Conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides: Compte rendu analytique de la sixième séance, tenue au Palais des Nations, à Genève, le mercredi 4 juillet 1951, à 15 heures

Présents:

Président: M. LARSEN

Membres:

Australie

M. SHAW

Autriche

M. FRUTZER

Belgique

M. HERMENT

Canada

M. CHANCE

Colombie

M. GIRALDO-JARAMILLO

Danemark

M. HOEG

Egypte

MUSTAPHA Bey

Etats-Unis d'Amérique

M. WARREN

France

M. ROCHEFORT

Grèce

M. PAPAYANNIS

Irak

M. AL PACHACHI

Israël

M. ROBINSON

Italie

M. THEODOLI

Luxembourg

M. STURM

Norvège

M. ANKER

Pays-Bas

M. Baron van BOETZELAER

République fédérale d'Allemagne

M. von TRUTZSCHLER

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

M. HOARE

Suède

M. PETREN

Suisse (et Lichtenstein)

M. SCHURCH

Turquie

M. MIRAS

Yougoslavie

M. MAKIEDO

Observateurs:

Cuba

M. FISHER

Iran

M. KAFAI

Haut-Commissaire pour les réfugiés

M. van HEUVEN GOEDHART

Représentants d'institutions spécialisées et autres organisations intergouvernementales

Organisation internationale pour les réfugiés

M. STEPHENS

Conseil de l'Europe

M .von SCHMIEDEN

Représentants d'organisations non gouvernementales

Alliance universelle des Unions chrétiennes de jeunes filles

Mlle ARNOLD

Caritas internationales

Abbé HAAS M. BRAUN M. METTERNICH

Comité de coordination d'organisations juives

M. WARBURG

Conférence permanente des organisations bénévoles

Mlle REES

Congrès juif mondial

M. RIEGNER

Conseil consultatif d'organisations juives

M. MEYROWITZ

Conseil international des femmes

Mlle FLECHTER

Ligue internationale des sociétés de la Croix-Rouge

M. LEDERMANN

Service social international

Mlle FERRIERE

Union catholique internationale de service social

Mlle de ROMER

Union internationale des ligues féminines catholiques

Mlle de ROMER

Union internationale de protection de l'enfance

M. de THELIN

Secrétariat:

M. Humphrey

Secrétaire exécutif

Mlle Kitchen

Secrétaire exécutive adjointe

EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (Point 5 a ) de l'ordre du jour) (A/CONF.2/1 et Corr.1, A/CONF.2/5) (suite de la discussion)

1.       Article 3 (B) (suite)

M. CHANCE (Canada) rappelle qu'à la fin de la séance précédente, il a été proposé d'inviter les représentants d'Israël et du Royaume-Uni à essayer de mettre au point, pour l'article 3 (B), un texte qui recueille l'assentiment général et qui réponde au point de vue de la délégation australienne. A son avis, ce serait la manière de procéder la plus satisfaisante et celle qui permettrait de gagner le plus de temps.

M. HOARE (Royaume-Uni) déclare que le représentant d'Israël et lui-même ont dû se borner à examiner les questions soulevées par l'article 3(B). En premier lieu, il s'agit de savoir s'il est vraiment nécessaire de définir les expressions: «dans les mêmes circonstances» et «même traitement que les nationaux». On peut faire valoir que ce ne sont pas les seules expressions dont il faudrait préciser le sens, mais que d'autres expressions, telles que «qui ont régulièrement leur résidence habituelle», employées d'un bout à l'autre du projet de Convention, doivent également être interprétées. Toutefois, si la Conférence doit se lancer dans l'examen de définitions, il lui faudra étendre la portée et la durée de ses travaux.

En second lieu, il s'agit de savoir si l'alinéa b) de l'article 3 (B) est vraiment utile. Le représentent d'Israël a fait remarquer à juste titre, lors de la séance précédente, qu'il peut se présenter des cas où un réfugié est incapable de remplir les «conditions exigées» précisément parce qu'il est réfugié et n'est pas ressortissant d'un pays en particulier. Il serait très difficile de remanier cet alinéa de façon à ne pas y faire mention des conditions qu'un réfugié ne peut remplir. Cette disposition semble donc d'une utilité problématique.

