrêtés alors qu'ils tentaient de fuir le Sahara occidental pour se rendre dans les camps de réfugiés installés en Algérie par le Front Polisario. D'autres, notamment des personnes âgées et des enfants, ont "disparu" parce qu'ils avaient des liens de famille avec des opposants réels ou présumés de la politique marocaine au Sahara occidental. Après leur arrestation par l'armée marocaine ou par d'autres branches des forces de sécurité, les prisonniers ont été emmenés dans des centres de détention secrets au Maroc et au Sahara occidental, où ils étaient régulièrement torturés et maltraités, notamment pendant les interrogatoires. À quelques exceptions près, ces prisonniers n'ont jamais été inculpés ni jugés, et ils n'ont fait l'objet d'aucune procédure légale. Certains d'entre eux ont été libérés après avoir passé plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en détention secrète ; des centaines d'autres ont simplement "disparu".

Malgré le secret et la crainte entourant la question des "disparitions", au fur et à mesure que les années passaient, des informations sur des "disparus" qui avaient été vus dans différents centres de détention secrets ont commencé à filtrer. Il reste toutefois difficile d'obtenir des renseignements détaillés, car les quelques familles qui ont reçu des informations sur leurs proches "disparus" hésitent à parler ouvertement de peur de mettre ceux-ci en danger ou parce qu'elles craignent pour leur propre sécurité. Certaines personnes qui avaient tenté d'obtenir des renseignements sur leurs proches ont été elles-mêmes arrêtées ou ont "disparu". La pratique qui consiste à arrêter et à placer des individus en détention en dehors de tout cadre légal, et le fait de priver les détenus et leur famille d'accès aux voies de recours judiciaire découragent les familles de déposer des plaintes, ou de chercher à obtenir des renseignements sur leurs proches.

C'est ainsi qu'El Khader Ayad Daoud et son frère Ahmed Salek ont été interpellés en mars 1976, un mois après l'arrestation de leur père, Mohamed Ayad Daoud, en présence de ses proches le 27 février 1976. Un autre de leurs frères a été arrêté en1977. El Khader, vingt-quatre ans, a été arrêté au Centre pédagogique régional d'Agadir, dans le sud du Maroc, où il se préparait à devenir professeur dans l'enseignement secondaire. Ahmed Salek, dix-huit ans, a été arrêté peu de temps après en présence de ses camarades de classe au lycée d'Inezgane, non loin d'Agadir. La "disparition" de ces jeunes gens, d'abord détenus au commissariat central d'Agadir, s'est déroulée selon le même schéma que celle de centaines d'autres personnes. Après avoir passé quatre mois au centre de détention de Derb Moulay Chérif, à Casablanca, où ils ont été régulièrement torturés, El Khader et Ahmed Salek ont été transférés dans un centre de détention secret situé à Agdz, une petite ville de la vallée du Draa, au sud-est du Maroc. Ils y ont retrouvé leur père, et peu après, les trois hommes ont été transférés dans un autre centre de détention secret, à Kalaat M'gouna (localité située au nord d'Agdz sur la route reliant Er Rachidia à Ouarzazate), dans une vallée pittoresque connue sous le nom de "vallée des roses". Ils y ont été emprisonnés avec des centaines d'autres "disparus", des Sahraouis pour la plupart et quelques Marocains ; tous ces prisonniers ignoraient la raison et la durée de leur incarcération. Six Marocains"disparus" depuis le début de 1976 ont été libérés de Kalaat M'gouna le 31décembre 1984. Ces prisonniers, qui ne savent pas pourquoi ils ont été libérés, ont toujours ignoré la raison de leur incarcération ; les autorités marocaines n'ont jamais reconnu leur détention secrète. En 1985, à l'occasion de la visite du roi Hassan II à Kalaat M'gouna, El Khader, Ahmed Salek et leur père ainsi que les autres "disparus" ont été transférés pendant une dizaine de jours dans un autre centre de détention secret situé à Skoura, non loin de Ouarzazate, avant d'êt reramenés à Kalaat M'gouna où ils sont restés jusqu'à leur libération en juin 1991.

Plus de 40 "disparus" sont morts à Agdz et à Kalaat M'gouna ; chaque décès renforçait la crainte des "disparus" de mourir sans que leurs proches ne parviennent jamais à savoir quand, où ni comment ils étaient morts. Ceux qui continuaient de croire qu'El Khader, son frère, son père et des centaines d'autres "disparus" étaient toujours en vie et qui continuaient de faire campagne en leur faveur rencontraient bien des difficultés. En effet, les autorités marocaines ont nié pendant seize ans avoir connaissance de l'existence d'El Khader, de son frère, de son père et des centaines d'autres personnes incarcérées dans des centresde détention secrets. Étant donné le peu de détails disponibles sur les "disparus", sur les circonstances de leur arrestation et de leur "disparition", et le refus constant des autorités marocaines de reconnaître leur détention, beaucoup de gens doutaient de la réalité des "disparitions" et se montraient par conséquent réticents à évoquer le sort des "disparus" avec les autorités marocaines.

En mars 1986, Amnesty International a soumis le cas de 88 "disparus" sahraouis au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. L'Organisation, qui avait recueilli les déclarations de témoins oculaires confirmant l'arrestation d'El Khader Ayad Daoud, de son frère Ahmed Salek et de leur père Mohamed, a notamment évoqué le cas de ces trois hommes.Ces "disparitions" avaient été soumises aux autorités marocaines lors de la visite d'une délégation d'Amnesty International au Maroc, en février 1981, et une liste des "disparus" figurait dans un rapport publié en 1982 par l'Organisation. Le groupe de travail a rejeté 86 des 88 cas soumis par Amnesty International au motif que les informations disponibles sur ces personnes étaient insuffisantes pour permettre de mener une enquête sur leur "disparition".

