DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 41318/98

présentée par Mostapha LAAREJ

contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en chambre le 16 mars 1999 en présence de

SirNicolas Bratza, président,

M.J.-P. Costa,

M.L. Loucaides,

MmeF. Tulkens,

M.W. Fuhrmann,

M.K. Jungwiert,

M.K. Traja, juges,

et deMmeS. Dollé, greffière de section ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 14 mai 1998 par M. Mostapha Laarej contre la France et enregistrée le 20 mai 1998 sous le n° de dossier 41318/98 ;

Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant marocain né en 1966 au Maroc et résidant au Mans. Devant la Cour, il est représenté par Me Sadeler, avocat au barreau du Mans.

Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est entré en France en 1974 à l'âge de 8 ans et y a vécu depuis lors. Ses parents y résident également. Il est célibataire et n'a pas d'enfants. Présentant un état dépressif, il est sous traitement médical.

Par jugement du tribunal correctionnel du Mans du 9 décembre 1996, le requérant, déjà condamné pour trafic de drogues, fut reconnu coupable d'un trafic de stupéfiants (résine de cannabis, héroïne et extasy) et condamné à la peine de dix mois d'emprisonnement et à une mesure d'interdiction du territoire français pendant cinq ans. Neuf autres personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants furent également condamnées à des peines de prison. Le requérant interjeta appel auprès de la cour d'appel d'Angers, qui, par un arrêt du 26 juin 1997, porta la peine à dix-huit mois d'emprisonnement et confirma la mesure d'interdiction du territoire français. En ce qui concerne la mesure d'éloignement du territoire français prononcée à l'encontre du requérant, la cour d'appel déclara notamment  :

«(...) Attendu que, s'agissant d'étrangers, trafiquants de stupéfiants, le législateur a prévu une peine d'interdiction du territoire national ; qu'il a facilité l'application de cette mesure par la loi du 24 août 1993.

Attendu, comme l'ont rappelé les premiers juges, que les prévenus n'ont à aucun moment manifesté le désir d'acquérir la nationalité française ; qu'ils ont conservé les attaches avec leurs pays d'origine (...) »

Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut rejeté par un arrêt du 26 juin 1997, notifié au requérant le 10 mars 1998.

GRIEF

Le requérant fait valoir qu'il vit en France depuis de nombreuses années où résident également ses parents, frères et sœurs. Par ailleurs, étant en proie à de gros problèmes d'ordre dépressif nécessitant un traitement médical particulier difficile, son renvoi au Maroc entraînerait une incertitude totale sur sa situation médicale. Il estime que la mesure d'interdiction du territoire français prononcée à son encontre porte atteinte au respect de son droit à la vie privée et familiale, tel que garanti par l'article 8 de la Convention.

EN DROIT

Le requérant fait valoir qu'il vit en France depuis l'âge de 8 ans et que dans ce pays vivent ses parents, frères et sœurs. Par ailleurs, il souffre de graves problèmes d'ordre dépressif nécessitant un traitement médical particulier, que son renvoi au Maroc rendrait difficile de poursuivre. Il se plaint que la mesure d'interdiction du territoire français prononcée à son encontre porte atteinte au respect de son droit à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention ainsi libellé :

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.   Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

La Cour rappelle en premier lieu que, selon sa jurisprudence constante, les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (cf., par exemple arrêts Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991, série A n° 193, p. 19, § 43 ; Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A, p. 27, § 74 ; Boughanemi c. France du 24 avril 1996,  Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 609, § 41 ; Mehemi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1971, § 34 ; El Boujaïdi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1992, § 39).

Toutefois, leurs décisions en la matière peuvent porter atteinte dans certains cas au droit protégé par l'article 8 § 1 de la Convention.

La Cour note que le requérant est entré en France à l'âge de 8 ans et que dans ce pays résident ses parents, frères et sœurs. La Cour considère que, compte tenu des liens familiaux et personnels du requérant en France, la mesure d'interdiction du territoire français constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale (Cour eur. D.H., arrêt El Boujaïdi c. France précité, § 33).

La Cour constate en second lieu que la mesure d'interdiction du territoire prononcée à l'encontre du requérant est, en l'espèce, une mesure prévue par la loi et vise la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales ainsi que la protection de la santé d'autrui qui constituent des buts légitimes, au sens du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention.

En ce qui concerne enfin la nécessité de l'ingérence en vue de protéger les intérêts légitimes prévus au paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, la Cour constate que le requérant, qui est célibataire et n'a pas d'enfants, a par ailleurs gardé sa nationalité marocaine et n'a, semble-t-il, jamais manifesté la volonté de devenir français quand il était en droit de le faire (arrêts Boujlifa c. France du 21 octobre 1997,  Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 2265, § 44 ; El Boujaïdi précité, § 41). Il est vraisemblable, dès lors, qu'il a conservé avec le Maroc des liens autres que la seule nationalité. Devant la Cour, il n'a d'ailleurs pas prétendu avoir coupé tous les liens avec son pays natal (arrêt Boughanemi précité, § 44).

Quant à la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre du requérant, la Cour constate qu'il s'agit d'une interdiction du territoire français limitée à une durée de cinq ans et que le requérant  a la possibilité d'en demander le relèvement auprès de la cour d'appel d'Angers.

Un élément essentiel pour l'évaluation de la proportionnalité de la mesure d'interdiction du territoire est la gravité des infractions commises par le requérant, démontrée en ultime instance par la peine de dix-huit mois d'emprisonnement à laquelle il a été condamné par la cour d'appel d'Angers pour trafic de drogue. Or, au vu des ravages de la drogue dans la population, la Cour conçoit que les autorités fassent preuve d'une grande fermeté à l'égard de ceux qui contribuent à la propagation de ce fléau (arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 92, § 54).

Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que l'ingérence dans la vie privée et familiale du requérant peut raisonnablement être considérée comme nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales et à la protection de la santé, au sens de l'article 8 § 2 de la Convention (cf. Cour eur. D.H., arrêts Boughanemi c. France précité, p. 610, §§ 44 et 45 ;  C. c. Belgique du 7 août 1996, p. 928, § 35 et 36, Recueil 1996-III et El Boujaïdi c. France précité, §§ 41-42).

Il s'ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

S. Dollé, Greffière

N. Bratza, Président

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