Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Tunisie

Contexte politique

Depuis l'accession au pouvoir du Président Ben Ali, le 7 novembre 1987, la vie politique tunisienne est largement dominée par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti présidentiel omnipotent. Le système judiciaire reste ainsi largement sous le joug de l'exécutif, et les magistrats qui tentent de se soustraire aux pressions et à l'ingérence de ce dernier sont quasi systématiquement réprimés. Malgré un débat relatif au corps judiciaire à la Chambre des députés en mai 2007, le Gouvernement nie cependant toute ingérence dans le système judiciaire, mais continue d'assurer son contrôle sur les magistrats, en particulier en nommant les membres du Conseil national de la magistrature (CSM) et en multipliant les actes de répression à l'encontre des membres de l'Association des magistrats tunisiens (AMT).

La "Loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent", adoptée en 2003, continue en outre d'être utilisée à des fins politiques sous prétexte de préoccupations sécuritaires. En effet, l'utilisation de cette loi s'est soldée en 2007 par de nombreuses violations des droits de l'Homme : arrestations à la suite de participation à des réunions ou de déclarations dans des journaux d'opposition, perquisitions musclées et menaces de représailles de la police politique, détentions au secret, etc.

D'autre part, les agents de l'État qui sont auteurs d'actes de torture et de répression continuent de jouir de l'impunité sur le territoire national. Le recours à la torture est quasi-systématique à l'encontre des personnes arrêtées dans la cadre de la lutte contre le terrorisme. Des actes de mauvais traitements à l'encontre des prisonniers politiques sont également très régulièrement dénoncés. Une trentaine de prisonniers arrêtés lors des affrontements armés de fin décembre 2006 – janvier 2007, qui ont opposé les forces de l'ordre et des groupes de jeunes accusés d'appartenir à des mouvances salafistes, ont par exemple entamé une grève de la faim à la prison civile de Mornaguia en octobre 2007 pour dénoncer les mauvais traitements subis et demander le respect de leurs droits.

Enfin, les autorités tunisiennes refusent de répondre positivement aux demandes d'invitation réitérées du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme, du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression ainsi que du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste.

Parce qu'ils dénoncent les violations des droits de l'Homme perpétrés par les autorités, les défenseurs des droits de l'Homme doivent faire face à un système généralisé d'agressions mis en place pour asphyxier leurs activités. L'ensemble des acteurs de la société civile est visé par de telles représailles, à l'instar des journalistes, des étudiants, des membres des partis politiques d'opposition, des syndicalistes, des avocats, des magistrats, ainsi que des représentants d'organisations ou de la presse étrangères.

Refus de reconnaître de nombreuses organisations de droits de l'Homme indépendantes

La majorité des 9 132 associations tunisiennes enregistrées en 2007 est inféodée aux autorités, permettant au Gouvernement de se féliciter de la vitalité de la société civile tunisienne. Dans ce contexte, les autorités cherchent à décourager les défenseurs des droits de l'Homme en continuant de refuser la reconnaissance légale à de nombreuses associations. Ainsi, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), l'Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), le Centre pour l'indépendance de la justice et des avocats (CIJA), le Rassemblement pour une alternative internationale de développement (RAID-Attac Tunisie), le Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) et l'Observatoire pour la liberté de presse, d'édition et de création en Tunisie (OLPEC) sont depuis plusieurs années privés d'enregistrement. En outre, la reconnaissance légale ne constitue pas pour autant une protection pour les associations indépendantes de droits de l'Homme.

Tentatives d'asphyxier les ONG et harcèlement policier à l'encontre des défenseurs

Les ONG indépendantes sont constamment contrôlées, leurs locaux sont régulièrement "visités", et leurs militants sont harcelés, les matériels et documents endommagés ou saccagés, les moyens de communications surveillés et souvent coupés. Les militants ainsi que leurs familles continuent de subir des mauvais traitements, des harcèlements incessants, des agressions physiques, des arrestations arbitraires, des surveillances, des attaques et autres actes criminels. Ainsi, le bureau de Me Ayachi Hammami, secrétaire général de la section de Tunis de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) et rapporteur sur la question de l'indépendance de la justice pour le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH), a été incendié le 31 août 2007. Le recours à des procédures judiciaires est également très répandu. La LTDH se voit ainsi interdire la tenue de son congrès depuis 2005.1 Depuis cette date, le fonctionnement des sections régionales de la LTDH a fait l'objet de multiples entraves et les membres de ces sections ont été systématiquement empêchés d'accéder aux locaux. De même, le 8 juin 2007, la police a saccagé les bureaux du CNLT, détruisant des documents importants ainsi qu'une grande partie de son matériel informatique. Enfin, Me Abderraouf Ayadi, avocat, ancien membre du Conseil de l'Ordre des avocats et ancien secrétaire général du CNLT, a été agressé par un officier de la police politique devant le tribunal de Tunis en avril 2007, alors qu'il s'apprêtait à plaider pour la défense de prévenus arrêtés dans le cadre de la loi anti-terroriste.

Restrictions à la liberté de circulation des militants des droits de l'Homme

En interdisant la circulation des défenseurs des droits de l'Homme à l'étranger, le régime veut les empêcher de mobiliser la communauté internationale sur la situation des droits de l'Homme en Tunisie. C'est ce qu'illustre l'interdiction faite à Me Mohamed Abbou, avocat et membre du CNLT et de l'AISPP, qui a été libéré le 25 juillet 2007 après 30 mois d'emprisonnement,2 à participer en août 2007 à une émission sur la chaîne Al-Jazeera à Londres. De même, le 25 août 2007, M. Taoufik Mezni, le frère de M. Kamel Jendoubi, président du REMDH et du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT), a été empêché par la police de l'aéroport de Tunis-Carthage de regagner la France, son pays de résidence depuis plus de sept ans.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Cf. rapport annuel 2006 de l'Observatoire.

2 Me Abbou avait été condamné le 1er mars 2005 après avoir notamment publié des articles sur les conditions de détention en Tunisie, comparant les geôles tunisiennes aux prisons d'Abu Ghraib. Son procès avait été entaché d'irrégularités, Me Abbou ayant notamment été torturé lors de sa détention provisoire.

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