Jan Brzezinski, Barbara Brzezinska, Patrycja Brzezinska, Bogumila Brzezinska c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Répertorié: Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lutfy—Ottawa, 24 mars et 9 juillet 1998.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Les demandeurs, tziganes de Pologne, sont des voleurs à l'étalage habituels avant et après leur revendication du statut de réfugié au Canada — Il échet d'examiner s'ils ont commis «un crime grave de droit commun» visé par l'art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — Recension de la doctrine et de la jurisprudence sur le concept de «crime grave de droit commun» — Les travaux préparatoires font ressortir la volonté des signataires de la Convention d'exclure les délits mineurs, même répétitifs — Le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $» et le vol à l'étalage ne sont pas des crimes «graves» au sens de l'art. 1Fb) — Les verdicts de culpabilité frappant les demandeurs au Canada n'entrent pas en ligne de compte — Questions certifiées aux fins d'appel.

Recours en contrôle judiciaire contre une décision de la section du statut de réfugié portant application de l'article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Les demandeurs, savoir deux parents et les deux enfants à leur charge, sont des tziganes de Pologne. Le père et la mère ont reconnu qu'ils subvenaient aux besoins de la famille par le vol, surtout le vol à l'étalage, avant et après leur revendication du statut de réfugié au Canada. Le demandeur mâle avoue avoir appris le métier de voleur pendant son enfance et que pour lui, le vol est devenu un mode de vie. Des preuves ont été produites sur les vols commis par les demandeurs à l'étranger et au Canada. Sur la foi de ces preuves, le tribunal a conclu que le caractère répétitif de ces vols en fait un crime grave en ce qu'il y a récidive et répétition, et que les demandeurs tombent sous le coup de l'article 1Fb). Il échet d'examiner au premier chef si le tribunal a commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention par ce motif qu'ils «ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil» au sens de l'article 1Fb) de la Convention.

Jugement: il faut faire droit au recours.

Il faut interpréter de façon restrictive toute clause d'exclusion de la Convention, à la lumière de la jurisprudence, de la volonté manifeste des signataires du texte et, en cas d'ambiguïté, de façon conforme à la justice et à la raison. Dans une cause récente, la Cour suprême du Canada a posé qu'il y a lieu de tenir compte des travaux préparatoires dans l'interprétation des conventions et traités. Les travaux préparatoires relatifs à l'article 1Fb) et au paragraphe 33(2) de la Convention font ressortir la volonté des délégués de ne pas exclure du droit de demander l'asile les personnes qui ont commis des délits mineurs, même «une accumulation de délits mineurs». Envisagé sur le même plan que les crimes contre l'humanité visés à l'article 1Fa) et les agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, visés à l'article 1Fc), le «crime grave de droit commun» visé à l'article 1Fb) exclut indubitablement le délit mineur de vol à l'étalage ou le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $». Les personnes qui avouent avoir commis des vols à l'étalage répétés, même celles qui sont qualifiées de «récidivistes», ne tombent pas sous le coup de l'article 1Fb). Les travaux préparatoires trahissent «l'intention manifeste des signataires de la Convention» d'exclure les délits mineurs, y compris les larcins même répétés. Il n'était pas dans la volonté des auteurs de la Convention de voir un crime «grave» dans le vol à l'étalage au sens courant du terme ou le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $» que punit l'article 334 du Code criminel. Il n'y a guère de preuves, si preuves il y a, sur la gravité des sanctions pénales de ces infractions en Europe et aux États-Unis, et rien ne prouve qu'il s'agit d'infractions donnant lieu à extradition en vertu de traités. L'ampleur des vols à l'étalage peut être un grave problème social au Canada, ils ne sont cependant pas des crimes «graves» au sens de l'article 1Fb). Le tribunal a commis une erreur en prenant en considération les infractions commises au Canada, lesquelles ne doivent pas entrer en ligne de compte dans l'évaluation de la gravité des crimes commis «en dehors du pays d'accueil». Il n'a pas non plus examiné la revendication sous l'angle de l'inclusion, malgré la décision d'appliquer la clause d'exclusion. Les parties ont soulevé des questions graves de portée générale concernant l'article 1Fb), lesquelles ont été certifiées aux fins d'appel.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 2 «voler», 334 (mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 20).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa),b),c), 33.

