Peter Ndebele Gwala c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Répertorié: Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Ottawa et Vancouver (vidéoconférence), 14 mai; Ottawa, 25 mai 1998.

Citoyenneté et Immigration — Contrôle judiciaire — Compétence de la Cour fédérale — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application de l'art. 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la CISR et que la décision de la section du statut à ce sujet était nulle et de nul effet — Le demandeur avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention — Par la suite, l'agente principale a conclu qu'il avait obtenu que son cas fût soumis à la section du statut par des moyens frauduleux et des fausses indications — La Cour n'avait pas compétence, sur recours en contrôle judiciaire, pour trancher des questions constitutionnelles, parce que l'agente principale n'avait pas le pouvoir de juger des questions de droit — Un tribunal administratif n'a aucune compétence inhérente au regard de l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 — Le pouvoir de juger des questions de droit doit lui être conféré expressément ou implicitement — La Loi sur l'immigration n'investissait pas expressément l'agente principale du pouvoir de juger des questions de droit — Les tribunaux n'ont pas encore tranché la question de savoir si les agents d'immigration principaux ont implicitement un pareil pouvoir — Selon un arrêt de la C.S.C., un tribunal administratif devrait être investi de fonctions juridictionnelles pour avoir le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit — L'agente principale n'est pas investie de fonctions juridictionnelles — Il s'agit d'un simple processus administratif dans lequel l'agent principal se prononce sur la recevabilité de la revendication du statut de réfugié — Le législateur n'avait pas l'intention d'investir les agents d'immigration principaux du pouvoir d'appliquer l'art. 52(1) — Question certifiée: les agents d'immigration supérieurs sont-ils implicitement investis du pouvoir de se prononcer sur des questions de droit et, dans la négative, la Section de première instance de la Cour fédérale a-t-elle compétence, sur recours en contrôle judiciaire exercé en application de l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour se prononcer sur la validité constitutionnelle d'un article de la Loi sur l'immigration?

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application de l'art. 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la CISR et que la décision de la section du statut à ce sujet était nulle et de nul effet — Le demandeur avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention — Par la suite, l'agente principale a conclu qu'il avait obtenu que son cas fût soumis à la section du statut par des moyens frauduleux et des fausses indications — Recours en contrôle judiciaire rejeté — L'art. 46.4 prévoit le «réexamen de la recevabilité» si la décision concluant à la recevabilité a été causée par le recours à des moyens frauduleux ou à de fausses indications — Cette mesure n'équivaut pas au refoulement dans un pays où il y a un risque fondé de persécution — Le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention — N'eût été les moyens frauduleux qu'il a employés, il n'aurait jamais été reconnu réfugié — L'argument selon lequel, une fois reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, cette reconnaissance ne peut être anéantie par la conclusion qu'il y a eu recours à des moyens frauduleux et à de fausses indications instituerait une distinction en fonction du moment des moyens frauduleux ou fausses indications — Il ne saurait y avoir de distinctions de ce genre — Comme tout droit que le demandeur aurait acquis à titre de réfugié au sens de la Convention aurait été obtenu par des moyens frauduleux, il ne pourrait y prétendre — Qui plus est, l'art. 46.4 est une disposition portant sur la recevabilité — La C.A.F. a jugé que l'examen préalable de la recevabilité met fin au droit des demandeurs de statut de réfugié de prétendre à la protection assurée par l'art. 7 — Aucun des droits prévus à l'art. 7 n'est touché par l'art. 46.4.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures criminelles et pénales — Contrôle judiciaire contre la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application de l'art. 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la CISR et que la décision de la section du statut à ce sujet était nulle et de nul effet — Le demandeur avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention — Par la suite, l'agente principale a conclu qu'il avait obtenu que son cas fût soumis à la section du statut par des moyens frauduleux et des fausses indications — L'art. 46.4 de la Loi ne porte pas atteinte à l'art. 12 de la Charte — Le demandeur de statut de réfugié a, selon l'art. 45(5), l'obligation d'expliquer honnêtement sa situation à l'agent d'immigration principal — Permettre aux demandeurs de statut de donner des fausses indications sur leur propre cas ou de chercher par des moyens frauduleux la protection de l'État canadien heurterait les normes sociétales de décence.

Il y avait en l'espèce recours en contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application du paragraphe 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le demandeur avait obtenu le statut de réfugié en août 1994. Par la suite, il est apparu que cette revendication aurait été déclarée recevable à la suite de moyens frauduleux et de fausses indications, en ce que le demandeur avait déjà revendiqué le statut de réfugié au Canada et que cette revendication antérieure avait été rejetée. Après une entrevue, l'agente principale a conclu, en application de l'article 46.4, qu'il avait obtenu que son cas fût soumis à la section du statut par des moyens frauduleux et des fausses indications. Revenant sur la décision initiale de recevabilité, elle a décidé, en application du paragraphe 46.01(1), qu'il n'était pas recevable à l'époque à saisir la section du statut, parce que celle-ci s'était déjà prononcée sur une revendication qu'il avait faite auparavant. Elle l'informait aussi que, conformément au paragraphe 46.4(2), toute décision rendue par la section du statut au sujet de sa revendication du statut de réfugié serait nulle et de nul effet.

Le demandeur a contesté la constitutionnalité de l'article 46.4 en ce qu'il prescrivait de rendre une ordonnance qui portait atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte.