En juin 1988, Amnesty International a soumis aux Nations unies le cas de 24 Sahraouis qui avaient apparemment "disparu" après avoir été arrêtés avec des centaines d'autres personnes, en novembre 1987, à l'occasion de la visite d'une mission technique des Nations unies au Sahara occidental. Citons parmi les cas évoqués celui de Ghalia ment Abdallahi ould Mohamed, ingénieur agronome"disparue" après son arrestation, le 20 novembre 1987, à Laayoune. Le sous-secrétaire général aux affaires politiques a répondu, en juillet 1988, qu'il n'avait pas connaissance de l'existence des personnes identifiées comme "disparues".

La libération de certains "disparus"

« Ces prisons ne figurent sur aucune liste détenue par le service de l'administration pénitentiaire du ministère de l'Intérieur. » (Réponse faite en novembre 1990 par la délégation marocaine à une question du Comité des droits de l'homme des Nations unies concernant les centres de détention secrets de Kalaat M'gouna et de Tazmamert).

En juin 1991, plus de 300 "disparus" sahraouis ont été libérés des centres de détention secrets de Kalaat M'gouna et de Tazmamert. Le gouvernement marocain[5] comportant 268 noms de prisonniers libérés parmi lesquels figuraient El Khader Ayad Daoud, son frère Ahmed Salek et son père Mohamed, ainsi que de nombreux autres "disparus" dont les cas avaient été soumis depuis des années par Amnesty International aux autorités marocaines et avaient été rejetés par le groupe de travail des Nations unies en 1986. Bon nombre des personnes qui avaient été arrêtées en novembre 1987 lors de la visite de la mission technique des Nations unies au Sahara occidental, et qui avaient ensuite "disparu", ont également recouvré la liberté en juin 1991 ; ce fut notamment le cas de Ghaliament Abdallahi ould Mohamed.

Les autorités marocaines ont également libéré en 1991 une trentaine de Marocains incarcérés depuis dix-huit ans à Tazmamert, où plus de 30 autres prisonniers étaient morts. Il s'agissait pour la plupart d'officiers de l'armée et d'autres militaires arrêtés à l'issue de tentatives de coups d'État, en 1971 et en 1972. Trois frères ayant la double nationalité française et marocaine ont également été élargis. Le cas de ces prisonniers avait été soumis aux autorités marocaines pendant des années, sans aucun résultat.

Après avoir libéré des prisonniers dont elles avaient dans certains cas nié la détention pendant dix-huit ans, les autorités marocaines ont continué de nier l'existence de centaines d'autres "disparus" dont on reste sans nouvelles. Parmi les personnes qui nient l'existence de "disparus" sahraouis figurent d'anciens responsables du Front Polisario qui ont quitté ce mouvement et soutiennent désormais le gouvernement marocain. Ceux-ci prétendent que les "disparus" sahraouis dont font état Amnesty International et d'autres organisations n'existent pas et que les listes de "disparus" ont été dressées par le Front Polisario à des fins de propagande. Plus de 300 des "disparus" dont ils niaient l'existence ont été libérés en 1991, mais ils continuent d'affirmer qu'il n'y a pas d'autres "disparus". Des centaines de familles sont dans l'impossibilité d'obtenir des informations sur le sort de leurs proches "disparus", dans certains cas depuis vingt ans. Parmi les personnes dont le sort n'a pas été élucidé se trouvent Mokhtar ould M'Barek ould Mohamed ould El Alem Breira, un agriculteur originaire de Hagounia arrêté à son domicile en présence de ses proches, le 7 février 1976, et Tebker ment Sidi Mohamed ould Khattari, une mère de cinq enfants arrêtée en mars 1985 alors qu'elle se rendait d'Ad Dakhla à Laayoune, en compagnie d'une autre femme qui avait également "disparu" et qui a été libérée en juin 1991. Les tentatives des familles de ces "disparus" pour connaître le sort de leurs proches sont restées vaines.

Selon certaines sources, des "disparus" ont été sommairement exécutés peu après leur arrestation et d'autres sont morts pendant leur détention secrète. Quel qu'ait été leur sort après leur arrestation, il doit être élucidé. Les familles ont le droit des avoir. Les proches des nombreux "disparus" morts entre 1975 et 1990 dans les centres de détention secrets d'Agdz, de Kalaat M'gouna et de Laayoune ont le droit d'être informés officiellement du décès de leurs proches et d'être indemnisés. Les autorités marocaines n'ont jamais reconnu officiellement la mort de ces "disparus", et aucune enquête n'a été effectuée pour traduire en justice les responsables de ces "disparitions" et de ces décès. Les familles des victimes n'ont reçu aucune indemnité et ignorent le lieu où leurs proches ont été enterrés.