Déclaration universelle des droits de l'homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AGNU, 10 décembre 1948, art. 14.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1) «réfugié au sens de la Convention», 19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5), 53 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1995, ch. 15, art. 12), ann. (édicté, idem, art. 34).

jurisprudence

décisions appliquées:

Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 226 N.R. 201.

distinction faite avec:

Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; (1994), 174 N.R. 292 (C.A.).

décisions examinées:

Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 241; 32 Imm. L.R. (2d) 135 (C.F. 1re inst.); Re P.E.Y., [1996] C.R.D.D. no 301 (QL).

décisions citées:

Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.); Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646; (1994), 115 D.L.R. (4th) 403; 24 Imm. L.R. (2d) 229; 170 N.R. 302 (C.A.).

doctrine

Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1996.

Nations Unies. Centre pour les droits de l'homme. Droits de l'homme: Recueil d'instruments internationaux. New York et Genève, 1994.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, 1992.

Takkenberg A. and C. C. Tahbaz. The Collected Travaux préparatoires of the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees. Amsterdam: Dutch Refugee Council, 1990.

RECOURS en contrôle judiciaire contre une décision de la section du statut de réfugié portant exclusion des demandeurs de la définition de réfugié au sens de la Convention par ce motif que, voleurs à l'étalage habituels, ils avaient «commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil» au sens de l'article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Recours accueilli.

ont comparu:

Michael D. Bell pour les demandeurs.

Jeff R. Anderson pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Bell, Unger, Morris, Ottawa, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Lutfy:

Ce recours en contrôle judiciaire pose au premier chef la question de savoir si la section du statut de réfugié [[1997] C.R.D.D. no 50 (QL)] a commis une erreur en concluant que les demandeurs, qui reconnaissaient avoir commis des vols répétés, étaient exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention par ce motif qu'ils «ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil» [soulignement ajouté] au sens de la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].

Les faits de la cause

Les demandeurs, savoir deux parents et les deux enfants à leur charge, sont citoyens de la Pologne. Ils se disent tziganes, qualification qu'a acceptée le tribunal administratif. Les deux parents reconnaissent qu'ils subviennent aux besoins de la famille en volant, avant comme après leur revendication du statut de réfugié au Canada. Leur modus operandi est le vol à l'étalage. Selon l'article 2 du Code criminel[1], «voler» s'entend du fait de commettre un vol.

Le défendeur a reconnu devant le tribunal que le fait de commettre un vol ne constituait pas nécessairement un crime grave au sens de la section Fb) de l'article premier[2]. Devant la Cour cependant, il s'appuie sur la principale conclusion du tribunal sur les demandeurs, savoir qu' [au paragraphe 59] [traduction] «le crime en question est "grave" en ce qu'il y a récidive et répétition».

Le défendeur consent à qu'il soit fait droit au recours en contrôle judiciaire à l'égard des deux enfants, qui ont maintenant 23 et 13 ans respectivement. Il a été jugé que ceux-ci, et leurs parents, n'étaient pas des réfugiés parce que [traduction] «les demandeurs font tous partie d'une famille de malfaiteurs, dont le demandeur mâle est le chef». Aucun autre motif n'a été donné pour l'exclusion des enfants. Le tribunal avait indiqué que la revendication de ces derniers serait instruite à part, mais n'en a rien fait. La Cour donnera effet au consentement du défendeur et annulera la décision en ce qui concerne lesdits enfants. Le terme «demandeurs» ne désignera donc ci-après que les père et mère, Jan Brzezinski et Barbara Brzezinska.

La preuve des crimes commis par les demandeurs

Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée au Canada en 1989. Ils sont partis pour les États-Unis peu après et sont revenus au Canada en 1992. L'audition de leur revendication s'est ouverte en septembre 1994 et, après plusieurs ajournements pour diverses raisons, n'a pris fin qu'en décembre 1996. Le tribunal a recueilli la preuve des infractions qu'ils avaient commises en Europe, aux États-Unis et au Canada.

i)          La preuve des crimes commis en dehors du pays d'accueil

La preuve des vols commis par les demandeurs est essentiellement établie par leur propre témoignage.

Le tribunal a entendu le témoignage de M. Brzezinski qui avouait avoir appris le métier de voleur pendant son enfance. Pour ce demandeur, le vol est devenu un mode de vie. Le tribunal a résumé son témoignage comme suit [aux paragraphes 31 et 32 (QL)]:

[traduction] . . . le tribunal a aussi demandé au demandeur s'il avait jamais eu un emploi stable et il a répondu non. Il dit que son gagne-pain pour lui-même et pour sa famille était le vol. Surtout, dit-il, il volait des vêtements qu'il revendait ensuite pour avoir l'argent nécessaire. Les articles les plus chers lui rapportaient 30 ou 40 $. Le vol est inné chez les tziganes, dit-il, il ne peut pas l'expliquer, mais c'est un besoin profondément ancré dans son être. C'est quelque chose qu'il doit faire. Le tribunal lui a demandé pourquoi il ne vole que dans les magasins; il répond que c'est l'endroit où le vol est le plus facile. Il dit qu'il a grandi en Pologne et a appris les techniques de vol d'autres enfants. Plus il y a de monde, plus il est facile de voler. Les parents plus âgés leur apprennent comment déjouer la surveillance. Ils prennent des choses dans le magasin, et l'un d'entre eux va payer quelque chose de pas cher à la caisse, tandis que les autres filent à la sortie avec leur butin. S'ils sont pris en flagrant délit de vol, c'est tant pis. S'ils ne sont que soupçonnés, ils nient et offrent même de prêter serment. À la question de savoir s'il avait des économies pour sa retraite, il a répondu qu'il n'en avait pas, qu'il ne pouvait arrêter de voler et que la retraite est inconnue chez les tziganes. À la question de savoir ce que ferait une personne qui devient infirme et ne peut plus voler, il n'a pas répondu. Pressé de répondre, il a dit qu'il aide les membres de la famille, âgés et infirmes et qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins. Il dit que ses enfants prendront soin de lui quand il sera vieux et infirme.

. . .

De son propre aveu, il sera toujours voleur. Il a expliqué ses techniques de vol, auxquelles il fait participer sa famille.

Sur la foi de ce témoignage, le tribunal a conclu qu'il [au paragraphe 34] [traduction] «appert que M. Brzezinski est déterminé à ne jamais cesser de voler» et [traduction] «fait preuve de criminalité chronique du genre à saper la structure sociale».

Le témoignage de l'épouse de M. Brzezinski était dans le même sens. En voici le résumé donné par le tribunal [au paragraphe 37]:

[traduction] . . . elle dit qu'elle gagne sa vie par le vol. Elle a volé une robe, par exemple, parce qu'elle n'avait jamais eu une belle robe. Elle a pris un gâteau au chocolat, et elle a volé diverses choses pour des occasions spéciales. Elle reconnaissait avoir volé en Pologne, aux États-Unis et au Canada. Elle a commencé par dire qu'elle ne savait pas si elle l'avait fait dans d'autres pays, mais a fini par avouer qu'elle avait été en Allemagne et y avait été prise en flagrant délit de vol.

Elle a reconnu avoir commis des vols pour lesquels elle n'a pas été prise par la police.

 Il y a aussi des preuves documentaires. Le représentant du ministre a produit un rapport du bureau d'Interpol en Allemagne, selon lequel M. Brzezinski avait été soupçonné de vol à l'étalage à trois reprises. Les informations émanant du Bureau fédéral d'enquête des États-Unis indiquent que M. Brzezinski a commis plusieurs vols à l'étalage dans l'Illinois, dont l'un vers la fin de 1989 et cinq en 1991. Le FBI fait aussi savoir que Mme Brzezinska était impliquée dans trois vols pendant la même période. Ces informations ne disent pas si les incidents en question se sont soldés par des poursuites et condamnations en justice.

D'autres documents font état de l'usage de faux papiers, de fausses déclarations et de l'usage de faux noms par les demandeurs en Europe.

ii)         La preuve des crimes commis au Canada

Le tribunal a également recueilli la preuve d'infractions commises par les demandeurs au Canada, c'est-à-dire d'infractions qui n'ont pas été commises «en dehors du pays d'accueil». Il se peut qu'il ait jugé cette preuve pertinente pour établir que les demandeurs étaient des voleurs habituels.

M. Brzezinski a été déclaré à deux reprises coupable de recel pendant qu'il était au Canada. En janvier 1993, il a été condamné à une amende de 75 $ pour la première déclaration de culpabilité et en octobre 1994, il a été condamné à une amende de 1 000 $ et mis en probation pour une période de 18 mois. Sa femme, qui était impliquée dans cette seconde affaire, a été condamnée à une peine avec sursis et à une période de probation de deux ans. En 1992 et 1993, elle a été aussi déclarée coupable à quatre reprises de vols d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $ et a été condamnée à des peines allant de 200 $ d'amende à 14 jours d'emprisonnement.