L'on peut considérer, par contre, que l'alinéa a) a une utilité réelle et il pourrait être rédigé de façon à satisfaire à l'intention de l'Australie lorsqu'elle propose un article supplémentaire 3 (C) (A/CONF.2/19).

De l'avis du représentant du Royaume-Uni, les définitions qui seront retenues devront figurer dans les clauses finales. Il estime donc que le plus sage serait de renvoyer l'examen de l'article 3 (B).

Le PRESIDENT présume que si l'on renvoie la suite de l'examen de l'article 3 (B), les représentants d'Israël et du Royaume-Uni continueront à travailler en commun sur ce texte. En attendant, la Conférence pourrait examiner le projet d'article supplémentaire 3 (C) (A/CONF.2/19) proposé par l'Australie.

Il est décidé de renvoyer l'examen de l'article 3 (B), compte tenu des considérations ci-dessus.

2.       Projet d'article 3 (C) (A/CONF.2/19)

M. HERMENT (Belgique) est d'avis que la proposition de l'Australie (A/CONF.2/19) est en contradiction avec certaines autres dispositions de la convention qui accorde aux réfugiés un traitement plus favorable que celui dont jouissent les autres étrangers, notamment en matière d'enseignement et de travail.

Si l'on supprime ces avantages, il serait inutile d'élaborer une convention et l'on pourrait se borner à déclarer que les réfugiés recevraient un traitement égal à celui dont jouissent les étrangers résidant sur le territoire des divers pays.

M. SHAW (Australie) déclare que si la délégation australienne a présenté ces propositions, c'est parce qu'il lui semblait que le projet de convention présentait une lacune, la convention ayant en effet pour objet d'accorder certains droits aux réfugiés. Le Gouvernement australien ne fait aucune réserve sur l'objectif visé et reconnaît le principe général de non-discrimination énoncé à l'article 3. Néanmoins, il semble que ce serait faire une erreur que de considérer la convention comme un instrument accordant aux réfugiés des droits plus étendus que ceux dont jouissent les étrangers. Il faut reconnaître ce point, car en ne le faisant pas on risquerait de se trouver en face de difficultés pratiques. L'orateur sait que sa proposition est en contradiction avec le premier alinéa de l'article 4, mais il doit en tous cas, faire observer que la délégation australienne aura, le moment venu, des réserves à formuler au sujet de cet article 4.

M. FRITZER (Autriche) appuie le point de vue du représentant de la Belgique. Si l'on pose comme principe que les réfugiés ne doivent pas avoir des droits plus étendus que ceux des autres étrangers, la convention semble inutile, car son but est précisément de fier accorder aux réfugiés un traitement de faveur.

MUSTAPHA Bey (Egypte) fait observer que l'expression «autres étrangers»manque de précision. En effet, au soin d'un même Etat, les étrangers de diverses nationalités ne reçoivent pas le même traitement, selon, par exemple, qu'il existe ou non un traité bilatéral signé entre le pays de résidence et leur propre patrie, ou bien qu'ils aient ou non obtenu un permis de séjour permanent ou provisoire. Il serait par conséquent utile de déterminer avec exactitude ce qu'on entend par «autres étrangers».

M. von TRUTZSCHLER (République fédérale d'Allemagne) appuie le point de vue des représentants de la Belgique et de l'Autriche. Si l'on négocie actuellement la Convention relative au statut des réfugiés, c'est parce que les réfugiés ne peuvent bénéficier de la protection de leur pays d'origine et doivent, en conséquence, vivre dans un pays étranger non de leur propre volonté mais afin d'éviter la persécution. Le représentant de la République fédérale d'Allemagne est opposé à la proposition australienne. M. SHAW (Australie) fait observer que la position de l'Australie est assez particulière du fait que le pays a adopté un vaste programme d'immigration et qu'elle reçoit chaque année de 40 à 50,000 immigrants étrangers. La situation serait très difficile si les étrangers qui arrivent dans le pays conformément aux stipulations d'accords dûment négociés bénéficiaient d'un traitement moins favorable que celui qui est accordé aux réfugiés. D'ailleurs, d'autres gouvernements partagent le point de vue du Gouvernement australien. L'orateur rappelle les observations formulées par le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande (A/CONF.2/6/Add.2) où il est déclaré que «le Gouvernement néo-zélandais ne pourrait envisager de souscrire à telles ou telles clauses du projet de convention ou du projet de protocole requérant qu'une distinction soit faite en faveur des réfugiés ou des apatrides par rapport aux autres étrangers.» Toutefois, étant donné les vues exposées par d'autres représentants, l'orateur est prêt à retirer sa proposition à la condition que ses observations figurent dans le compte rendu de séance. M. HERMENT (Belgique) signale que la Belgique héberge 400,000 étrangers pour une population totale de 9 millions d'habitants. Malgré l'importance de leur nombre, la Belgique entend néanmoins donner aux réfugiés un régime plus favorable qu'aux autres étrangers, en raison de la situation particulièrement tragique où ils se trouvent. Le PRESIDENT déclare que le texte proposé par l'Australie pour un nouvel article 3 (C) (A/CONF.2/19) ayant été retiré, la Conférence va maintenant aborder l'examen de l'article 4.