Les anciens "disparus" : l'impunité dont bénéficient les responsables

« Les victimes d'actes de disparition forcée et leurs familles doivent obtenir réparation et ont le droit d'être indemnisées de manière adéquate, y compris en bénéficiant des moyens qui leur assurent une réadaptation aussi complète que possible. En cas de décès de la victime à la suite de sa disparition forcée, sa famille a également droit à indemnisation. » [6]

Après la libération des anciens "disparus", en 1991, jamais les autorités marocaines n'ont exprimé une quelconque intention d'ouvrir une enquête sur ces "disparitions" et de traduire en justice les responsables. Lorsqu'un ministre des Droits de l'homme a été nommé pour la première fois, en novembre 1993, il a déclaré que des efforts seraient déployés pour indemniser les anciens "disparus" et élucider le sort des personnes dont on restait sans nouvelles. L'année suivante, les anciens militaires qui avaient recouvré la liberté après avoir été maintenus pendant dix-huit ans en détention secrète à Tazmamert ont commencé à percevoir une indemnité mensuelle sous forme d' "aide humanitaire" ou de "pension", mais ils n'ont reçu aucune compensation. Les familles des prisonniers morts à Tazmamert ont reçu des certificats de décès qui ne donnent aucun détail sur le lieu, la cause et les circonstances de la mort de leurs proches. Six civils marocains "disparus" depuis 1976 et libérés de Kalaat M'gouna le 31 décembre 1984, et dont le gouvernement marocain n'a jamais reconnu la détention, continuent d'en appeler aux autorités et de réclamer réparation ainsi que le versement d'une indemnité pour les souffrances endurées pendant les années qu'ils ont passées en détention secrète. Les cas de ces prisonniers et ceux de centaines de "disparus" marocains ont été évoqués à maintes reprises, en vain jusqu'à présent, par les organisations non gouvernementales marocaines de défense des droits de l'homme ainsi que par certains partis politiques marocains. La plupart des anciens "disparus" marocains ne peuvent quitter le Maroc, et au moins deux d'entre eux ont été arbitrairement incarcérés en 1995.

Vu le caractère politiquement sensible de la question du Sahara occidental, le sort des "disparus" sahraouis n'est que très rarement évoqué en public au Maroc. Les familles des prisonniers morts en détention secrète ou "disparus" ne peuvent évoquer le sort de leurs proches car elles craignent pour leur propre sécurité. Les seules personnes à s'être exprimées sont celles qui ont réussi à quitter le Sahara occidental ou qui ont fourni des informations à condition que leur identité ne soit pas révélée tant qu'elles se trouveraient au Sahara occidental ou au Maroc. La plupart des "disparus" sahraouis qui ont été libérés en 1991 restent pratiquement coupés du monde extérieur. Leur droit à la liberté d'expression, d'association et de mouvement est fortement restreint. Ils n'ont reçu ni indemnité ni réparation pour les tortures et les mauvais traitements qui leur ont été infligés pendant les années passées en détention secrète.

Une ancienne "disparue" sahraouie libérée en juin 1991 a fait le récit suivant :

« Je n'avais que vingt-six ans et j'étais en bonne santé au moment de ma "disparition". J'étais très malade quand j'ai été libérée et je n'ai pas pu me faire soigner ; d'autres [anciens "disparus"] qui étaient dans un état encore pire n'ont pas non plus été soignés. Je me suis remise peu à peu mais je sais que je ne serai jamais totalement guérie, ce ne sont pas seulement les douleurs physiques que je ressens toujours, c'est la peur que tout recommence qui ne me quitte jamais et je crains de ne plus revoir ma famille. D'autres femmes "disparues" avec moi et qui ont été libérées en même temps ont de nouveau été arrêtées et ont "disparu" pendant plusieurs mois. Je prie pour que cela ne m'arrive pas. Je pense à ceux qui sont morts pendant notre "disparition", je voudrais tellement consoler leurs familles mais je ne peux pas le faire parce que c'est dangereux. La surveillance est très stricte pour les familles des "disparus" qui sont morts et celles de ceux qui sont toujours "disparus" et surtout pour nous les anciens "disparus". Je pense que je ne dois pas prendre trop de risques, je suis heureuse d'être de nouveau avec ma famille mais je ne me sens jamais entièrement en sécurité, j'ai toujours l'impression d'être en prison. Je suis sous surveillance constante et je ne peux même pas me rendre dans le village voisin sans une autorisation spéciale qu'il est souvent impossible d'obtenir. »

Les sentiments de peur permanente exprimés par cette ancienne "disparue" sont confirmés par d'autres anciens "disparus" ainsi que par les proches de "disparus", entre autres.

Mahmoud Moulay Ahmed El Othmani, "disparu" depuis neuf ans et cinq mois, a été libéré de Kalaat M'gouna en juin 1991. Comme beaucoup d'autres prisonniers, il était malade et n'avait pas reçu les soins médicaux nécessités par son état. Il n'a pas été autorisé à quitter Laayoune, a été fréquemment arrêté et interrogé par les forces de sécurité et il lui a parfois été interdit de quitter son domicile. Cet homme, qui a réussi à s'enfuir du Sahara occidental à la fin de 1992, a déclaré aux représentants d'Amnesty International :

« Je me suis souvent demandé quel était l'intérêt d'avoir été remis en liberté si je devais continuer à vivre comme dans une prison. J'avais "disparu" pendant tant d'années, et même une fois remis en liberté, je n'étais pas libre. Je voulais rencontrer ceux qui avaient "disparu" en même temps que moi, nous avions partagé beaucoup de choses pendant notre détention secrète et nous étions devenus amis. Nous n'avions pas l'intention de comploter, nous voulions juste passer un peu de temps ensemble, comme le font tous les amis, mais cela nous était interdit. »

Outre les restrictions à leur liberté d'expression, d'association et de mouvement, bon nombre des anciens "disparus" libérés en 1991 ont à nouveau été arrêtés et placés en détention secrète, souvent pendant de longues périodes. C'est notamment le cas d'une femme – Glimina Tayeb Yazidi – et de cinq hommes –Alamine Abdelkader Daagui, Bamba Mohamed Gay, Mohamed Salem Abdelhay, Bachir Atman Hosein Lekhfaouini et Brahim Sbai – arrêtés en novembre 1995, ainsi que de Soukeina Jedahlou, arrêtée en septembre 1992 à Smara au cours de manifestations et détenue au secret pendant dix-huit mois,enfin, de Bachir Lekhfaouni et Sbaha Ahmed Lehbib, arrêtés en 1992 et détenus au secret jusqu'à la fin de 1993. Les proches de ces prisonniers n'ont pu obtenir aucun renseignement à leur sujet pendant leur détention secrète.

