Council of State

13 février 1987

n° 27.542

Siég.

: Tapie, Van Aelst, François.

Aud.

: Falmagne.

Pl.

: Jaspis, Staquet.

REFUGIE RECONNU - ARTICLE 33 DE LA CONVENTION DE GENEVE - INTERDICTION D'EXPULSER OU DE REFOULER VERS LE PAYS OU LA VIE ET LA LIBERTE SONT MENACEES - DANGER POUR LA SECURITE DU PAYS - ARTICLE 32. DE LA CONVENTION DE GENEVE - ARTICLE 8 DE LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME.

Si l'article 33 de la Convention de Genève interdit l'expulsion d'un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, il ne l'interdit pas lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer ce réfugié comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou lorsque, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit particulièrement grave, il constitue une menace pour la communauté dudit pays.

Considérant que le requérant est entré en Belgique en 1969; qu'il a été reconnu comme réfugié le 1er septembre 1970 et a été autorisé à s'établir dans le Royaume avec sa famille; que son épouse, également de nationalité yougoslave, et un enfant sont venus le rejoindre en 1970; qu'un second enfant est né en Belgique; que, le 27 août 1985, il a fait l'objet d'un arrêté royal d'expulsion - l'acte attaqué - qui est notamment motivé comme suit:

Considérant que le 30 décembre 1983 avec un complice, il a commis une agression à main armée dans une agence hippique et y a volé 70.000 F., fait établi pour lequel il a d'ailleurs été condamné le 19 juin 1984 à une peine d'emprisonnement devenue définitive de trois ans.

Vu l'avis de la Commission consultative des étrangers concluant à l'expulsion;

Considérant qu'il résulte des faits précités et de leur gravité que, par son comportement personnel, il a porté une atteinte grave à l'ordre public.

Considérant que le requérant prend un premier moyen de la violation des articles 40 et 43 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, en ce que l'arrêté d'expulsion serait exclusivement fondé sur la condamnation pénale du 19 juin 1984;

Considérant que, pour justifier l'expulsion, le Roi s'est fondé non pas sur la condamnation du requérant, mais bien sur les faits qui ont amené celle-ci; que le moyen, que le requérant a d'ailleurs abandonné à l'audience à laquelle a été examinée la demande de sursis de l'exécution, n'est pas fondée;

Considérant que le requérant prend un deuxième moyen de la violation de l'article 33, 1, de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, en ce que le délit commis par lui ne revêt pas la gravité particulière requise par ledit article 33;

Considérant que l'article 33, dispose comme suit:

«1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays."

Considérant que si cet article interdit l'expulsion d'un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, il ne l'interdit pas lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer ce réfugié comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou lorsque, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit particulièrement grave, il constitue une menace pour la communauté dudit pays; qu'il s'ensuit que l'expulsion vers tout autre pays n'est pas subordonnée à la condition de la gravité particulière du délit commis; qu'en l'espèce le Roi n'a pas excédé les limites de son pouvoir d'appréciation en estimant qu'une agression à main armée, commise dans les circonstances qui ont justifié l'application d'une peine d'emprisonnement de trois ans, constituait un fait grave et en déduisant de celui-ci que, par son comportement personnel, le requérant avait gravement porté atteinte à l'ordre public; qu'au surplus rien ne permet de croire que la partie adverse aurait l'intention d'expulser le requérant en Yougoslavie ou dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée; que le moyen n'est pas fondé;

Considérant que le requérant prend un troisième moyen de la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que l'arrêté royal d'expulsion impose au requérant de quitter la Belgique en abandonnant sa femme et ses enfants;

Considérant que ledit article 8 n'empêche pas l'ingérence d'une autorité publique dans la vie privée et familiale d'un ressortissant lorsqu'elle constitue une mesure nécessaire, notamment à la défense de l'ordre; qu'au surplus, le Roi, en expulsant le requérant de Belgique, ne l'oblige nullement à y abandonner sa femme et ses enfants; que le moyen ne peut être retenu;

Considérant que, à l'audience du 7 février 1986, le requérant a pris un moyen nouveau de la violation de l'article 32, 3, de la Convention de Genève en ce que la partie adverse doit lui accorder un délai raisonnable pour lui permettre de se faire admettre régulièrement dans un autre pays, alors que cette condition est impossible à réaliser, aucun pays ne désirant accueillir le requérant après sa condamnation;

Considérant que ce moyen, à supposer qu'il ne soit pas tardivement formé, concerne l'exécution de la décision attaquée et non sa validité; qu'il n'est pas recevable,

DECIDE:

Article 1er: la requête est rejetée.

OBSERVATIONS

L'éloignement d'un réfugié vers un pays où sa vie ou sa liberté est menacée.

L'article 33 de la Convention de Genève, dont le Conseil d'Etat nous rappelle ici le contenu, interdit l'expulsion ou le refoulement d'un réfugié vers les frontières de territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, à moins qu'il y ait des raisons sérieuses de le "considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays." (c'est-à-dire le pays duquel l'intéressé est expulsé ou refoulé).

Un recours en faveur du candidat-réfugié contre la décision visant à le reconduire "à la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa déclaration, sa vie ou sa liberté serait menacée" a été inséré dans la loi du 15 décembre 1980.

Le président du tribunal de 1ère instance "vérifie qu'il y a des indices sérieux qu'une telle menace existe." Ce recours a un effet suspensif.[1]

Si le tribunal estime que la vie ou la liberté de l'interessé serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques[2], l'interessé a la possibilité d'invoquer les articles 31 et 33 de la Convention de Genève.

Comme le Conseil d'Etat l'a indiqué dans son avis sur le projet de loi[3], les dispositions précitées de la Convention de Genève lient les Etats-membres, nonobstant le fait que le réfugié, qui répond à la définition de la convention, n'est pas reconnu tel dans un Etat-membre.

L'interdiction de refouler ou d'expulser ce réfugié (art. 33) demeure donc valable, tout comme le droit à un "délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires" en vue de "se faire admettre dans un autre pays." (art. 31, 2)

G. de Moffarts, juriste.



[1] Art. 16 de la loi du 15 juillet 1987 qui apporte des modifications, en ce qui concerne notamment les réfugiés, à la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, M. B., 18 juillet 1987. Cette

[2]

[3]

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