3.       Article 4 - Dispense de réciprocité (A/CONF.2/11, A/CONF.2/32)

M. HERAENT (Belgique) présente l'amendement au paragraphe 2 de l'article 4 qu'il a déposé (A/CONF.2/11); il indique qu'en son deuxième alinéa, le paragraphe 2 de l'article 4 dispose que les réfugiés conserveront le bénéfice des droits et avantages dont ils jouiraient au moment de l'entrée en vigueur de la convention, même si ces droits leur ont été accordés sans condition de réciprocité. Or, le terme «réciprocité» n'est pas précisé en l'occurrence. Il peut donc s'agir à la fois de la réciprocité diplomatique, consacrée par un traité bilatéral, ou de la réciprocité législative, dont le principe est inscrit dans le droit national des divers pays, Dans la mesure où l'intention du deuxième alinéa est de maintenir le respect des droits acquis par les réfugiés, la délégation de la Belgique l'accepte. Cependant, cet alinéa soulève d'autres problèmes. Le texte actuel prévoit que les réfugiés qui ne jouiraient pas, à la date d'entrée en vigueur de la convention, des droits visés en l'occurrence, se verraient accorder ces droits, en l'absence de réciprocité, à condition d'être établis sur le territoire de l'Etat intéressé depuis un certain délai. Il faut noter tout d'abord que la notion de «un certain délai» est assez imprécise, et c'est pourquoi la délégation belge propose de fixer une période de trois ans; ainsi, la convention comporterait une disposition statutaire ferme et le sort des réfugiés dans ce domaine ne dépendrait pas de la bonne volonté de l'Etat d'accueil. D'autre part, le Gouvernement belge ne peut accepter d'accorder aux réfugiés les droits dont certains étrangers jouissent en Belgique en vertu d'un traité bilatéral conclu entre la Belgique et un autre gouvernement. En effet, la Belgique a signé un certain nombre d'accords régionaux et elle ne pourrait accorder à tous les réfugiés le bénéfice des droits qui y sont prévus sans risquer de se mettre dans une situation grave. Par ailleurs, en agissant différemment, la Belgique s'engagerait dans l'inconnu, car il ne s'agit pas seulement en l'occurrence des droits consacrés par les traités existants, mais encore de ceux qui découleraient des traités qui seraient éventuellement signés. Pour ces raisons, la délégation belge estime qu'il convient de se borner à accorder aux réfugiés qui, à la date d'entrée en vigueur de la convention, ne jouiraient d'aucun droit, la dispense de réciprocité uniquement en ce qui concerne les droits accordés sur la base de la réciprocité législative. C'est dans ce sens que la délégation belge a présenté son amendement.

MUSTAPHA Bey (Egypte) fait observer que la réciprocité est consacrée par une convention ou un traité bilatéral conclu entre les Etats. Or, les personnes dont il s'agit dans le cas présent, à savoir les réfugiés, ne peuvent se réclamer de la protection d'aucun Etat. Dans ce contexte, la notion de réciprocité lui semble manquer de précision.

Le PRESIDENT rappelle que les droits et avantages dont les étrangers jouissent dans certains pays dépendent du principe de la réciprocité et qu'un réfugié dont la situation n'est pas prévue dans le cadre d'accords ou d'arrangements réciproques se trouve, par cela même, réduit une formule du genre de celle-ci: «en l'absence de la réciprocité habituellement exigée pour les étrangers en général.» MUSTAPHA Bey (Egypte) estime qu'il conviendrait de supprimer les mots «en l'absence de réciprocité» au deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 4.