L'impuissance de la MINURSO à protéger les droits de l'homme au Sahara occidental

« La MINURSO, en tant que mission des Nations unies, ne peut rester le témoin silencieux d'un comportement susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de la population civile. » (Déclaration du Secrétaire général des Nations unies dans son rapport au Conseil de sécurité, le 26 janvier 1993). [7]

Amnesty International est profondément préoccupée par l'absence de dispositions concrètes dans le mandat de la MINURSO concernant la surveillance de la situation des droits de l'homme et des enquêtes sur les violations, et par le fait que cet organisme ne protège pas les droits fondamentaux des Sahraouis. Le Plan de règlement proposé par le Secrétaire général des Nations unies conformément à la résolution 621, adoptée le 20 septembre 1988 par le Conseil de sécurité[8], renferme toutefois quelques dispositions qui constitueraient des garanties importantes pour les droits de l'homme si elles étaient appliquées :

« Immédiatement après la proclamation du cessez-le-feu, les parties au conflit cesseront toutes leurs opérations militaires, y compris les mouvements des troupes, le renforcement des effectifs, ainsi que les actes de violence ou d'intimidation.[9]

« La responsabilité du maintien de l'ordre public au Sahara occidental durant la période de transition incombera au Représentant spécial du Secrétaire général. Le Représentant spécial fera également en sorte que nul ne puisse user d'intimidation ou s'ingérer dans le processus de référendum.[10]

« Le Représentant spécial recevra l'assistance d'un groupe d'appui des Nations unies comprenant des unités civiles, militaires et de sécurité (police civile) mises à la disposition du Secrétaire général et suffisamment importantes pour permettre au Représentant spécial de s'acquitter de ses fonctions d'organisation et de supervision.[11]

« L'ONU contrôlera d'autres aspects de l'administration du Territoire, notamment le maintien de l'ordre public, pour veiller à ce que les conditions soient réunies pour la tenue d'un référendum libre et régulier.[12]

« Après la proclamation d'une amnistie, les prisonniers politiques seront relaxés et toutes les lois ou tous les règlements qui, de l'avis du Représentant spécial, pourraient entraver le déroulement d'un référendum libre et régulier seront suspendus dans la mesure où le Représentant spécial le jugera nécessaire. »[13]

Ces dispositions, et d'autres, qui auraient pu garantir dans une certaine mesure la protection des droits de l'homme, n'ont toujours pas été appliquées. La période de transition prévue dans le Plan de règlement a été ajournée à plusieurs reprises sur recommandation du Secrétaire général, apparemment en raison de la lenteur du processus d'identification des personnes autorisées à prendre part au scrutin. Par ailleurs, le petit nombre d'agents de la police civile (CIVPOL) déployés à ce jour[14] n'ont reçu aucun mandat pour mener à bien leur tâche. Celle-ci consiste à :

« Superviser les activités des forces de police existantes pour veiller à ce qu'elles agissent en stricte conformité avec les Propositions de règlement et le présent Plan de règlement, lesquels visent à assurer l'organisation d'un référendum libre et régulier, sans contraintes militaires ou administratives, et pour prévenir tout risque d'intimidation ou d'ingérence d'où qu'il vienne. » [15]

On ignore la date à laquelle les CIVPOL seront entièrement déployés et comenceront à remplir leur mandat. Selon le rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité en date du 19 janvier 1996, les fonctions des CIVPOL « se limiteront [jusqu'à nouvel ordre] à fournir une assistance technique à la Commission d'identification et à assurer une présence permanente dans tous les centres d'identification.»[16]

Dans son rapport du 26 janvier 1993, le Secrétaire général avait déclaré que « la MINURSO, en tant que mission des Nations unies, ne peut rester le témoin silencieux d'un comportement susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de la population civile ».

Toutefois, dans la réalité, la MINURSO a été le témoin silencieux des violations flagrantes des droits de l'homme perpétrées au Sahara occidental et elle n'a pas protégé les droits fondamentaux les plus élémentaires. Alors que la MINURSO est sur le terrain pour superviser la préparation du référendum qui doit déterminer l'avenir du Sahara occidental, des centaines de Sahraouis qui ont participé à des réunions ou à des manifestations en faveur de l'indépendance, ou qui sont soupçonnés de telles activités, sont arrêtés par les forces de sécurité marocaines, maintenus en détention secrète des semaines, voire des mois durant ; certains d'entre eux ont été jugés par des tribunaux militaires et incarcérés pour avoir exprimé leur opinion sans user de violence. Les nombreuses plaintes pour torture et mauvais traitements n'ont fait l'objet d'aucune enquête. Des Sahraouis ont été expulsés contre leur gré du Sahara occidental vers le Maroc, d'autres ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir tenté de quitter le Sahara occidental ou le Maroc afin de trouver refuge à l'étranger.

Amnesty International appelle les Nations unies à prendre les mesures nécessaires pour que les garanties relatives aux droits de l'homme figurant dans le mandat de la MINURSO soient respectées. Elle les exhorte à élargir ce mandat de façon à y inclure une disposition concrète permettant la surveillance de la situation des droits de l'homme et l'ouverture d'enquêtes dont les conclusions devraient faire l'objet de rapports sur les violations qui sont signalées.