Le tribunal a également entendu le témoignage d'un agent de l'unité des renseignements criminels de la Police régionale d'Ottawa-Carleton, lequel a produit un tableau illustrant le lien existant entre la famille Brzezinski et les «tziganes polonais et associés» dans ce qu'il a décrit comme des activités criminelles organisées de vols et de vols à l'étalage. Il a également déposé un rapport du Conseil canadien du commerce de détail, selon lequel les pertes pour vols dans les commerces de détail s'élevaient en 1994 à 2,4 milliards de dollars, dont le quart était imputable aux employés. Il n'avait que très peu d'informations, si informations il y avait, sur la participation des demandeurs aux activités criminelles. Il ne sait pas si ceux-ci ont commis des vols dans des demeures privées ou avec usage d'armes. En réponse à une question posée par le représentant du ministre, il a reconnu qu'un vol d'une «valeur ne dépassant pas 1 000 $» ne constitue pas en soi un crime «grave»[3].

La décision du tribunal

La principale conclusion du tribunal sur la perpétration de crimes graves se limite à l'aveu fait par les demandeurs que le vol était pour eux un mode de vie[4]. À ses yeux, la preuve du caractère répétitif des vols en fait un crime grave:

[traduction] Le crime en question est «grave» en ce qu'il y a répétition et récidive. Les deux principaux demandeurs reconnaissent qu'ils volent depuis longtemps et le demandeur mâle a exprimé sa volonté de persister dans cette voie. Il dit qu'il poursuivra son activité criminelle. Il dit qu'il a fait participer sa famille à cette activité criminelle. Il a appris à ses enfants comment voler. Mme Brzezinska avoue que la famille a commis des vols qui n'ont pas été portés à l'attention des autorités[5].

Le tribunal a conclu que les demandeurs tombaient sous le coup de la section Fb) de l'article premier à la lumière des preuves montrant que certains des crimes en question avaient été commis avant leur arrivée au Canada et subséquemment, pendant qu'ils étaient aux États-Unis.

Le tribunal ne s'est pas prononcé sur la question de l'inclusion [au paragraphe 46] [traduction] «puisque [les demandeurs] sont des personnes à exclure». Il ressort de la transcription de l'audience que les questions posées aux deux parents étaient davantage focalisées sur la question de l'exclusion que sur la persécution dont seraient victimes les tziganes en Pologne. Le tribunal a tout de même pris acte que, selon les preuves documentaires dont il était saisi, les tziganes sont en proie en Pologne à la discrimination qui se traduit, dans nombre de cas, par de la persécution.

La section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

La définition de réfugié au sens de la Convention, figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[6], exclut les personnes qui tombent sous le coup des sections E et F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Ces deux sections sont reproduites dans l'annexe de la Loi [édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 34]. La section F vise les personnes qui se sont rendues coupables de crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, de crimes graves de droit commun ou d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies:

F.   Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a)   Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b)   Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c)   Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

La Cour n'a pas été souvent appelée à considérer l'applicabilité de l'article premier, section Fb). Dans Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[7], la Cour d'appel s'est longuement penchée sur le sens de «crime politique». Cette analyse n'a pas application en l'espèce. Dans Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], mon collègue le juge Teitelbaum n'a eu aucun mal à conclure que la tentative d'agression sexuelle sur la personne d'un garçon de 11 ans était un crime «grave» au sens de la section Fb) de l'article premier, bien que la nature de l'infraction ne fût pas le point litigieux central dans cette affaire. Dans Klos c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[9], les parties ont consenti à une ordonnance d'expédient portant annulation de la décision de la section du statut en raison d'«erreurs susceptibles de contrôle judiciaire au regard de la question de l'exclusion». Dans cette affaire, la section du statut[10] avait conclu qu'un tzigane polonais était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention à cause de crimes commis en dehors du pays d'accueil, dont des vols par effraction toujours en instance de poursuite.

Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié[11] évoque en ces termes le contexte d'après-guerre dans lequel la clause d'exclusion a été élaborée en 1951:

147.    Les instruments internationaux antérieurs à la Seconde Guerre mondiale qui définissaient différentes catégories de réfugiés ne contiennent aucune disposition excluant les criminels de leur champ d'application. C'est immédiatement après la guerre que, pour la première fois, des dispositions spéciales ont été élaborées en vue d'exclure du bénéfice de l'assistance alors accordée aux nombreux réfugiés certaines personnes qui étaient jugées indignes de la protection internationale.

148.    Au moment où la Convention a été élaborée, le souvenir des procès des grands criminels de guerre était encore très présent et les États se sont accordés à reconnaître que les criminels de guerre ne devaient pas être protégés. En outre, les États voulaient être à même de refuser l'accès à leur territoire à des criminels qui seraient un danger pour la sécurité et l'ordre public.