M. PETREN (Suède) dit que la Suède, elle aussi, a certaines appréhensions que ne sont pas sans analogie avec celles de la délégation belge. La législation suédoise comporte des textes accordant certains droits particuliers aux ressortissants des autres pays scandinaves. Aussi, pour tenir compte de cette situation particulière, M. Perte demande-t-il que, dans la première phrase du paragraphe 2 de l'article 4, il soit question non plus «des avantages...accordés aux étrangers», mais des «avantages....accordés en général aux étrangers». L'addition des mots «en général» permettrait au Gouvernement de la Suède de réserver sa position pour le cas particulier que M. Perte vient d'indiquer.

M. HERMENT (Belgique) ne s'oppose pas à cet amendement. Il lui semble toutefois que le Gouvernement suédois pourrait formuler une réserve dans ce sens lors de la signature de la Convention.

M. ROCHEFORT (France) rappelle qu'au Comité spécial, le texte de l'article 4 a fait l'objet de longues discussions: la délégation française, pour sa part, n'a pas présenté moins de trois formules différentes, qui n'ont pas été retenues par la majorité. Le représentant de la France estime que dans son libellé actuel, le texte n'est pas satisfaisant. Si la France est toute disposée à accorder les droits en question aux réfugiés sans qu'il y ait réciprocité législative, elle ne peut adopter la même attitude en ce qui concerne les droits accordés sur la base de la réciprocité diplomatique. Dans ce dernier cas, elle ne peut guère que maintenir ces droits à ceux qui en jouissent déjà et les accorder aux autres à sa discrétion. La délégation française appuie donc l'amendement de la Belgique, qui a le mérite de préciser qu'il s'agit en l'occurrence de la seule dispense de la réciprocité législative. M. ANKER (Norvège) appuie les observations du représentant de la Suède. Il préfère, pour sa part, l'amendement que celui-ci a proposé à une réserve exprimée au moment de la signature de la Convention, afin d'éviter des complications de procédure et de ne pas susciter une confusion qui pourrait autrement se produire.

Le PRESIDENT fait observer que le même problème pourrait être soulevé par d'autres groupes de pays, tels que le Bénélux, ou par les pays qui appliquent la clause de la nation la plus favorisée. Par conséquent, toutes les délégations qui se trouvent dans une position identique à celle des délégations norvégiennes et suédoise doivent fatalement faire des réserves. Cette manière de faire ne saurait être évitée même en remanient le texte de l'article 4.

M. van HEUVEN GOEDHART (Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés) souligne qu'il ressort clairement de la discussion que la situation varie dans une très large mesure d'un pays à l'autre et qu'en conséquence, il sera difficile d'aboutir à une formule ayant l'agrément de tous. La Conférence estimera peut-être utile d'examiner le texte de l'article 4 tel qu'il figure dans la note présentée par le Secrétaire général au Comité spécial lors de sa deuxième session (E/AC.32/L.40), note fondée sur le rapport du Comité sur sa première session ainsi que sur les observations sur ce rapport présentées par les gouvernements et les institutions spécialisées. Le texte proposé est le suivant: «Tout Etat contractant peut , lors de son adhésion à la présente Convention, indiquer par une communication adressée au Secrétaire général les droits et faveurs qu'il accorde à des étrangers en vertu d'un traitement préférentiel et auxquels les dispositions du par graphe premier ne seront pas applicables. Tout Etat contractant peut également indiquer, par une communication adressée au Secrétaire général, les droits et faveurs qu'il aura accordés à des étrangers en vertu d'un traitement préférentiel postérieurement à son adhésion à la présente Convention et auxquels les disposition du paragraphe premier ne seront pas applicables.» (E/AC.32/L.40, pages 34 et 35). M. ROCHEFORT (France) signale que le Gouvernement français n'aurait aucune objection à communiquer les journaux officiels où sont publiées les lois, mais qu'il lui serait en revanche impossible de communiquer le texte de certains traités.