Il s'agissait de savoir: 1) si la Cour avait compétence, sur recours en contrôle judiciaire, pour se prononcer sur la question constitutionnelle; 2) si l'agente principale tenait du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 le pouvoir d'invalider des articles de la Loi sur l'immigration; 3) si, dans la mesure où quelqu'un a été déclaré réfugié au sens de la Convention par la section du statut, c'est une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité que garanti par l'article 7 que d'annuler la décision de la section du statut, de revenir sur la décision de recevabilité initiale et de déclarer l'intéressé irrecevable à faire sa revendication, parce que pareille mesure expose l'intéressé au risque d'être refoulé dans le pays même dont il a été jugé qu'il avait raison de craindre d'y être persécuté; et 4) si ce serait un traitement cruel et inusité de renvoyer le demandeur dans un pays où il risque la persécution.

Jugement: le recours en contrôle judiciaire doit être rejeté.

1) La Cour n'avait pas compétence, sur recours en contrôle judiciaire, pour trancher la question constitutionnelle, parce que l'agente principale n'avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 46.4.

2) Un tribunal administratif n'a aucune compétence inhérente au regard du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Au contraire, il faut qu'il tienne au préalable de la loi, expressément ou implicitement, le pouvoir de juger des questions de droit avant de pouvoir s'appuyer sur le paragraphe 52(1) pour déclarer inopérantes des dispositions de sa propre loi d'habilitation. La Loi sur l'immigration ne comporte aucune disposition investissant expressément l'agente principale du pouvoir de juger des questions de droit. Les tribunaux n'ont pas encore trancher la question de savoir si les agents d'immigration principaux ont implicitement un pareil pouvoir.

Il semble qu'un tribunal administratif n'a le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit que s'il est investi de fonctions juridictionnelles. Il ressort de l'économie de la Loi que l'agente principale n'est pas investie de fonctions juridictionnelles. Il est manifeste que le législateur envisageait un simple processus administratif dans lequel l'agent principal se prononce sur la recevabilité de la revendication du statut de réfugié. Le législateur n'avait pas l'intention d'investir les agents d'immigration principaux du pouvoir d'appliquer le paragraphe 52(1). L'agente principale n'a aucune expertise spéciale pour juger des questions de droit et n'a pas compétence pour décider de ces questions.

3) L'article 46.4 prévoit le réexamen de la recevabilité par l'agent principal, si la décision concluant à la recevabilité a été causée par le recours aux moyens frauduleux ou aux fausses indications. Cette mesure n'équivaut pas au renvoi (refoulement) d'un réfugié au sens de la Convention. En fait, le demandeur n'en était pas un. N'eût été les moyens frauduleux ou fausses indications qu'il a employés, il aurait été exclu du système d'examen des revendications du statut de réfugié et n'aurait jamais été reconnu réfugié sous le régime de la Loi.

Faire droit à l'argument selon lequel, une fois reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, cette reconnaissance ne peut être anéantie par la conclusion qu'il y a eu recours à des moyens frauduleux et à de fausses indications instituerait une distinction entre les demandeurs de statut de réfugié dont les moyens frauduleux ou fausses indications ont été découverts avant que leur revendication n'ait été soumise à la section du statut et qui ont été exclus du système, et ceux qui ont réussi à soustraire leurs moyens frauduleux ou fausses indications à la découverte en temps voulu, et qui voient leur revendication instruite et acceptée par la section du statut. On ne saurait créer une distinction en fonction du moment où moyens frauduleux ont été employés ou celui où les fausses indications ont été mises à jour. Tout droit que le demandeur aurait acquis à titre de réfugié au sens de la Convention a été obtenu par des moyens frauduleux; il s'ensuit qu'il ne pourrait y prétendre.

Qui plus est, l'article 46.4 est une disposition portant sur la recevabilité. La Cour d'appel fédérale a jugé que l'examen préalable de la recevabilité met fin au droit des demandeurs de statut de réfugié de prétendre à la protection assurée par l'article 7. Ainsi donc, aucun des droits prévus à l'article 7 n'a été touché par l'article 46.4.

4) L'article 46.4 de la Loi ne porte pas atteinte à l'article 12 de la Charte. Le demandeur de statut de réfugié a, selon le paragraphe 45(5), l'obligation d'expliquer honnêtement sa situation à l'agent d'immigration principal. Permettre au demandeur de statut de donner des fausses indications sur son propre cas ou de chercher par des moyens frauduleux la protection de l'État canadien heurterait les normes sociétales de décence.

Selon les règles jurisprudentielles actuelles, la contestation de la constitutionnalité de l'article 46.4 se ferait uniquement par voie d'action en invalidité constitutionnelle devant la Cour fédérale ou une cour supérieure et simultanément par un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, lequel recours serait nécessairement suspendu en attendant l'issue de l'action (ou, faute par les parties de le faire, la Cour aurait à scinder la procédure en une action et un recours en contrôle judiciaire). Cette multiplicité des procédures semble fort encombrante, coûteuse et prendrait beaucoup de temps. De plus, le recours en contrôle judiciaire pourrait être la voie de droit qui s'impose dans les affaires comme en l'espèce. L'alinéa 18.1(4)f) de la Loi sur la Cour fédérale est une disposition fourre-tout qui habilite la Cour à intervenir lorsqu'un office fédéral «a agi de toute autre façon contraire à la loi». Il a été mentionné que cette disposition a été ajoutée pour permettre à la Cour de se prononcer, lors de recours en contrôle judiciaire, sur des questions touchant à la Charte dans les cas où le tribunal administratif dont la décision est contestée n'a pas compétence pour décider des questions de droit. Il faut permettre la production des preuves nouvelles relatives aux questions touchant à la Charte, bien que normalement, sur recours en contrôle judiciaire, seront seules examinées les preuves qui ont été administrées devant la juridiction administrative. Il s'agit là d'un facteur important en cas d'argument fondé sur l'article premier de la Charte.

