Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Pérou

Contexte politique

En 2007, bien qu'il y ait eu des avancées dans les procédures ouvertes à l'encontre des militaires responsables d'exactions commises (notamment exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées) au cours du conflit qui a opposé le mouvement du Sentier lumineux à l'armée péruvienne de 1980 à 2000, le Gouvernement du Président Alan García a continué de faire preuve d'une absence de volonté politique pour lutter contre l'impunité de ces crimes, ce qui s'est reflété, entre autres, dans les ressources insuffisantes allouées au pouvoir judiciaire et au ministère Public, ainsi que dans les mesures de protections inefficaces dont bénéficient les représentants de la justice, les victimes, les témoins des exactions, et leurs familles. L'impunité est ainsi restée la règle, et les enquêtes se sont souvent opposées au manque de coopération des forces militaires.

Il convient cependant de souligner que les efforts des procureurs péruviens de faire juger au Pérou l'ancien Président Alberto Fujimori, arrêté au Chili en novembre 2005, ont finalement été couronnés de succès en septembre 2007, lorsque la Cour suprême du Chili a autorisé l'extradition de M. Fujimori. Ce dernier est notamment poursuivi pour sa responsabilité supposée dans l'exécution extrajudiciaire de 15 personnes dans le district de Barrios Altos, à Lima, en novembre 1991,1 et dans la disparition forcée et le meurtre de neuf étudiants et un enseignant de l'Université de La Cantuta, en juillet 1992.2 L'extradition et l'ouverture du procès de M. Fujimori à la fin de l'année a été perçue comme étant hautement symbolique dans la perspective de la lutte contre l'impunité, la construction de l'État de droit et de la démocratie au Pérou.

Par ailleurs, depuis l'élection de M. Alan García, le 5 juin 2006, à la présidence du Pérou, le Gouvernement a tenté à quatre reprises de réintroduire la peine de mort, abolie en 1979. L'un de ces projets, visant à réintroduire la peine capitale pour les infractions terroristes, a été rejeté par le Parlement en janvier 2007, tandis que trois autres projets, dont un visant les personnes coupables d'avoir assassiné ou violé une personne mineure, étaient toujours en cours d'examen devant le Parlement à la fin de l'année 2007.

De plus, le 22 juillet 2007, le Président a promulgué plusieurs décrets (dont les Décrets n° 982, 983, 988, 989) qui formalisent la criminalisation de la protestation sociale, y compris s'il s'agit d'une manifestation pacifique.

La Loi 28925 : poursuite des obstacles à la liberté d'association malgré la déclaration de certaines de ses dispositions inconstitutionnelles

Le 29 août 2007, la Cour constitutionnelle de Lima a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la Loi 28925, qui modifie la Loi 27692 portant création de l'Agence péruvienne de coopération internationale (Agencia Peruana de Cooperación Internacional – APCI), organisme décentralisé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Ces dispositions se réfèrent à l'obligation d'enregistrer les financements internationaux d'origine privée, la sanction de radiation du registre des ONG qui mènent des activités considérées comme "portant atteinte à l'ordre public ou à la propriété privée ou publique" et l'interdiction pour les responsables d'exercer des fonctions liées à l'exécution de projets de coopération internationale. La Loi 28925 avait été publiée au journal officiel le 8 décembre 2006 et s'était ajoutée à la Loi 28875, adoptée le 15 août 2006, qui ouvrait déjà la voie à une ingérence accrue de l'État dans les affaires et les objectifs des ONG.3

Assassinats et menaces à l'encontre de journalistes qui luttent contre la corruption

En 2007, les journalistes qui ont osé dénoncer la corruption des autorités et des forces de l'ordre ont payé le prix de leur engagement, à l'instar de M. Miguel Pérez Julca, journaliste à Radio Éxitos, assassiné le 16 mars 2007 à Jaén (province de Cajamarca), après avoir déclaré au cours de l'une de ses émissions qu'il allait révéler les noms des policiers de Jaén ayant des liens avec les narcotrafiquants et protégeant des délinquants. Le 10 septembre 2007, M. Julio César Mendoza Escobar, journaliste à Radio Candela, à Yurimaguas, a également été menacé et fait l'objet d'une tentative d'assassinat après qu'il eut dénoncé des actes de malversations impliquant des fonctionnaires municipaux, dont le maire d'Alto Amazonas.