Ce Guide donne aussi une définition de crime «grave» de droit commun dans la section «Crimes de droit commun»:

155.    Il est difficile de définir ce qui constitue un crime «grave» de droit commun aux fins de la clause d'exclusion à l'examen, d'autant que le mot «crime» revêt des acceptions différentes selon les systèmes juridiques. Dans certains pays, le mot «crime» ne vise que les délits d'un caractère grave; dans d'autres pays, il peut désigner toute une catégorie d'infractions allant du simple larcin jusqu'au meurtre. Dans le présent contexte, cependant, un crime «grave» doit être un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d'une peine très grave. Des infractions mineures pour lesquelles sont prévues des peines modérées ne sont pas des causes d'exclusion en vertu de la section F b) de l'article premier, même si elles sont techniquement qualifiées de «crimes» dans le droit pénal du pays considéré. [Soulignement ajouté.]

L'intimé s'appuie sur le passage suivant de l'ouvrage The Refugee in International Law[12] au sujet des crimes graves de droit commun:

[traduction] Pour promouvoir l'uniformité des décisions, le HCNUR a proposé qu'en l'absence de tout facteur politique, la preuve de l'une des infractions suivantes soit considérée comme valant présomption de crime grave: homicide, viol, sévices sexuels sur la personne d'un enfant, coups et blessures graves, incendie criminel, trafic de drogue, et vol à main armée. (Cette liste n'est pas du tout exhaustive; elle rapporte les genres d'infractions reconnues par des demandeurs d'asile eux-mêmes, lors d'entrevues avec les autorités américaines.) Cette présomption doit cependant être susceptible de réfutation par la preuve de circonstances atténuantes, dont quelques exemples sont cités infra. Les infractions suivantes pourraient être également considérées comme des crimes graves eu égard aux circonstances: effraction (cambriolage), vol (y compris vol qualifié), recel de bien volé, abus de confiance, possession de drogues en quantités excédant l'usage personnel, voies de fait. Les facteurs qui justifient la conclusion au crime grave sont les suivants: usage d'arme, blessures corporelles, valeur du ou des biens touchés, type de drogues (La simple possession de marijuana pour l'usage personnel n'était pas considérée comme un crime grave de droit commun), et preuve de comportement criminel habituel. [Non souligné dans l'original.]

Dans Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[13], le juge Robertson de la Cour d'appel, après avoir pris acte de la doctrine dominante selon laquelle il faut interpréter de façon restrictive toute clause d'exclusion de la Convention, a posé que la clause d'exclusion en jeu doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence, de la volonté manifeste des signataires de la Convention et, en cas d'ambiguïté, de façon conforme à la justice et à la raison:

À l'appui de sa prétention, l'appelant soutient que la Commission et cette Cour devraient interpréter de façon restrictive la disposition d'exclusion, étant donné le risque de persécution auquel sont soumis ceux qui pourraient par ailleurs être déclarés réfugiés au sens de la Convention. Je reconnais que cette opinion est partagée par tous les auteurs reconnus et renforcés par le Guide du HCNUR; . . .

Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je suis tenu de considérer l'application de la disposition d'exclusion en tenant compte, tout d'abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis de l'intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l'interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir[14].

Dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[15], la Cour suprême du Canada a rappelé cette observation du juge Robertson en posant qu'il y a lieu de tenir compte des travaux préparatoires dans l'interprétation des conventions et traités.

Dans Pushpanathan, la Cour suprême a examiné si la perpétration d'une infraction grave de trafic de drogue au Canada était un acte contraire aux buts et aux principes des Nations Unies au sens de l'article premier, section Fc). Dans son analyse de la question, le juge Bastarache a rapproché les crimes tombant sous le coup de la section Fb) de l'article premier de ceux qui peuvent donner lieu à extradition:

De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans le pays d'accueil.

. . .

Les parties ont voulu s'assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l'extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié. Vu la portée bien définie de la section Fb) de l'article premier, celle‑ci étant limitée aux «crimes graves de droit commun» commis en dehors du pays d'accueil, on doit inévitablement en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés par le libellé général et catégorique de la section Fc) de l'article premier. La section Fb) de l'article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d'accueil, alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d'accueil[16].

Le projet primitif de l'article premier, section F, prévoyait ce qui suit:

[traduction] Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser: a) qu'elles ont commis un crime prévu à l'article VI de l'Accord de Londres sur le Statut du Tribunal militaire international; ou b) qu'elles tombent sous le coup de l'article 14, paragraphe 2, de la Déclaration universelle des droits de l'homme[17].

L'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme porte[18]:

Article 14

1.   Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.