La persistance des violations des droits de l'homme au Sahara occidental

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » [17]

Au cours des cinq dernières années, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées par les forces de sécurité marocaines au Sahara occidental en raison de leurs opinions ou de leurs activités réelles ou présumées en faveur de l'indépendance. Bon nombre d'entre elles, maintenues en détention secrète pendant plusieurs jours, voire plusieurs mois, sans être autorisées à rencontrer leur famille, auraient été torturées et maltraitées. La grande majorité de ces prisonniers ont été placés en détention secrète en dehors de toute procédure judiciaire. Certains, arrêtés à l'issue de réunions ou de manifestations en faveur de l'indépendance, ont été accusés d'atteinte à la sécurité extérieure de l'État et à l'intégrité territoriale du Maroc. Ils ont été condamnés par un tribunal militaire marocain à des peines allant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement.

En octobre 1992, de très nombreuses personnes – plusieurs centaines selon certaines sources – ont été arrêtées dans différentes villes du Sahara occidental à l'issue de manifestations en faveur de l'indépendance. Parmi elles figuraient quatre jeunes : Kelthoum Ahmed Labid El Ouanat, une femme de vingt et un ans originaire de Smara, Brahim Jouda, Baricallah El Bar et Mohamed Bennou. Deux autres – Salek Bazid et Ali El Gharabi – ont été interpellés le 16 mai 1993. Ces six personnes ont été maintenues en détention secrète sans aucun contact avec leurs proches ni avec le monde extérieur jusqu'au 29 juillet 1993, date à laquelle ils ont comparu devant le tribunal militaire de Rabat. Ils n'ont pas été autorisés à rencontrer leurs avocats avant l'ouverture du procès qui s'est tenu à huis clos. Les avocats marocains qui avaient l'intention d'assister aux débats n'ont pas réussi à connaître la date d'ouverture du procès. Les six jeunes gens étaient accusés d'atteinte à la sécurité extérieure de l'État, et les quatre premiers étaient en outre accusés d'incendie volontaire de biens appartenant à autrui. Ils ont nié les faits qui leur étaient reprochés, affirmant qu'ils avaient été contraints de signer les procès- verbaux après avoir été torturés. Le tribunal n'a pas tenu compte de leurs déclarations.

Dans un témoignage qu'elle a réussi à faire sortir de la prison militaire en 1995, Kelthoum Ahmed Labid El Ouanat a affirmé avoir été soumise à des sévices sexuels et avoir été torturée et battue après son arrestation. Les six accusés ont été condamnés à la peine de vingt ans d'emprisonnement. Transférés après le procès à la prison militaire de Ben Sergaou, non loin d'Agadir, dans le sud du Maroc, ils ont été maintenus au secret jusqu'en novembre 1993, date à laquelle ils ont été autorisés pour la première fois à rencontrer leur famille. Amnesty International les considère comme des prisonniers d'opinion et réclame leur libération immédiate et sans condition.

En octobre 1992, Amnesty International a pris contact avec les bureaux de la MINURSO à Laayoune et à Smara pour solliciter des informations sur les arrestations signalées à la suite de manifestations. Les responsables de cet organisme ont déclaré qu'ils n'avaient pas eu connaissance de manifestations ni d'arrestations survenues au Sahara occidental et ils ont ajouté que si de tels incidents avaient eu lieu, la MINURSO en aurait été informée.

Toutefois, au même moment, les autorités marocaines ont publiquement confirmé que des arrestations avaient eu lieu à la suite de manifestations au Sahara occidental, sans faire état des incendies volontaires. Le rapport du Secrétaire général des Nations unies rédigé en janvier 1993[18] fait également état des manifestations.

Le 11 mai 1995, huit jeunes gens – Ahmed El Kouri, Nebt Ramdane Bouchraya, Arbi Brahim Baba, Cheykhatou Bouh, M'Rabih Rabou Neysan, Abdelhay Lekhal, Mahfoud Brahim Dahou et Salama Ahmed Lembarki – âgés de dix-huit à vingt ans, ont été arrêtés et accusés de participation à une manifestation pacifique en faveur de l'indépendance qui s'était déroulée à Laayoune. Maintenus en détention secrète sans contact avec l'extérieur pendant plus de cinq semaines, ils auraient été torturés et maltraités. Ils ont comparu le 21 juin 1995 devant le tribunal militaire de Rabat pour atteinte à la sécurité extérieure et à l'intégrité territoriale du Maroc.Les accusés ont nié avoir organisé la manifestation ou y avoir participé, et ils ont affirmé avoir été contraints de signer des aveux sous la torture, notamment après avoir reçu des décharges électriques ; aucun enquête n'a été ordonnée.

Selon les aveux faits par les accusés, ils avaient confectionné des drapeaux du Front Polisario et les avaient brandis ; ils avaient également organisé la manifestation et y avaient participé en scandant des slogans en faveur de l'indépendance. Reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés, ils ont été condamnés à des peines comprises entre quinze et vingt ans d'emprisonnement.

Ce procès, l'une des rares fois où des Sahraouis ont comparu devant un tribunal, était le premier auquel ont assisté des observateurs des organisations marocaines de défense des droits de l'homme. Ceux-ci ont dénoncé le déroulement de la procédure, qui n'était pas publique, comme étant contraire aux normes internationales en matière d'équité. Les peines infligées à ces jeunes gens ont été ramenées à un an d'emprisonnement le 9 juillet 1995, à la faveur d'une amnistie royale prononcée à l'occasion de l'anniversaire du roi Hassan II et de la Journée de la jeunesse. Tout en se réjouissant de cette réduction de peine, Amnesty International continue de réclamer la libération immédiate et sans condition de ces prisonniers d'opinion.