Actes de représailles à l'encontre des défenseurs qui luttent contre l'impunité

Cette année encore, les avocats et les organisations de défense des droits de l'Homme qui luttent contre l'impunité des massacres commis pendant le conflit de 1980 à 2000 ont fait l'objet de nombreux actes de harcèlement et de campagnes de diffamation. Ainsi, le 10 mars 2007, les avocats membres de la Coordination nationale des droits de l'Homme (Coordinadora Nacional de Derechos Humanos – CNDDHH) ont été qualifiés de "communistes déguisés en avocats", d'"imbéciles manipulés du sendérisme" et de "communistes recyclés" par M. Jorge del Castillo, chef du Gouvernement et président de la Commission spéciale de haut niveau pour l'application des recommandations de la Commission vérité-réconciliation.

Par ailleurs, plusieurs défenseurs ont reçu des menaces de mort en raison de leur quête de justice et de vérité, à l'exemple de Mmes Iscra Chávez Loaiza et Evelyn Zevallos Enriquez, présidente et avocate membre de l'Association pour la vie et la dignité humaine (Asociación por la Vida y la Dignidad Humana – APORVIDHA), dans la région de Cusco, qui ont reçu des menaces de mort le 29 mars 2007.4 De même, le 10 décembre 2007, les avocats et les familles des victimes des massacres de Barrios Altos et de La Cantuta ont été agressés verbalement alors qu'ils s'apprêtaient à assister à la première journée du procès de l'ancien Président Fujimori pour violations des droits de l'Homme. Les agresseurs auraient obéi aux ordres d'un ancien colonel de l'armée péruvienne. En outre, le 18 décembre 2007, l'Association pour les droits de l'Homme (Asociación Pro Derechos Humanos – APRODEH) a reçu un message téléphonique, dans lequel Mme Gloria Cano, avocate et représentante des victimes de Barrios Altos et de La Cantuta, et les membres de l'APRODEH ont été menacés de mort.

Actes de harcèlement à l'encontre des défenseurs des droits des communautés affectées par les projets d'exploitation minière et forestière

Au Pérou, les membres et dirigeants des communautés autochtones s'opposent régulièrement aux exploitations minières sur leurs territoires, auxquelles ils reprochent principalement les conséquences néfastes sur l'environnement et leur mode de vie. En retour, ces dirigeants et les personnes qui défendent leurs droits font l'objet d'actes de représailles. Ainsi, le 14 décembre 2007, la Cour de Baños del Inca a reconnu coupable M. Neptalí Quispe Sánchez, avocat spécialisé dans la défense des communautés paysannes affectées par les industries minières et des dirigeants environnementaux, des délits de "fraude" et de "falsification" et l'a condamné à 30 mois de prison, à une interdiction d'exercer pendant 30 mois et à une caution de 5 000 nouveaux sols pour réparation civile. Quant à lui, le 15 mars 2007, M. Javier Rodolfo Jahncke Benavente, membre du Réseau muqui (Red Muqui), qui regroupe 19 organisations de défense des droits des communautés rurales et indigènes affectées par les projets miniers, a reçu des menaces de mort. Enfin, certains membres de l'Association interethnique pour le développement de la forêt péruvienne (Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana – AIDESEP) ont également fait l'objet de menaces suite à leur engagement contre la déprédation de la forêt amazonienne. Ainsi, M. Robert Guimaraes Vásquez, vice-président de l'AIDESEP, a reçu à plusieurs reprises des menaces de mort, dont des sociétés d'exploitation forestière seraient à l'origine.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Le 3 novembre 1991, quinze personnes ont perdu la vie et quatre autres ont été blessées suite à une incursion dans Barrios Altos, un quartier de la périphérie de Lima, d'un escadron paramilitaire identifié comme le Groupe Colina et constitué par des membres des forces armées péruviennes. Ce massacre est un symbole des violations des droits de l'Homme commises pendant le Gouvernement Fujimori.

2 Le 18 juillet 1992, un professeur et neuf étudiants de l'Université nationale de Lima, connue sous le nom de "La Cantuta", ont été victimes d'une disparition forcée après un enlèvement, commis par un groupe paramilitaire. L'incident est devenu célèbre pour l'impunité dont ont bénéficié ses auteurs et pour avoir servi d'argument en faveur de l'extradition de M. Alberto Fujimori du Japon en 2003.

3 Pour plus d'informations, cf. rapport annuel 2006 de l'Observatoire.

4 L'APORVIDHA enquête notamment sur les assassinats de 34 paysans à Lucmahuayco, en 1984, dont les auteurs appartiendraient à l'armée.

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