2.   Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Certaines délégations estimaient que la qualification «fondées sur un crime de droit commun» figurant au paragraphe (2) de l'article 14 se traduirait par une exclusion trop générale du droit au statut de réfugié. Cette inquiétude a été exprimée le plus vivement par le représentant du Royaume-Uni lors des dernières réunions consacrées à la section F de l'article premier, juste avant l'adoption définitive de la Convention:

[traduction] Le paragraphe (2) de l'article 14 prévoit que le droit d'asile ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun. Une référence à ce paragraphe signifierait donc que s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'une personne tombe dans cette catégorie, elle ne serait plus couverte par la Convention. Mais qu'a-t-on voulu entendre par personne tombant dans une catégorie de poursuites? Il semble qu'une personne qui a été jugée coupable et condamnée tombe certainement dans pareille catégorie. Dans sa version actuelle, l'alinéa b) viserait les réfugiés qui ont commis dans le pays d'accueil une infraction si mineure soit-elle, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un crime politique, qui les exclut automatiquement du bénéfice de la Convention. Cela doit sauter aux yeux de tous que pareille règle ne tient pas[19]. [Non souligné dans l'original.]

Deux jours auparavant, le représentant du Royaume-Uni avait exprimé la même préoccupation et mentionné expressément le «larcin» parmi les crimes pouvant tomber sous le coup du paragraphe (2) de l'article 14 si cette «échappatoire» n'était pas éliminée:

[traduction] . . . il ne faut pas que des réfugiés coupables d'infractions telles que des larcins dans leur camp soient exclus une fois pour toutes du bénéfice de la Convention. Un délégué a déclaré que le traitement civilisé des demandeurs d'asile écarte pareille éventualité; dans ce cas il ne devrait y avoir aucune objection à ce que ce principe soit consacré à titre de règle juridique dans la Convention, faute de quoi les États auraient une échappatoire qui leur permettrait de se dérober à leur responsabilité vis-à-vis de tout réfugié qui aura été jugé coupable d'un crime quelconque sur leur territoire[20].

Cette vue était partagée par les représentants des Pays-Bas ([traduction] «ce serait illogique d'exclure les criminels de droit commun du bénéfice de la Convention»)[21] et de la Belgique ([traduction] «la délégation belge ne considérait pas que le statut de réfugié pouvait être dénié à quelqu'un du seul fait qu'il avait été jugé coupable d'un crime de droit commun dans son pays d'origine»)[22]. Pour sa part, le délégué français a fait observer qu'«un crime n'est pas la même chose qu'un délit, et le "crime" au sens de la Déclaration universelle des droits de l'homme s'entend du crime grave»[23].

À la lumière de ces délibérations, la Conférence a adopté les amendements proposés par les délégations yougoslave et belge pour remplacer le projet de la section Fb) de l'article premier et sa simple référence au paragraphe (2) de l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, par ce qui suit:

[traduction] b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c)   qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies[24].

La version définitive de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés a été adoptée le 28 juillet 1951 et la section Fb) de l'article premier se lit comme suit:

b)   Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

Les travaux préparatoires se rapportant à ces séances[25] montrent dans quelle mesure le débat avait été influencé par la clause de «non-refoulement», savoir l'article 33 de la Convention qui porte:

Article 33 Défense d'Expulsion et de Refoulement

1.   Aucun des États Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2.   Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

L'article 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1995, ch. 15, s. 12] de la Loi sur l'immigration[26], conjointement avec les articles 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83] et 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5], représente la mise en application par le Canada de l'article 33. Dans Pushpanathan, le juge Bastarache a considéré la conjugaison de l'article premier, section F, et de l'article 33 en ces termes:

L'objet de l'article premier est de définir le terme réfugié. Puis, la section F de l'article premier établit les catégories de personnes expressément exclues de la définition. L'objet de l'article 33 de la Convention, par contraste, n'est pas d'établir qui a la qualité de réfugié, mais bien de permettre le refoulement d'un réfugié authentique vers son pays natal s'il constitue un danger pour le pays d'accueil ou pour la communauté dudit pays. Cette distinction fonctionnelle est reflétée dans la Loi, laquelle, d'une part, intègre la section F de l'article premier à l'art. 2, l'article définitoire, et d'autre part, confère au ministre, à l'art. 53, où sont reprises généralement les dispositions de l'art. 33, le pouvoir d'expulser un réfugié admis comme tel. Par conséquent, l'objet général de la section F de l'article premier n'est pas de protéger le pays d'accueil contre les réfugiés dangereux, que ce soit en raison d'actes commis avant ou après la présentation de la revendication du statut de réfugié; c'est l'art. 33 de la Convention qui vise cet objectif. Il est plutôt d'exclure ab initio ceux qui ne sont pas des réfugiés authentiques au moment de la présentation de leur revendication. Bien que tous les actes visés à la section F de l'article premier puissent vraisemblablement être assimilés aux motifs de refoulement visés à l'art. 33, ce sont des dispositions distinctes[27]. [Non souligné dans l'original.]