L'arrestation et l'emprisonnement d'individus en raison de leur participation réelle ou présumée à des activités pacifiques d'opposition ou en faveur de l'indépendance constituent une violation flagrante des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Maroc a ratifiés. De telles pratiques étaient courantes au Maroc dans les années 70 et 80, période à laquelle des centaines demilitants d'opposition réels ou présumés ont été arrêtés pour atteinte à la sûreté del'État et condamnés à des peines de détention à perpétuité, voire à la peine demort. La situation des droits de l'homme s'était sensiblement améliorée au Maroc après des années de campagnes contre ces violations menées par les organisations marocaines et internationales de défense des droits de l'homme, dont les sujets de préoccupation étaient fréquemment évoqués par les partis d'opposition ainsi que par les syndicats et les médias. Amnesty International a favorablement accueilli les changements positifs intervenus dans la situation des droits de l'homme, notamment la libération des "disparus", des prisonniers d'opinion et des prisonniers politiques condamnés à l'issue de procès inéquitables, la commutation des condamnations à mort et les amendements législatifs introduisant des garanties en matière de droits de l'homme.

Toutefois, au Sahara occidental, étant donné la persistance de l'intimidation, des restrictions et des violations perpétrées par les forces de sécurité marocaines, il est toujours pratiquement impossible de faire campagne contre les "disparitions" et les autres violations des droits de l'homme. Les organisations marocaines et internationales de défense des droits de l'homme ainsi que les médias ne sont pas en mesure d'effectuer des recherches ni de soulever les questions liées aux droits de l'homme et à la liberté d'expression, d'association ou d'activité politique au Sahara occidental. C'est ainsi qu'en septembre 1991, Bella Ma el Ainain, un Sahraoui qui travaillait dans une banque d'Agadir, a été arrêté pour avoir envoyé la télécopie d'un article écrit par un journaliste suisse sur le Sahara occidental. Cet homme, qui a été maintenu en détention secrète pendant plus de quatre mois, aurait été torturé et maltraité ; il a été libéré en janvier 1992.

Les Sahraouis sont soumis à des restrictions très strictes de leur liberté de mouvement, notamment au placement arbitraire en résidence surveillée dans leur ville ou leur village d'origine. La plupart des Sahraouis, notamment les jeunes, ne peuvent obtenir de passeport pour se rendre à l'étranger. Un très grand nombre ont été arrêtés alors qu'ils tentaient de franchir la frontière du Sahara occidental ou du Maroc pour se rendre dans les pays voisins. Parmi les personnes emprisonnées pour ce motif se trouvent quatre jeunes gens condamnés, en octobre 1993, à des peines de cinq ans d'emprisonnement.

La grande majorité des centaines de personnes arrêtées au Sahara occidental ces cinq dernières années n'ont jamais été inculpées et n'ont pas bénéficié d'une procédure régulière. Elles ont été maintenues en détention non reconnue pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sans aucun contact avec leur famille ou le monde extérieur avant d'être remises en liberté sans inculpation. Ces arrestations auraient souvent eu lieu à l'issue d'une distribution de drapeaux du Front Polisario et de tracts favorables à ce mouvement et à l'indépendance. Mais en l'absence de toute procédure légale, le motif des incarcérations reste peu clair. Au cours des cinq dernières années, Amnesty International a sollicité à maintes reprises des autorités marocaines des informations sur le lieu de détention et le statut légal des personnes qui avaient apparemment été arrêtées et placées en détention non reconnue. Aucune réponse n'est parvenue. Dans de nombreux cas, l'Organisation a pu obtenir confirmation de la remise en liberté de ces prisonniers, parfois après plusieurs mois de détention secrète. Les autorités marocaines n'ont toutefois fourni aucun renseignement sur ces incarcérations.

La pratique bien établie des violations des droits fondamentaux perpétrées au Sahara occidental démontre clairement que les mesures prises par le gouvernement marocain pour améliorer la situation des droits de l'homme n'ont pas été appliquées au Sahara occidental. Bien que des personnes continuent d'être arrêtées et incarcérées comme prisonniers d'opinion au Maroc, les personnes interpellées ces trois dernières années à l'issue de manifestations ou de grèves ont été relâchées quelques semaines, voire quelques mois plus tard. Au Sahara occidental, des civils accusés d'avoir organisé des rassemblements ou des manifestations, ou d'y avoir participé ont été jugés par un tribunal militaire pour atteinte à la sécurité extérieure de l'État. Ils ont été condamnés à des peines allant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement qu'ils purgent dans des prisons militaires ; à la connaissance d'Amnesty International, cette pratique n'a cours qu'au Sahara occidental. Le maintien prolongé en détention secrète, désormais rarement signalé au Maroc, reste très fréquent au Sahara occidental.

L'obligation officielle du gouvernement marocain de respecter les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme qu'il a signés et ratifiés, notamment le PIDCP et la Convention contre la torture, s'applique également au Sahara occidental. La présence des Nations unies dans ce territoire – par l'intermédiaire de la MINURSO – devrait contribuer au respect, par le Maroc, de ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme. En tant que porte-étendard des normes qu'elles ont édictées, les Nations unies ne peuvent rester l'observateur silencieux des violations des traités relatifs aux droits de l'homme auxquels le Maroc est partie.

Les exactions perpétrées par les responsables du Front Polisario dans les camps de réfugiés du sud de l'Algérie

Depuis 1981, Amnesty International exprime également sa préoccupation à propos des exactions commises dans les camps de réfugiés situés dans la région de Tindouf, dans le sud de l'Algérie, et contrôlés par le Front Polisario. Les exactions auraient été répandues dans ces camps jusqu'en 1988. On signalait notamment des cas de détention arbitraire prolongée, de torture, et d'homicides délibérés et arbitraires d'opposants notoires ou présumés au Front Polisario.

