B.M. c. l'Etat belge

1ère CHAMBRE FRANCAISE

18 avril 1995

Décision en cause de:

NOM, PRENOM: B M

NE A: Koyu LE: 1951

NATIONALITE: turque

DOMICILE ELU:

 

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et son Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés;

Vu la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, modifiée par les lois des 14 juillet 1987, 18 juillet 1991 et 6 mai 1993;

Vu l'arrêté royal du 19 mai 1993 fixant la procédure devant la Commission permanente de recours des réfugiés ainsi que son fonctionnement;

Vu la décision (CG/93/19583/RA5859) du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides notifiée le 25 juillet l994;

Vu la requête envoyée à la Commission le 29 juillet 1994;

Vu les convocations notifiées aux parties en date du 8 mars 1995 pour l'audience du 18 avril 1995;

Entendu la partie requérante en ses dires et moyens à l'audience publique du 18 avril 1995, assistée par Maître A. DUELZ, avocat;

Considérant que le requérant maintient pour l'essentiel ses déclarations antérieures telles que résumées dans la décision attaquée;

Considérant que le requérant fonde sa demande d'asile sur les importantes discriminations dont il aurait fait l'objet ainsi que son épouse et son f ils en raison de leur appartenance à la Communauté arménienne;

Considérant que le requérant a déposé divers documents relatifs à la détérioration de la situation des turcs d'origine arménienne en raison de l'attitude hostile de la population musulmane particulièrement ravivée par l'analyse donnée par les médias turques du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan;

Que les discriminations dont est la victime la communauté arménienne constituent des éléments objectifs dont il convient de tenir compte dans l'appréciation du bien-fondé d'une crainte (92/335/R756, 92/693/R956, 92/668/R1447, 92/581/R1481, 93/1261/R1998);

Que toutefois, la Commission estime que l'on ne peut conclure, que tout turc d'origine arménienne peut aujourd'hui en Turquie craindre avec raison d'être persécuté du seul fait de son appartenance à cette communauté;

Qu'en effet, une telle conclusion supposerait l'existence d'une persécution de groupe, c'est-à-dire l'hypothèse extrême d'une politique systématique de persécution d'un - groupe déterminé, susceptible de frapper indistinctement tout membre dudit groupe (v. décisions prémentionnées de la C.P.R.R.);

Qu'il appartient dès lors à la Commission d'examiner la crainte du requérant, en vue d'en apprécier le bien-fondé, en tenant compte, d'une part, des données objectives, à savoir, son appartenance à la communauté arménienne et à la religion chrétienne et, d'autre part, des faits personnels invoqués;

Qu'il est plaidé que les faits personnels invoqués par le requérant sont suffisamment graves pour être assimilés à une persécution;

Considérant que le requérant a produit un récit cohérent et circonstancié mettant en exergue une accumulation de brimades, de discriminations et de violences endurées par lui-même et sa famille du fait de sa religion;

Que le fait que son épouse assurait une initiation à la vie religieuse des enfants de sa, communauté, en tenant à son domicile des réunions hebdomadaires, a focalisé sur leur foyer l'hostilité de leurs voisins musulmans, contraignant d'ailleurs la famille à plusieurs déménagements;

Que cette hostilité s'est concrétisée notamment par des menaces importantes proférées à l'égard du requérant et de sa famille, aboutissant à des pressions psychiques et physiques sur son enfant (entraîné de force à assister à des prières à la mosquée);

Que la plainte déposée par son épouse auprès des autorités de police à la suite des mesures de représailles dirigées à l'encontre de son enfant s'est soldée par un désintérêt total desdites autorités ainsi que par des menaces proférées à l'égard de son épouse, si celle-ci persistait dans son souhait d'obtenir réparation du préjudice subi;

Considérant que le requérant invoque également les menaces proférées à son égard à l'occasion de ses activités de bijoutier, qu'il était soumis à un racket important émanant de mouvements autonomistes kurdes, conscients de sa vulnérabilité au regard de la protection qu'il était légitimement en droit d'attendre de la part de ses autorités de police;

Qu'il convient de considérer que la crainte de persécution est fondée lorsqu'il peut être tenu pour établi que "la vie (du requérant) est devenue intolérable pour lui dans son pays d'origine pour les raisons indiquées dans la définition ou qu'elle le serait, pour les mêmes raisons, s'il y retournait" (cfr. Guide) des procédures et critères à appliquer pour détermine) le statut de réfugié", HCR, Genève, 1979, p. 13, par. 42);

Qu'en l'espèce, la Commission est d'avis que la vie requérant était devenue intolérable pour lui dans son pais d'origine;

Considérant qu'il importe d'apprécier si le requérant ne pouvait raisonnablement se revendiquer de la protection de ses autorités, la protection internationale offerte par la Convention ne se justifiant que lorsque la carence des autorités nationales est constatée (cfr. J.C. HATHAWAY, "The Law of Refugee Status", Butterworths, Toronto et Vancouver, 1991, pp. 124 à 133; CPRR (2) 92/024/R477 du 4 avril 1992);

Que les plaintes déposées par l'épouse du requérant au bureau de police n'ont pas été prises en considération du fait de son appartenance à la communauté arménienne;

Qu'à cet égard, la Commission estime que si l'on ne peut pas parler de politique ouverte de discrimination de la part des autorités turques à l'encontre des turcs d'origine arménienne et donc certainement pas d'une approche de reconnaissance "prima facie" du requérant, il n'existe pas de volonté manifeste de protection des membres de cette communauté lorsqu'ils sont victimes de persécutions perpétrées par la population musulmane, majoritaire dans le pays;

Que la Commission observe que cette carence dans la protection est favorisée par le déclin de la communauté arménienne dont l'exode de ses membres intensifie la vulnérabilité;

Qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'hypothèse d'une tolérance passive des autorités (dans le même sens, vois l'avis rendu par le H.C.R. et la décision conforme CPRR - 2, 1er octobre 1993, 91/329/F210; voir également Le Monde, 2/7/1990; Libération, 3/5/1991; "L'Eglise en détresse dans le monde", aide à l'Eglise en détresse, Mareil-Marly, Fr., 1993, pp. 94 et sv.; Info-Türk, 11/1993, 2/1994; Migrations Europe, 9/1994, p. 8);

Que dans le présent cas d'espèce, eu égard aux circonstances propres à la cause, le requérant ne pouvait attendre de ses autorités nationales qu'elles lui offrent une protection effective ou qu'elles répriment les exactions dont il avait fait l'objet;

Considérant, par conséquent, qu'il y a lieu de conférer au requérant le bénéfice de la protection internationale sollicitée;

PAR CES MOTIFS:

LA COMMISSION

-           Statuant contradictoirement;

-           Déclare la demande recevable et fondée; Réforme dès lors la décision rendue le 19 juillet 1994 par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides;

-           Reconnaît au requérant la qualité de réfugié;

Ainsi délibéré le 18 avril 1995.

La Commission permanente de recours des réfugiés composée de:

 

Monsieur E. MIGNON

Madame G. VANDAMME

Madame R. FOUCART

Assesseur

Assesseur

Présidente

 

assistés par Mme C. RAELET, secrétaire.

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