M. HERMENT (Belgique) partage l'opinion du représentant de la France. Il fait observer en outre que cette mesure ne mettrait pas les réfugiés au courant de leurs droits: en effet, les notifications dont il s'agit seraient envoyées au Secrétaire général, alors que le réfugiés consultera la Convention pour voir quel est le statut auquel il a droit.

M. FRITZER (Autriche), revenant à l'amendement de la Belgique, dit que la délégation de l'Autriche a l'intention de limiter au maximum les réserves qu'elle fera en signant la Convention. Néanmoins, si l'on adopte le délai de trois ans proposé par la délégation belge, l'Autriche sera obligée de formuler une réserve à ce sujet. En effet, en acceptant cette disposition, on risque de commettre une injustice à l'égard des étrangers qui, après un très long séjour sur le territoire d'un Etat, ne jouiraient pas encore de droits qui seraient accordés aux réfugiés après trois ans de séjour seulement. Toutefois, la délégation autrichienne pourrait accepter l'amendement belge, si le délai était augmenté et fixé par exemple à cinq ans, mais si la disposition est maintenue sous forme actuelle, elle ne pourra l'appuyer.

M. ROCHEFORT (France) pense que les difficultés auxquelles donne lieu la clause relative à la réciprocité viennent de ce que l'on a voulu édifier en système juridique une notion qui, en réalité, en peut servir que de référence. Le but visé est très clair, et l'on aurait peut-être pu trouver un libellé plus précis si, aux séances du Comité spécial, certains pays pour lesquels le problème ne se pose pas ne s'étaient pas opposés au point de vue d'autres délégations. Pour sa part, la France peut accepter le maintien des droits acquis par les réfugiés; elle peut également accorder certains droits aux réfugiés qui n'en jouissent pas déjà, même en l'absence de réciprocité législative, étant entendu que dans ce cas cette dispense serait accordée seulement après un délai de résidence de trois ans.

M. ROCHEFORT tient à souligner à cet égard que cette position est stricte ont conforme aux instructions formelles qu'il a reçues de son Gouvernement. Pour répondre aux questions soulevées à cette séance, la délégation française, après consultation avec la délégation belge, présente conjointement avec celle-ci un nouveau libellé pour l'article 4, dont on trouvera le texte dans le document A/CONF.2/32.

Le PRESIDENT appelle l'attention de la Conférence sur le fait qu'elle ne peut pas prendre une décision sur le texte proposé par Haut-Commissaire, à moins qu'une délégation à la Conférence ne reprenne ce texte à son compte.

M. STURM (Luxembourg) rappelle que, dans son pays, les conceptions juridiques sont analogues à celles qui prévalent en France et en Belgique. Sa délégation appuiera donc l'amendement présenté conjointement par la France et la Belgique.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) appuie également l'amendement franco-belge. MUSTAPHA Bey (Egypte) propose de renvoyer à plus tard l'examen de l'article 4 pour aux représentants le temps d'étudier la nouvelle proposition. Il en cet ainsi décidé.

4.       Article 5 - Dispense des mesures exceptionnelles (A/CONF.2/15, A/CONF.2/26)

Le PRESIDENT appelle l'attention de la Conférence sur les amendements à l'article 5 proposés par les délégations de l'Australie et du Royaume-Uni (A/CONF.2/15, A/CONF.2/26).

M. HOARE (Royaume-Uni) fait observer que les amendements déposés par les délégations de l'Australie et du Royaume-Uni ont tous deux trait au paragraphe 2 de l'article 5, et qu'il a en outre l'intention de présenter un amendement au paragraphe 1. Il propose donc d'attendre, pour discuter le paragraphe 1, que cet amendement ait été distribué.

Le PRESIENT suggère que la Conférence n'examine pour le moment que le paragraphe 2 de l'article 5 et les amendements dont il fait l'objet.

M. HERMENT (Belgique) accepte la suggestion du Président dans la mesure où les modifications que le représentant du Royaume-Uni apporterait éventuellement au paragraphe 1 de l'article 5 n'entraîneraient aucun changement du paragraphe 2 de cet article.