De très nombreuses personnes ont été arrêtées et accusées de complot pour le compte de pays ennemis contre les responsables du Front Polisario, notamment dans les années 70 et au début des années 80. Bon nombre des personnes qui avaient été arbitrairement emprisonnées, dans certains cas pendant plusieurs années, ont été libérées à l'issue de protestations massives en 1988 contre la répression politique exercée dans les camps. Les détenus étaient souvent torturés et maltraités et privés de tout contact avec leurs proches. Bien que la situation des droits de l'homme se soit apparemment améliorée dans les camps après les événements de 1988, Amnesty International a reçu des informations faisant état d'exactions, et notamment de tortures et de mauvais traitements infligés aux prisonniers, jusqu'en 1992. Citons parmi les personnes emprisonnées à la fin des années 80 Khalif Laroussi Zaougai, arrêté en 1987 à son arrivée dans les camps, et Salama Khbaou, arrêté à la fin de 1989, trois mois après son arrivée dans les camps. Les deux hommes auraient été incarcérés jusqu'à la mi-91. Plusieurs personnes sont mortes en détention, apparemment en raison des tortureset des mauvais traitements dont elles avaient été victimes. Ce fut notamment le cas d'El Mehdi Othman Souayah, qui aurait été emprisonné en 1976 et serait mort en détention à la fin de 1977, et de Mohamed Moussa ould Mokhtar, qui aurait été arrêté au début de 1983 et serait mort en détention quelques années plus tard.

Les responsables du Front Polisario n'ont fourni aucune information précise sur les incarcérations, les cas de torture et de mauvais traitements ou les morts en détention. Depuis le début des années 90, elles ont reconnu que des exactions avaient été commises par le passé. Les autorités du Front Polisario ont déclaré que toutes les victimes d'exactions étaient considérées comme des victimes de guerre et qu'elles avaient droit à la même réparation. Elles ont ajouté que des mesures avaient été prises pour empêcher de telles pratiques. En réponse à quelques cas individuels soulevés par Amnesty International, le Front Polisario a déclaré que ces personnes n'avaient jamais été détenues et que d'autres étaient mortes au combat ou des suites de maladie. Il n'a toutefois fourni aucun détail sur ces cas ou sur ceux d'autres victimes d'exactions, ni sur les mesures concrètes qui auraient été prises pour enquêter sur ces agissements et pour empêcher qu'ils ne se reproduisent.

D'anciennes personnalités du Front Polisario, qui avaient exercé des responsabilités au sein des services de sécurité de ce mouvement et qui auraient été responsables d'exactions dans les camps de réfugiés administrés par le Front Polisario dans le sud de l'Algérie, ont quitté les camps et se trouvent actuellement au Maroc. Aux termes de la Convention des Nations unies contre la torture, leMaroc est tenu d'ouvrir une enquête sur tout individu soupçonné d'actes de tortureau Maroc ou à l'étranger et, si des éléments de preuve suffisants sont réunis,d'arrêter les responsables et d'engager des poursuites à leur encontre ou de lesextrader vers un pays tiers. Les autorités marocaines n'ont, semble-t-il, pris aucunemesure pour traduire ces personnes en justice.

Malgré les assurances données par les responsables du Front Polisario, AmnestyInternational ignore les mesures qui ont été prises pour écarter des postes de responsabilité tout individu responsable d'exactions et qui se trouverait encore dans les camps de réfugiés. De telle mesures sont pourtant nécessaires pour éviter que de nouvelles atteintes aux droits de l'homme ne soient commises.

Conclusions et recommandations

Des violations graves des droits de l'homme ont été commises pendant vingt ans au Sahara occidental. La libération en 1991 de centaines de "disparus" a été un événement encourageant. Toutefois, l'espoir que de nouvelles mesures seraient prises pour s'attaquer aux violations passées et pour améliorer la situation des droits de l'homme au Sahara occidental a été déçu. L'Organisation reste préoccupée par les violations passées et présentes. Les autorités marocaines doivent prendre sans délai les mesures nécessaires pour y remédier.

Le fait que des violations graves des droits fondamentaux aient été perpétrées aucours des cinq dernières années, malgré la présence de la MINURSO au Sahara occidental, démontre clairement que les Nations unies doivent prendre sans délai des mesures concrètes pour améliorer la situation des droits de l'homme et pour faire en sorte que la MINURSO ne reste pas le témoin silencieux des violations. Les responsables du Front Polisario doivent prendre des mesures pour s'attaquer aux exactions commises par le passé dans les camps de réfugiés sahraouis situés en Algérie.

Amnesty International invite les autorités marocaines à :

–          libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d'opinion et à veiller à ce qu'aucun individu ne soit emprisonné pour avoir exercé son droit à la liberté d'expression et d'association ;

–          élucider le sort de tous les "disparus" et, à cet effet, collaborer sans réserve avec le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires ;

–          veiller à la mise en application de la Déclaration sur la protection des personnes contre les disparitions forcées adoptée par les Nations unies, ainsi qu'à celle des autres normes internationales relatives aux droits de l'homme qui comprennent des dispositions visant à empêcher les "disparitions" ;

–          mener des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur les "disparitions" signalées par le passé et traduire en justice les responsables ;

–          accorder une juste réparation à toutes les victimes de "disparition", notamment sous la forme d'une compensation financière et, éventuellement, leur dispenser des soins médicaux et les aider à se réinsérer ;

–          informer officiellement les familles de tous les "disparus" morts en détention et leur accorder une indemnité ;

–          mettre un terme à la pratique de la détention secrète ; prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que toutes les personnes arrêtées soient incarcérées dans un centre de détention reconnu et qu'elles puissent rencontrer librement leur famille et leur avocat, et recevoir les soins médicaux nécessités par leur état ; veiller à ce que les proches et les avocats des détenus aient accès à des voies de recours judiciaires efficaces leur permettant de savoir où sont détenus les prisonniers, de manière à garantir leur sécurité ;

–          veiller à ce que les procès respectent les normes internationalement reconnues en matière d'équité et notamment l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel le Maroc est partie.