La question suivante a été certifiée: les agents d'immigration supérieurs sont-ils implicitement investis du pouvoir de se prononcer sur des questions de droit et, dans la négative, la Section de première instance a-t-elle compétence, sur recours en contrôle judiciaire exercé en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour entendre une contestation de la validité constitutionnelle d'un article de la Loi sur l'immigration?

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 12.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 31.

Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74, ch. 44, art. 15.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)f) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 45(5) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 46.01(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 46.4 (édicté par L.C. 1995, ch. 15, art. 11).

jurisprudence

décisions appliquées:

Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996); 140 D.L.R. (4th) 193; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.); Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696; (1993), 100 D.L.R. (4th) 151; 14 C.R.R. (2d) 146; 18 Imm. L.R. (2d) 165; 151 N.R. 69 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.); Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 612; (1994), 22 Imm. L.R. (2d) 105; 73 F.T.R. 279 (1re inst.).

décisions examinées:

Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103; 88 CLLC 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.); Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242; (1991), 83 D.L.R. (4th) 440; 14 Imm. L.R. (2d) 13; 127 N.R. 342 (C.A.).

décisions citées:

Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; [1993] 7 W.W.R. 641; 56 W.A.C. 1; 82 B.C.L.R. (2d) 273; 34 B.C.A.C. 1; 85 C.C.C. (3d) 15; 24 C.R. (4th) 281; 158 N.R. 1; Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174; (1995), 129 D.L.R. (4th) 226 (1re inst.); Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139; 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.); conf. par sub nom. Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), A-42-96, juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23‑5‑96, inédit; sub nom. Gowrinathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), A-72-96, juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23‑5‑96, inédit; sub nom. Vilvaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), A-74-96, juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23‑5‑96, inédit.

doctrine

Desjardins, Alice. «Review of Administrative Action in the Federal Court of Canada: The New Style in a Pluralist Setting», in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, Toronto: Carswell, 1992.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, Vol. 1, Toronto: Butterworths, 1992.

RECOURS en contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application du paragraphe 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et que la décision de la section du statut selon laquelle il était un réfugié au sens de la Convention était nulle et de nul effet parce qu'elle était fondée sur des moyens frauduleux et de fausses indications. Recours en contrôle judiciaire rejeté et question certifiée.

avocats

Carolyn McCool pour le requérant.

Leigh A. Taylor pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Legal Services Society Immigration and Refugee Law Clinic, Vancouver, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Tremblay-Lamer:

Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle une agente d'immigration principale a conclu, par application du paragraphe 46.4(1) de la Loi sur l'immigration[1] (la Loi), que le demandeur n'était pas recevable à soumettre sa revendication du statut de réfugié à la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

En novembre 1993, le demandeur s'est présenté au bureau d'Immigration Canada à Vancouver pour revendiquer le statut de réfugié, en se disant citoyen d'Afrique du Sud. Sa revendication a été soumise à la section du statut, qui lui a subséquemment reconnu le statut de réfugié en août 1994. Par la suite cependant, la défenderesse a été saisie de preuves indiquant que cette revendication aurait été déclarée recevable à la suite de moyens frauduleux et de fausses indications, en ce que le demandeur avait déjà revendiqué le statut de réfugié au Canada et que cette revendication antérieure avait été rejetée.

En janvier 1995, le demandeur a été arrêté pendant qu'il se trouvait au bureau d'Immigration Canada à Vancouver, par un investigateur qui pensait qu'il était Louis Onodjamue, contre lequel un mandat d'arrêt avait été lancé. M. Onodjamue était arrivé en octobre 1990 au Canada, où il se disait citoyen du Nigéria et revendiquait le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée par la section du statut, mais les autorités de l'immigration n'étaient pas en mesure de le renvoyer hors du Canada, faute d'avoir pu le retrouver.

Au cours de l'audience relative à la garde, qui faisait suite à son arrestation, le demandeur a informé l'arbitre qu'il était vraiment Peter Gwala et que, pendant qu'il était assis dans la salle d'attente, le vrai M. Onodjamue lui avait remis des documents avant d'entrer dans les toilettes. Lorsque le nom de M. Onodjamue fut appelé, le demandeur s'est levé avec ces documents en main.

Dans l'intervalle, les autorités de l'immigration ont procédé à une vérification de l'identité du demandeur. Ses empreintes digitales ont été comparées aux empreintes digitales dans le passeport de M. Onodjamue. Les résultats de l'analyse n'étaient pas concluants, ces empreintes digitales ne pouvant être comparées puisque celles qui se trouvaient dans le passeport de M. Onodjamue n'étaient pas assez nettes. Il y a eu alors une analyse des écritures. Des échantil­lons d'écriture tirés du dossier d'Onodjamue ont été comparés à des échantillons tirés du dossier de Gwala. Il a été jugé, à la lumière des similarités significatives et de l'absence de différences significatives, que ces échantillons étaient écrits de la main de la même personne.