La version définitive du paragraphe 33(2) est, à part quelques révisions mineures, le résultat d'un amendement proposé conjointement par la France et le Royaume-Uni[28]. En réponse à une suggestion que l'amendement mentionne aussi les criminels habituels, le représentant du Royaume-Uni a exprimé l'espoir:

[traduction] . . . que la portée de l'amendement ne soit pas excessivement élargie. Bien qu'il apprécie l'intention qui sous-tend la proposition italienne, il tient à souligner que pour que quelqu'un soit déclaré en justice criminel incorrigible ou habituel, il faut que ce quelqu'un ait commis soit des crimes graves soit une accumulation de délits mineurs. Le premier cas serait couvert par l'amendement conjoint, et il estime qu'il vaut mieux laisser le second en dehors du champ d'application de cette disposition[29].

C'était durant les séances qui suivirent immédiatement cette intervention que fut adoptée la notion de «crime grave de droit commun» pour la section Fb) de l'article premier. Les travaux préparatoires relatifs à cette dernière disposition comme au paragraphe 33(2) font ressortir la volonté des délégués de ne pas exclure du droit de demander l'asile les personnes qui ont commis des délits mineurs, même «une accumulation de délits mineurs». Le texte de ces dispositions traduit cette volonté de leurs auteurs.

L'applicabilité de l'article premier, section Fb), à l'affaire en instance

Envisagé sur le même plan que les crimes contre l'humanité visés à la section Fa) de l'article premier et les agissements contraires au buts et aux principes des Nations Unies, visés à la section Fc), le «crime grave de droit commun» visé à la section Fb) est clair et dénué d'ambiguïté: il exclut le délit mineur de vol à l'étalage ou le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $». D'ailleurs, le juge Bastarache a bien vu dans Pushpanathan que la section Fb) vise à exclure les criminels de droit commun «susceptibles d'extradition en vertu d'un traité»[30] du droit de demander l'asile politique. De même, j'estime que les personnes qui avouent avoir commis des vols à l'étalage répétés, même celles qui sont qualifiées de «récidivistes», ne tombent pas sous le coup de la section Fb) de l'article premier. S'il y avait vraiment quelque doute sur la portée de cette disposition, les travaux préparatoires trahissent à mon avis «l'intention manifeste des signataires de la Convention»[31] d'exclure les délits mineurs, y compris les larcins même répétés.

En l'espèce, je suis convaincu qu'il n'était pas dans la volonté des auteurs de la Convention de voir un crime «grave» dans le vol à l'étalage au sens courant du terme ou le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $» que punit l'article 334 [mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 20] du Code criminel. Plus spécifiquement, le témoignage des demandeurs au sujet du vol de marchandises relativement peu coûteuses dans les magasins est la seule preuve de leurs infractions en Europe. C'est également le cas de la preuve documentaire des larcins commis aux États-Unis. Il n'y a la preuve d'aucun autre crime «en dehors du pays d'accueil» sur laquelle le tribunal ait pu fonder sa conclusion[32]. Il n'y a guère de preuves, si preuves il y a, sur la gravité des sanctions pénales de ces infractions en Europe et aux États-Unis. Rien ne prouve qu'il s'agit d'infractions donnant lieu à extradition en vertu de traités.

L'ampleur des vols et vols à l'étalage au Canada peut être un grave problème social. Les agissements reconnus par les demandeurs sont des crimes. Ces agissements sont des actes graves. Ils ne sont cependant pas des crimes «graves» au sens de la section Fb) de l'article premier, qui a force de loi au Canada par incorporation dans la Loi sur l'immigration. Au Canada, le «vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $» est punissable par voie de mise en accusation ou de procédure sommaire. Il ressort des preuves administrées en l'espèce que les demandeurs y ont fait l'objet de déclarations de culpabilité par voie de procédure sommaire. Ils ont été condamnés à des peines allant des amendes à 14 jours d'emprisonnement. Les sanctions contre leur récidive, à supposer qu'ils puissent faire valoir une crainte fondée de persécution en Pologne, doivent être trouvées dans la loi pénale et la loi d'immigration du Canada. Elles ne peuvent cependant découler de la section Fb) de l'article premier.