Amnesty International invite les Nations unies à :

–          prendre les mesures nécessaires pour veiller au respect des garanties en matière de droits de l'homme contenues dans le Plan de règlement et faire en sorte que la MINURSO puisse accéder librement à toutes les régions du Sahara occidental et rencontrer tous les Sahraouis ;

–          élargir le mandat de la MINURSO de façon à ce qu'il prévoit la surveillance des droits de l'homme sur le terrain, des enquêtes sur les cas présumés de violations, ainsi que la prise de mesures appropriées pour y remédier ;

–          veiller à ce que l'ensemble du personnel international, y compris les personnes participant aux opérations civiles et militaires, signalent par des voies idoines et explicites les violations dont elles auraient été témoins ou les accusations graves qu'elles auraient recueillies. Les Nations unies devraient prendre des mesures appropriées, notamment préventives, pour remédier aux violations qui leur sont signalées ;

–          veiller à ce que les observateurs civils de police des Nations unies (CIVPOL) soient déployés et qu'ils soient en mesure de mener à bien leur tâche telle qu'elle est définie dans le Plan de règlement ; élargir le mandat de la MINURSO de façon à inclure la surveillance des droits de l'homme et des enquêtes sur les accusations de violations. Les CIVPOL devraient surveiller, superviser et entraîner la police nationale et les forces de sécurité, et vérifier qu'elles respectent les normes relatives aux droits de l'homme et à la justice pénale. Les observateurs de police devraient coopérer sans réserve avec tout organe ou mécanisme spécialisé dans les droits de l'homme ; ils devraient être formés aux normes internationales relatives aux droits de l'homme et à la justice pénale, et les respecter en toutes circonstances ; leurs activités devraient faire l'objet de rapports rendus publics ;

–          inclure dans tous les rapports des Nations unies sur le Sahara occidental et sur les opérations de la MINURSO des informations détaillées concernant la situation des droits de l'homme, les enquêtes menées sur les accusations de violations et les mesures prises pour y remédier .

Amnesty International invite le Front Polisario à :

–          prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'aucun individu ne soit arbitrairement détenu, torturé ou maltraité dans les camps administré par le Front Polisario ;

–          fournir des informations détaillées sur les enquêtes menées sur les exactions passées et sur les mesures prises pour y remédier, et pour empêcher que de tels agissements ne se reproduisent ;

–          veiller à ce que tout individu présumé responsable d'exactions soit écarté de tout poste d'encadrement et de toute fonction le mettant en contact avec des détenus ou avec d'autres personnes vulnérables.



[1] Publiées notamment dans Report of an Amnesty International Mission to the Kingdom of Morocco [Rapport d'une mission d'Amnesty International au Maroc], mai 1982. Maroc. "Disparitions" de personnes originaires du Sahara occidental (index AI : MDE 29/17/90), septembre 1990. Maroc. Les arrestations, les "disparitions" et les restrictions à la liberté d'expression et de mouvement n'ont pas cessé au Sahara occidental (index AI : MDE 29/03/93), février 1993. Maroc. Les "disparus" : le mur du silence doit tomber (index AI : MDE 29/01/93), avril 1993.

[2] Entre autres le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention contre la torture et autres peines ou traitments cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture) adoptée par les Nations unies.

[3] Le Sahara occidental est resté sous administration espagnole de 1884 à 1975.

[4] En 1988, les Nations unies, en collaboration avec l'Organisation de l'unité africaine (OUA), sont parvenues à un accord sur le Sahara occidental avec le royaume du Maroc et le Frente Popular para la liberación de Saguia el Hamra y Rio de Oro (Front populaire pour la libération de Saguia el Hamra y Rio de Oro). Un plan d'application de cet accord a été élaboré et approuvé le 29 avril 1991 par le Conseil de sécurité : il prévoit la tenue d'un référendum sous les auspices de la MINURSO, en vue de déterminer l'avenir du Sahara occidental.

[5] Intitulée Liste des personnes originaires du Sahara graciées par Sa Majesté le roi Hassan II sur la demande des membres du Conseil consultatif pour les affaires du Sahara.

[6] Article 19 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ONU).

[7] Document ONU S/25178. La situation au Sahara occidental, Rapport du Secrétaire général, paragr. 25.

[8] Document ONU S/21360. La situation en ce qui concerne le Sahara occidental. Rapport du Secrétaire général en date du 18 juin 1990.

[9] Document ONU S/21360, paragr. 14.

[10] Ibid., paragr. 35.

[11] Ibid., paragr. 47-b.

[12] Ibid., paragr. 47-g.

[13] Ibid., paragr. 47-h.

[14] 91 agents de police civile avaient été déployés au Sahara occidental en mars 1996.

[15] Ibid., paragr. 79-b.

[16] Document ONU S/1996/43. La situation en ce qui concerne le Sahara occidental, Rapport du Secrétaire général en date du 19 janvier 1996.

[17] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), art. 7.

[18] Document ONU S/25178, La situation en ce qui concerne le Sahara occidental, Rapport du Secrétaire général en date du 26 janvier 1993.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Morocco/Western Sahara: Human rights violations in Western Sahara. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - avril 1996.

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