Dans une lettre adressée au demandeur, la défenderesse l'a informé qu'il avait peut-être obtenu que sa revendication fût soumise à la section du statut par des moyens frauduleux ou des fausses indications. Elle l'invitait aussi à se présenter devant un agent d'immigration principal pour s'expliquer sur les preuves recueillies à son sujet et dont copie était jointe à la lettre.

Au cours de l'entrevue, le demandeur, qui était assisté de son avocat, s'est vu donner la possibilité de faire des observations de vive voix. Il a décliné l'offre, mais a présenté par la suite des observations écrites.

L'agente principale a informé le demandeur de sa décision par lettre en date du 17 juin 1997, où elle a conclu, en application de l'article 46.4 [édicté, idem] de la Loi, qu'il avait en fait obtenu que son cas fût soumis à la section du statut par des moyens frauduleux et des fausses indications. Revenant sur la décision initiale de recevabilité, elle a décidé, en application du paragraphe 46.01(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi, qu'il n'était pas recevable à l'époque à saisir la section du statut, parce que celle-ci s'était déjà prononcée sur une revendication qu'il avait faite auparavant. Elle l'informait aussi que conformément au paragraphe 46.4(2) de la Loi, toute décision rendue par la section du statut au sujet de sa revendication du statut de réfugié serait nulle et de nul effet.

Le demandeur agit maintenant en contrôle judiciaire contre la décision ci-dessus de l'agente principale, en contestant la constitutionnalité de l'article 46.4 de la Loi en ce qu'il prescrit de rendre une ordonnance qui porte atteinte aux droits que lui garantit la Constitution. Cet article 46.4 porte:

46.4 (1)      Si, après que le cas a été déféré à la section du statut, il est convaincu qu'une personne a obtenu que sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention soit jugée recevable par des moyens frauduleux ou de fausses indications et qu'elle ne serait pas recevable par ailleurs, un agent principal la déclare irrecevable et en avise sans délai la section du statut.

(2)  Sur réception de l'avis, la section du statut met fin à l'étude du cas; si elle s'est déjà prononcée sur la revendication, sa décision est nulle et de nul effet.

1.         LA QUESTION DE COMPÉTENCE

Avant d'aborder les questions d'ordre constitutionnel, je dois examiner l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse, qui soutient que la Cour n'a pas compétence, sur recours en contrôle judiciaire, pour se prononcer sur les questions constitutionnelles puisque l'agente principale ne tient pas du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[2] le pouvoir d'invalider des articles de la Loi sur l'immigration.

À l'appui de cet argument, la défenderesse cite la décision Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration)[3] de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la constitutionnalité de l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage[4] a été contestée directement en Cour d'appel fédérale [[1989] 2 C.F. 245] à la suite d'une décision du conseil arbitral, sans passer par le juge-arbitre. Le juge La Forest a conclu que le conseil arbitral n'avait pas compétence pour se prononcer sur la question constitutionnelle. Puisque la compétence de la Cour d'appel fédérale se limitait à contrôler la légalité des décisions rendues par les organismes administratifs et à les leur renvoyer pour nouveau jugement, elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur la question constitutionnelle quand le conseil arbitral lui-même n'avait pas cette compétence. Voici la conclusion qu'il a tirée à ce sujet:

L'appelante soulève une question subsidiaire, savoir si la Cour d'appel fédérale pouvait examiner la question constitutionnelle dans l'hypothèse où le conseil arbitral n'avait pas lui-même compétence à cet égard.

. . .

Il ne faut toutefois pas oublier la nature spéciale des pouvoirs de révision conférés à la Cour d'appel fédérale par l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Ces pouvoirs se limitent à surveiller et à contrôler la légalité des décisions des organismes administratifs et à leur demander de reconsidérer l'affaire en leur donnant, le cas échéant, les directives appropriées; voir Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, al. 52d); Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233, le juge Marceau, à la p. 247. Je suis donc d'avis que, bien que la question de la compétence ait été légitimement soumise à la Cour d'appel, celle-ci n'avait pas compétence pour trancher de façon définitive la question constitutionnelle[5].

La défenderesse cite aussi des décisions dans le même sens de la Cour d'appel fédérale. Par exemple, dans Canada (Procureur général) c. Sirois[6], celle-ci a conclu que, sur recours en contrôle judiciaire, elle n'avait pas le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la Loi de 1973 sur les allocations familiales[7], puisque le tribunal créé en application de l'article 15 de la même Loi n'était pas lui-même investi de ce pouvoir.

Étant donné cette jurisprudence, il échet d'examiner en premier lieu si l'agente principale a le pouvoir de se prononcer sur la validité constitutionnelle de l'article 46.4 de la Loi. La question de savoir si un tribunal administratif est habilité à se prononcer sur la constitutionnalité d'un texte de loi a été examinée par la Cour suprême du Canada dans quatre causes, savoir Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College[8]; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)[9]; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration)[10]; et, plus récemment, Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne)[11]. Il ressort de ces quatre arrêts que tout tribunal administratif habilité à se prononcer sur des questions de droit peut examiner la validité constitutionnelle de sa loi d'habilitation. Un tribunal administratif n'a aucune compétence inhérente au regard du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Au contraire, il faut qu'il tienne au préalable de la loi, expressément ou implicitement, le pouvoir de juger des questions de droit avant de pouvoir s'appuyer sur le paragraphe 52(1) pour déclarer inopérantes des dispositions de sa propre loi d'habilitation.