La Proposition du Président est adoptée. M. SHAW (Australie) indique que son amendement a simplement pour but d'ajouter les mots «ou dans l'intérêt de la sécurités nationale» au paragraphe 2, afin de laisser aux Etats contractants la possibilité de prendre les mesures exceptionnelles prévues à l'article 5 pendant les périodes qui précèdent immédiatement le temps de guerre ou de crise nationale, lorsqu'elles peuvent s'avérer nécessaires. Il estime que, compte tenu de la rédaction du reste du paragraphe 2, son amendement ne saurait soulever aucune objection. Toutefois, étant donné qu'il appuie les modifications de forme présentées par le représentant du Royaume-Uni dans le document A/CONF.2/26, il propose de retirer son propre amendement (A/CONF.2/15) et de modifier la proposition du Royaume-Uni qui consiste à insérer à la deuxième ligne les mots «ou dans l'intérêt de la sécurité nationale» après les mots «de crise nationale».

M. HOARE (Royaume-Uni) rappelle la discussion qui a eu lieu précédemment à propos de l'article 3 et au cours de laquelle la question s'est posée de savoir si l'article 5 n'était pas en contradiction avec l'article 3. L'article 3 énonce un principe général et l'article 5 a été considéré comme posant une exception à ce principe. L'article 21 constitue une autre exception. Il n'est donc pas suffisant de prévoir au paragraphe 2 de l'article 5 une exception au paragraphe l du même article; il faudrait qu'elle s'appliquât aussi aux autres articles de la Convention. Les autres amendements qu'il propose dans le document A/CONF.2/26 ne sont que des modifications de forme.

MUSTAPHA Bey (Egypte) ne s'oppose pas, quant au fond, à l'amendement du Royaume-Uni. Néanmoins, il fait observer que la rédaction n'en est pas très satisfaisante: tout d'abord, on parle de «toute personne», ce qui donne un caractère très général au texte, pour revenir ultérieurement à la notion de «réfugiés». Après un échange de vues auquel prennent part M. HERMENT (Belgique) et M. ZUTTER (Suisse), M. ZUTTER (Suisse) propose de remplacer l'expression «de toute personne» par les mots «d'une personne déterminée». Cette proposition de la Suisse est acceptée. M. HOARE (Royaume-Uni) considère que la proposition australienne d'insérer les mots «ou dans l'intérêt de la sécurité nationale» peut soulever des objections justifiées, étant donné que ces mots permettraient à un Etat de prendre des mesures exceptionnelles à n'importe quel moment et non pas seulement en temps de guerre ou de crise nationale.

Répondant au PRESIDENT, M. SHAW (Australie) confirme que, s'il a retiré son amendement original (A/CONF.2/15), il insiste pour que les mots «ou dans l'intérêt de la sécurité nationale soient insérés dans le texte de l'amendement du Royaume-Uni. Il souligne que l'intention de sa délégation n'a jamais été d'ouvrir la voie à une augmentation sans fin des circonstances dans lesquelles un Etat est habilité à prendre des mesures exceptionnelles. M. CHANCE (Canada) fait valoir que l'on peut donner à ces mots un sens beaucoup plus large qu'il ne serait souhaitable, et il préférerait donc qu'ils ne figurent pas dans l'amendement du Royaume-Uni.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) craint, lui aussi, malgré les assurances données par le représentant de l'Australie, que ces mots puissent être interprétés dans un sens trop large et donner lieu ainsi à des abus. En conséquence, il adopte une attitude semblable à celle du représentant du Canada.

M. ROVINSON (Israël) appuie le point de vue des représentants du Canada et des Pays-Bas; l'amendement du Royaume-Uni est suffisamment large, dans sa forme actuelle.

M. ROCHEFORT (France) fait observer que si l'expression «crise nationale semble trop restrictive, Les mots «dans l'intérêt de la sécurité nationale» semblent donner an texte une portée trop étendue. Entre ces deux notions, il existe un état intermédiaire qu'aucune des deux expressions ne dépeint avec exactitude: il peut s'agir d'une guerre froide toute proche de l'état de guerre, d'une tension, d'un état d'urgence, d'une crise internationale nécessitant certaines précautions intérieures. Dans ces conditions, il semble qu'on pourrait confier à un groupe de travail la tâche de trouver une formule qui réponde aux préoccupations de la délégation australienne, sans soulever les objections que d'autres représentants ont fait valoir contre le libellé de l'amendement qu'elle a proposé.