La défenderesse reconnaît que la Loi ne comporte aucune disposition investissant expressément l'agente principale du pouvoir de juger des questions de droit. Il est donc nécessaire d'examiner si le législateur a implicitement conféré pareil pouvoir aux agents d'immigration principaux. Ce point n'a pas encore été tranché en justice.

Dans son ouvrage intitulé Immigration Law and Practice[12], Lorne Waldman est d'avis que les agents d'immigration principaux ont compétence pour se prononcer sur des questions de droit. Il tire argument de l'arrêt Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration)[13] par lequel la Cour d'appel fédérale a jugé que les arbitres de l'immigration ont compétence pour appliquer le paragraphe 52(1). Dans sa conclusion, le juge Hugessen, J.C.A., était influencé par le fait qu'il n'y avait aucune voie d'appel devant une autre juridiction compétente, habilitée à se prononcer sur les questions touchant à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. S'appuyant sur ce raisonnement, Waldman tient que les agents d'immigration principaux ont effectivement le pouvoir de juger des questions de droit parce que [traduction] «il n'y a aucune autre juridiction investie de cette compétence, et que l'importance que représentent, pour celui qui revendique le statut de réfugié, la décision en matière de recevabilité et la finalité d'une décision défavorable engage à conclure que les agents d'immigration principaux sont investis du pouvoir d'entendre les questions touchant à la Charte»[14].

Cependant, Waldman reconnaît aussi qu'il y a une différence entre la compétence de l'arbitre, qui est souvent appelé à décider des questions juridiques complexes comportant l'interprétation de lois étrangères, et celle des agents d'immigration principaux, qui est très limitée. Il s'agit là d'une distinction valide, en particulier à la lumière de la décision Cooper de la Cour suprême du Canada.

Dans cette dernière cause, il s'agissait de savoir si la Commission canadienne des droits de la personne avait le pouvoir implicite de juger de la constitutionna­lité de sa loi d'habilitation. À cette fin, le juge La Forest, prononçant les motifs de la majorité, s'est demandé si le législateur avait habilité la Commission à se prononcer sur des questions de droit. Le mandat dont est investi un tribunal administratif peut se dégager de facteurs comme sa composition et sa structure, la procédure qu'il observe, les voies d'appel contre ses décisions, et son expertise. Le juge La Forest a aussi pris en compte d'autres considérations pratiques, tout en notant qu'elles sont subordonnées à la volonté du législateur[15].

Il a conclu que la Commission n'avait pas compétence pour se prononcer sur des questions touchant à la Charte. Et que la volonté du législateur n'était pas de lui confier ce mandat, ce qui ressort du fait qu'il ne l'a pas investie de fonctions juridictionnelles. Au contraire, son rôle consiste à instruire les plaintes pour juger lesquelles d'entre elles doivent donner lieu à une enquête. De l'avis donc du juge La Forest, un tribunal administratif n'a le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit que s'il est investi de fonctions juridictionnelles. Il a conclu en ces termes, à la page 891:

Si la Commission invalidait l'al. 15c), ce qu'elle ferait en l'espèce si elle déférait la plainte à un tribunal, elle exercerait en fait une fonction décisionnelle pour laquelle elle n'a reçu aucun mandat. Lorsque le législateur s'abstient de conférer une telle compétence à un organisme administratif (comme il l'a fait en l'espèce), il n'y a pas lieu pour les cours de justice de créer cette compétence. Les organismes et tribunaux administratifs sont créés par la loi; il importe de respecter la volonté que le législateur a exprimée dans le texte de loi.

Et en page 893:

Les fonctions d'administration et d'examen préalable qui sont dévolues à la Commission et l'absence de rôle important et décisionnel indiquent manifestement que le législateur n'avait pas l'intention de conférer à cet organisme le pouvoir d'examiner des questions de droit. Il n'y a tout simplement rien dans la Loi qui puisse permettre de conclure que la Commission a le mandat qui, d'après elle et d'après les appelants, lui aurait été dévolu.

Le juge La Forest a encore conclu qu'il n'y avait guère d'avantages pratiques à ce que la Commission fût habilitée à juger de la constitutionnalité de sa loi d'habilitation. En premier lieu, du fait qu'elle n'est pas une autorité juridictionnelle, la Commission n'a pas les mécanismes nécessaires pour s'attaquer aux questions constitutionnelles complexes. Par exemple, elle n'est pas tenue aux règles de preuve traditionnelles. Il s'agit là d'un défaut lorsqu'il s'agit de juger de la constitutionnalité d'un texte de loi, ce qui présuppose des garanties convenables en matière de preuves. En second lieu, la Commission n'a pas l'expertise nécessaire pour se prononcer sur pareilles questions constitutionnelles.

Je trouve que les faits de la cause sont fort semblables à ceux de la cause Cooper. Tout comme la Commission, l'agente principale n'est pas investie de fonctions juridictionnelles. Cette conclusion est confortée par l'économie de la Loi. Le paragraphe 45(1) prescrit à l'agent principal de décider de la recevabili­té. La Loi ne prévoit ni audience ni autre procédure à cette fin. Il est manifeste que le législateur envisageait un simple processus administratif dans lequel l'agent principal, après avoir réuni les éléments d'information nécessaires, se prononce sur la recevabilité de la revendication du statut de réfugié. Pour reprendre le raisonnement suivi par le juge La Forest dans Cooper, il s'agit là d'une claire indication de la volonté du législateur de ne pas investir les agents d'immigration principaux du pouvoir d'appliquer le paragraphe 52(1).

Qui plus est, les mêmes considérations d'ordre pratique relevées par le juge La Forest dans Cooper s'appliquent à l'agente principale en l'espèce. Elle n'a aucune expertise spéciale pour juger des questions de droit.

Toutes ces considérations conjuguées m'engagent à conclure que l'agente principale n'a pas compétence pour décider des questions de droit. Il résulte de cette conclusion et de la jurisprudence en la matière que la Cour elle-même n'a pas non plus compétence, sur recours en contrôle judiciaire, pour examiner la constitutionnalité de l'article 46.4 de la Loi. Cependant, au cas où je me serais trompée à ce sujet (et aussi pour des raisons pratiques), je me sens tenue d'examiner la constitutionnalité de l'article 46.4.

2.         ANALYSE AU REGARD DE L'ARTICLE 7 DE LA CHARTE

L'avocate du demandeur ne dit pas que l'article 46.4 de la Loi est invalide dans son intégralité. Elle soutient plutôt que dans la mesure où quelqu'un a été déclaré réfugié au sens de la Convention par la section du statut, c'est une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité que cette personne tient de l'article 7, que d'annuler la décision de la section du statut, de revenir sur la décision de recevabilité initiale et de déclarer l'intéressé irrecevable à faire sa revendication. Il en est ainsi parce que pareille mesure expose l'intéressé au risque d'être refoulé dans le pays même dont il a été jugé qu'il avait raison de craindre d'y être persécuté. En bref, l'avocate du demandeur soutient qu'une fois reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, cette reconnaissance ne peut être anéantie par la conclusion qu'il y a eu recours aux moyens frauduleux et aux fausses indications.

Je n'accepte pas cette vue. L'article 46.4 de la Loi prévoit le réexamen de la recevabilité par l'agent principal, si la décision concluant à la recevabilité a été causée par le recours à des moyens frauduleux ou à de fausses indications. Il permet à l'agent principal de revenir en arrière et de reprendre la décision initiale de recevabilité. Cette mesure n'équivaut pas au refoulement d'un réfugié au sens de la Convention. En fait, le requérant n'en est pas un. N'eût été les moyens frauduleux ou fausses indications qu'il a employés, il aurait été exclu du système d'examen des revendications du statut de réfugié et n'aurait jamais été reconnu réfugié sous le régime de la Loi.

La défenderesse soutient que faire droit à l'argument du demandeur reviendrait à instituer une distinction entre les demandeurs de statut de réfugié dont les moyens frauduleux ou fausses indications sont découverts avant que leur revendication ne soit soumise à la section du statut et qui, de ce fait, sont exclus du système, et ceux qui ont réussi à soustraire leurs moyens frauduleux ou fausses indications à la découverte en temps voulu, et qui voient leur revendication instruite et acceptée par la section du statut. Vu sous ce jour, l'argument du demandeur est clairement indéfendable. Il ne saurait y avoir distinction en fonction du moment où on a découvert les moyens frauduleux ou les fausses indications. Le moment n'est pas un facteur à prendre en considération. Ce qui compte, c'est que le demandeur a obtenu, au moyen de fausses indications, que sa revendication fût instruite.

Il s'ensuit qu'il ne peut soutenir qu'il a acquis les droits d'un réfugié au sens de la Convention. Tout droit qu'il aurait acquis à titre de réfugié au sens de la Convention (par exemple le droit de non-refoulement) a été obtenu par des moyens frauduleux; il s'ensuit qu'il ne peut y prétendre.

 Qui plus est, l'article 46.4 est une disposition portant sur la recevabilité. La Cour d'appel fédérale a jugé que l'examen préalable de la recevabilité met fin au droit des demandeurs de statut de réfugié de prétendre à la protection assurée par l'article 7. Dans Berrahma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[16], il a été jugé que le demandeur n'était pas recevable à faire sa revendication par application de l'alinéa 46.01(1)c), lequel exclut les demandeurs d'asile rejetés qui ont été à l'extérieur du Canada moins de 90 jours depuis le rejet de leur première revendication. La Cour d'appel fédérale a jugé que la revendication du statut de réfugié n'est pas un droit et que le législateur peut déclarer certaines personnes irrecevables à revendiquer ce statut au Canada:

Si la Cour suprême a conclu comme elle l'a fait dans l'arrêt Singh, du moins à ce que je comprends, c'est que le Parlement avait, pour donner effet à des obligations internationales assumées préalablement, reconnu et accordé à un étranger le droit de revendiquer le statut de réfugié . . . C'est là, je pense, que se trouve la différence entre le cas Singh et le cas du revendicateur non admissible: Singh se voyait dénier un statut que la loi lui donnait droit de réclamer sans qu'il ait toutes les chances de démontrer qu'il remplissait les conditions pour l'obtenir alors que le revendicateur non-admissible ne se voit dénier aucun statut qu'il a le droit de réclamer[17].