M. Al PACHACHI (Irak) constate que le paragraphe 2 de l'article 5 a sans doute pour objet de permettre aux Etats contractants de prendre, à l'égard des réfugiés, des mesures exceptionnelles que nécessiterait leur sécurité. Si tel est bien le but visé, il serait préférable de l'énoncer clairement.

M. ZUTTER (Suisse) partage l'attitude des représentants du Royaume-Uni et du Canada et estime, comme elles, qu'il ne convient pas d'insérer la phrase en question dans la convention. Il convient en effet de ne pas oublier que la convention est avant toute destinée à protéger les réfugiés. Le texte australien est dangereux parce que certains pays pourraient en donner une interprétation beaucoup plus large que celle qu'on envisage actuellement.

M. Zut rappelle que, lors de la Conférence diplomatique pour la révision des conventions de la Croix-Rouge, tenue à Genève en 1949, ce problème s'est également posé et qu'il a donné lieu à de très longues discussions. La Conférence n'a pas adopté une disposition analogue à celle qui est actuellement à l'étude, pour les raisons que divers orateurs ont déjà exposées à la présente séance. Cependant, afin de répondre aux préoccupations exprimées par certaines délégations, M. Zutter propose de remplacer les mots «en temps de crise nationale» par les mots «en cas de crise grave».

Après un échange de vues auquel prennent part M. (France), M. HERMENT (Belgique), M. SHAW (Australie) et M. ZUTTER (Suisse), M. ROCHEFORT (France) suggère la formule suivante: «en temps de guerre ou en temps de tension grave sur le plan national comme sur le plan international...»

Le PRESIDENT rappelle que lorsque l'article 5 a tout d'abord été examiné au sein du Comité spécial, il n'a fait aucun doute que les personnes dangereuses pour la sécurité de l'Etat, telles que les espions, tombaient sous le coup des législations nationales. La question s'est alors posée de savoir quelles mesures un Etat devrait prendre à l'égard des réfugiés, si l'état de guerre était déclaré entre deux pays. Il lui serait en effet impossible de distinguer immédiatement les ressortissants du pays ennemi se trouvant sur son territoire et restant fidèle au gouvernement ennemi des personnes qui ont fui le territoire de cet Etat ennemi. Le Comité spécial a conclu qu'un gouvernement ne devrait pas pouvoir traiter en ennemies les personnes appartenant à la deuxième catégorie, mais qu'un certain temps sera cependant nécessaire pour procéder à un triage. Il craint donc que dans le débat actuel on ne perde de vue l'intention primitive de l'article 5.

M. ROBINSON (Israël) croit qu'en anglais les termes «national émergency» ont un sens juridique précis que n'ont pas on français les mots «grave crise nationale»; il croit donc qu'il faudra préciser le sens des mots français. Répondant au PRESIDENT, M. SHAW (Australie) déclare qu'il accepterait le remplacement des mots «ou de crise nationale» à la deuxième ligne de l'amendement du Royaume-Uni (A/CONF.2/26) par les mots «ou en temps de tension grave sur le plan national comme sur le plan international».

Le PRESIDENT met ces mots aux voix.

Par 7 voix centre 3, avec 9 abstentions, ces mots sont rejetés.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) propose la formule «dans des circonstances graves et exceptionnelles».

M. HOARE (Royaume-Uni), suggère, avec l'approbation de M. van BOETZELAER (Pays-Bas) la formule suivante: «dans d'autres circonstances graves et exceptionnelles».

Par 16 voix contre zéro, avec 4 abstentions, cette phrase est adoptée.

Le PRESIDENT met aux voix l'amendement du Royaume-Uni ainsi amendé, dont le texte se lit comme suit: «Aucune des dispositions de la présente Convention n'a pour effet d'empêcher un Etat contractant, en temps de guerre ou dans d'autres circonstances graves et exceptionnelles, de prendre provisoirement, à l'égard d'une personne déterminée, les mesures que cet Etat estime indispensables à la sécurité nationale, en attendant qu'il soit établi par ledit Etat contractant que cette personne est effectivement un réfugié et que maintien desdites mesures est nécessaire à son égard dans l'intérêt de la sécurité nationale».

Par 16 voix centre zéro. Avec 4 abstentions. l'amendement du Royaume-Uni dans la forme ci-dessus est adopté.

La séance est levée à 17h. 55.

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