 De même, la Cour d'appel fédérale a confirmé la constitutionnalité des critères de recevabilité dans Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[18]. Le juge Marceau, J.C.A., a conclu en ces termes que la décision rendue en application du sous-alinéa 46.02(1)e)(ii) n'allait pas à l'encontre de la Charte:

Un étranger n'a aucun droit absolu d'être reconnu comme étant un réfugié politique, soit en vertu de la common law, soit en vertu de toute convention internationale à laquelle a adhéré le Canada. Il s'ensuit que les dispositions législatives qui prétendent définir les conditions nécessaires à la revendication du statut de réfugié ne peuvent porter atteinte à la Charte que si ces conditions ont pour effet de faire preuve, à l'égard d'un groupe de demandeurs de statut, de discrimination au sens de l'article 15. Refuser à des criminels dangereux le droit, généralement accordé aux immigrants qui fuient la persécution, de chercher refuge au Canada ne saurait certes pas être considéré comme une forme illégitime de discrimination. Seul l'article 15 de la Charte est en cause car . . . une déclaration d'irrecevabilité n'implique ni n'entraîne, en elle-même, aucun acte qui puisse porter atteinte à la vie, la liberté ou la sécurité de la personne[19].

Ainsi donc, aucun des droits prévus à l'article 7 n'est touché par l'article 46.4 de la Loi sur l'immigration. Il n'est pas nécessaire que je pousse plus loin mon analyse à ce sujet.

3.         ANALYSE AU REGARD DE L'ARTICLE 12 DE LA CHARTE

Pour ce qui est de l'article 12, l'avocate du demandeur soutient que ce serait un traitement cruel et inusité de renvoyer le demandeur dans un pays où il risque la persécution.

L'article 12 requiert une analyse en deux étapes[20]. La première consiste à examiner si le traitement en cause participe du système d'administration de la justice. La seconde consiste à examiner si ce traitement est cruel et inusité en ce qu'il est si excessivement disproportionné à la transgression qu'il heurte les normes de décence.

Je ne vois pas en quoi l'article 46.4 de la Loi porte atteinte à l'article 12 de la Charte. En fait, j'estime que permettre au demandeur de tirer profit de ses fausses indications pour se faire reconnaître des droits irait à l'encontre des normes de décence. Le même raisonnement est tenu dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[21] par le juge Sopinka, qui y conclut que l'expulsion d'un résident permanent coupable d'une infraction criminelle ne heurte pas les normes de décence:

L'expulsion d'un résident permanent qui, en commettant une infraction criminelle punissable d'au moins cinq ans de prison, a délibérément violé une condition essentielle pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, ne saurait être considérée comme incompatible avec la dignité humaine. Au contraire, c'est précisément le fait de permettre que les personnes ayant pu entrer au Canada sous condition violent délibérément et impunément ces conditions qui tendrait vers l'incompatibilité avec la dignité humaine[22].

Le paragraphe 45(5) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35] de la Loi sur l'immigration prévoit pour le demandeur de statut de réfugié l'obligation d'expliquer honnêtement sa situation à l'agent d'immigration principal. Permettre aux demandeurs de statut de donner des fausses indications sur leur propre cas ou de chercher par des moyens frauduleux la protection de l'État canadien pour obtenir des droits, heurterait, à mon avis, bien plus encore les normes sociétales de décence.

Par ces motifs, la Cour déboute le demandeur de son recours en contrôle judiciaire.

L'avocate du requérant demande que soient certifiées les trois questions suivantes:

1.   Sur recours en contrôle judiciaire exercé sous le régime de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance a-t-elle compétence pour se prononcer sur la contestation de la constitutionnalité d'un article de la Loi sur l'immigration, laquelle constitutionnalité n'a pas été soulevée devant l'agent d'immigration principal?

2.   Une décision rendue en application de l'article 46.4 de la Loi sur l'immigration à l'égard d'une personne déjà reconnue réfugié au sens de la Convention, porte-t-elle atteinte à son droit au non-refoulement, à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, ainsi qu'à son droit à la protection contre des peines cruelles et inusitées?

3.   Une personne reconnue réfugié au sens de la Convention l'est-elle toujours à la suite d'une décision rendue en application du paragraphe 46.4(1) de la Loi sur l'immigration, et ce malgré le paragraphe 46.4(2) de la même Loi?

 Je conclus qu'il y a lieu de certifier la première question par les motifs qui suivent.

Sauf changement dans les règles jurisprudentielles, la contestation de la constitutionnalité de l'article 46.4 de la Loi sur l'immigration se ferait uniquement par voie d'action devant la Cour fédérale ou une cour supérieure[23].

Je ne suis cependant pas convaincue que la voie de l'action soit garante d'un résultat pratique et harmonieux. Les parties seraient obligées d'intenter simultanément une action en invalidité constitutionnelle soit devant la Cour fédérale soit devant une cour supérieure provinciale, et un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, lequel recours serait nécessairement suspendu en attendant l'issue de l'action (ou, faute par les parties de le faire, la Cour aurait à scinder la procédure en une action et un recours en contrôle judiciaire). Cette multiplicité des procédures semble fort encombrante, coûteuse et prendrait beaucoup de temps.

C'est à la même conclusion qu'est parvenu mon collègue le juge Rothstein dans Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[24]:

Si l'argument de l'avocat de l'intimé est correct, cela veut dire que celui qui conteste la décision d'un agent d'immigration aurait à choisir entre différentes procédures selon les moyens qu'il aura pris. Cela pourrait signifier deux procédures à engager simultanément dans un cas comme celui qui nous occupe en l'espèce: demande de contrôle judiciaire pour certains chefs de demande, et action pour certains autres. Cette multiplicité des procédures ne s'appliquerait que dans le cas où le tribunal administratif dont la décision est contestée n'a pas compétence pour prononcer sur les questions de droit. Je ne vois pas l'utilité de pareille multiplicité des procédures. Au contraire, la confusion et le surcroît de coût inévitables sont autant de désavantages manifestes. Je ne pense pas que le législateur ait voulu compliquer l'accès à la Cour fédérale par un impératif obscur, savoir l'obligation d'engager la procédure par voie d'action dans les cas comme celui qui nous occupe en l'espèce. Il n'a pas été démontré que la Cour ne pourrait remplir ses fonctions ou que l'une des parties serait lésée par le fait qu'il n'existe qu'une procédure, celle du contrôle judiciaire, pour contester devant cette Cour les décisions des agents d'immigration[25].

De fait, ainsi que l'a fait observer Mme le juge Desjardins de la Cour d'appel dans un article publié en 1992[26], le recours en contrôle judiciaire pourrait être en fait la voie de droit qui s'impose dans les affaires comme celle qui nous occupe ou l'affaire Tétreault-Gadoury: cette dernière cause avait été décidée avant la modification des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale[27], laquelle modification a introduit une disposition fourre-tout par l'alinéa 18.1(4)f) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] qui habilite la Cour à intervenir lorsqu'un office fédéral «a agi de toute autre façon contraire à la loi».

Mme le juge Desjardins note que cette disposition a été ajoutée pour permettre à la Cour de se prononcer, sur recours en contrôle judiciaire, sur des questions touchant à la Charte dans les cas où le tribunal administratif dont la décision est contestée n'a pas compétence pour décider des questions de droit:

[traduction] Il semble de surcroît que ce dernier motif de contrôle judiciaire permettrait à la Cour de décider si une décision donnée va à l'encontre de la Charte, en particulier si le tribunal administratif concerné n'a pas compétence pour juger des questions touchant à ce texte. Cette possibilité mérite qu'on y réfléchisse à la lumière de la décision Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) de la Cour suprême du Canada qui a jugé que, dans les cas où le tribunal administratif concerné n'a pas compétence pour se saisir d'une question de droit, la Cour d'appel fédérale n'a pas compétence non plus pour prononcer sur la question constitutionnelle.

 . . .

Cependant, la décision Tétreault-Gadoury a été rendue au regard de l'article 28 ancien. Reste à savoir si l'alinéa 18.1(4)f) constitue un texte correctif qui changera la règle de droit telle qu'elle a été définie par cet arrêt. Dans l'affirma­tive, il y a lieu à production des preuves nouvelles relatives aux questions touchant à la Charte[28].

Ainsi que l'a fait observer Mme le juge Desjardins, il faut permettre la production des preuves nouvelles relatives aux questions touchant à la Charte. Il faut se rappeler que sur recours en contrôle judiciaire, seront seules examinées les preuves qui ont été administrées devant la juridiction administrative[29]. Il s'agit là d'un facteur important en cas d'argument fondé sur l'article premier de la Charte.

Ainsi donc, à la lumière de ce qui précède et étant donné l'importance du point litigieux, je certifierai à l'intention de la Cour d'appel la question proposée par le requérant, en la modifiant comme suit:

Les agents d'immigration supérieurs sont-ils implicitement investis du pouvoir de se prononcer sur des questions de droit? Dans la négative, la Section de première instance a-t-elle compétence, sur recours en contrôle judiciaire exercé en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour entendre une contestation de la validité constitutionnelle d'un article de la Loi sur l'immigration?

Pour ce qui est des deux questions restantes, je ne vois aucune raison de les certifier.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2 [édicté par L.C. 1995, ch. 15, art. 11].

[2] Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[3] [1991] 2 R.C.S. 22.

[4] S.C. 1970-71-72, ch. 48.

[5] Note 3, supra, aux p. 37 et 38.

[6] (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.), à la p. 42.

[7] S.C. 1973-74, ch. 44.

[8] [1990] 3 R.C.S. 570.

[9] [1991] 2 R.C.S. 5.

[10] Note 3, supra.

[11] [1996] 3 R.C.S. 854.

[12] Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, vol. 1 (Toronto: Butterworths, 1992).

[13] [1991] 3 C.F. 242 (C.A.).

[14] Note 12, supra, à la p. 9.19.2.

[15] Supra, note 11, aux p. 888, 889 et 893.

[16] (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.).

[17] Id., aux p. 212 et 213.

[18] [1993] 1 C.F. 696 (C.A.).

[19] Id., à la p. 704.

[20] Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519.

[21] [1992] 1 R.C.S. 711.

[22] Id., à la p. 736.

[23] Voir Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.); conf. par sub nom. Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23-5-96, inédit; sub nom. Gowrinathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) A-72-96, juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23‑5‑96, inédit; sub. nom. Vilvaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), A-74-96, juge Robertson, J.C.A., jugement en date du 23-5-96, inédit.

[24] [1994] 2 C.F. 612 (1re inst.).

[25] Id., à la p. 623.

[26] Alice Desjardins, «Review of Administrative Action in the Federal Court of Canada: The New Style in a Pluralist Setting» dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (Toronto: Carswell, 1992), à la p. 405.

[27] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[28] Supra, note 26, aux p. 431 et 432.

[29] Voir Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.), à la p. 143; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.), à la p. 80.

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