Comme noté supra, même une accumulation de vols à l'étalage ne constitue pas un crime «grave» au sens de cette disposition. Quand bien même je me serais trompé sur ce point, la décision attaquée du tribunal doit être annulée. Il ressort des preuves administrées que les demandeurs n'ont pas fait usage d'armes ni ne sont entrés par effraction dans des demeures privées. En concluant que «le crime en question est "grave" en ce qu'il y a récidive et répéti­tion», le tribunal a pris en compte, du moins en partie, des infractions commises au Canada. Il s'agit là d'une erreur de droit puisque les infractions dont les demandeurs ont été reconnus coupables au Canada ne doivent pas entrer en ligne de compte dans l'évaluation de la gravité des crimes commis «en dehors du pays d'accueil». De même, la preuve relative à leur participation à la criminalité organisée au Canada est au mieux nébuleuse et n'est pas concluante, à supposer que cette participation soit un facteur propre à attirer sur les demandeurs l'application de la section Fb) de l'article premier.

Dans Moreno, la Cour d'appel a également posé que la section du statut de réfugié doit examiner la revendication sous l'angle de l'inclusion, malgré la décision d'appliquer la clause d'exclusion. Voici les trois motifs pris par la Cour pour lui recommander de suivre la pratique de conclusions alternatives:

D'une part, du point de vue pratique, il est extrêmement difficile de distinguer les motifs sur lesquels le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié des circonstances qui pourraient entraîner l'application de la disposition d'exclusion . . .

D'autre part, si la Commission commet une erreur relativement à l'application de la disposition d'exclusion mais qu'elle se prononce également sur l'application de la disposition d'inclusion, il peut être inutile de lui renvoyer l'affaire. Il en est de même si la Commission se prononce sur la disposition d'inclusion, tire une conclusion défavorable et rejette la revendication sans se pencher sur le critère d'exclusion. Les facteurs tels le temps et le coût sont toujours éloquents dans l'élaboration de directives pratiques . . .

Enfin, indépendamment des considérations pratiques, il se peut fort bien que, dans certains cas, la Commission soit légalement tenue de se prononcer sur la revendication du statut de réfugié, sans tenir compte de l'applicabilité de la disposition d'exclusion[33].

Il se peut qu'un examen attentif au fond de la crainte de persécution que fait valoir le demandeur mette au jour des faits qui éclairent, d'une façon ou d'une autre, l'affaire au regard de la clause d'exclusion. Ce que n'a pas fait le tribunal en l'espèce.

Par ces motifs, la décision du tribunal sera annulée à l'égard des quatre demandeurs, et l'affaire renvoyée pour nouvelle instruction par une autre formation du tribunal, au regard à la fois des clauses d'inclusion et d'exclusion, dans le sens des présents motifs.

Les parties ont conjointement demandé que soient certifiées les questions suivantes:

1.   La clause d'exclusion incarnée dans l'article premier, section Fb), de la Convention relative au statut des réfugiés, qui figure à l'annexe 1 de la Loi, peut-elle être invoquée lorsque le demandeur commet habituellement des crimes qui, pris isolément, ne seraient pas considérés comme des «crimes graves de droit commun»?

2.   La section du statut peut-elle prendre en considération des facteurs autres que le ou les crimes commis en dehors du pays d'origine, lesquels facteurs pourraient être des circonstances aggravantes ou atténuantes dans une conclusion au «crime grave de droit commun»? Par exemple, un comportement criminel habituel dans le pays d'accueil ou des témoignages indiquant une absence totale de remords ou de rédemption à l'égard de ce ou de ces crimes mettent-ils en jeu la clause d'exclusion?

Je conviens qu'il s'agit là de questions graves de portée générale concernant l'article premier, section Fb), et portant sur des points ayant un rapport direct avec les présents motifs. Elles seront certifiées.



[1] L.R.C. (1985), ch. C-46.

[2] Voir infra, par. 13.

[3] Dossier du tribunal, à la p. 1217.

[4] Le tribunal n'a pas poursuivi la question des faux passeports (Dossier du tribunal, à la p. 11) bien qu'il soit brièvement revenu sur cette question vers la fin de ses motifs de décision (Dossier du tribunal, à la p. 21). Voir infra, note 32.

[5] Dossier du tribunal, à la p. 19 [au par. 59 (QL)].

[6] L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par. L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1].

[7] [1995] 1 C.F. 508 (C.A.). Voir aussi Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.).

[8] (1995), 133 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.).

[9] (8 août 1997), IMM-2516-96 (C.F. 1re inst.).

[10] 21 juin 1996, dossier no T95-07565 [Re P.E.Y., [1996] C.R.D.D. no 301 (QL)]. La décision rendue par la section du statut dans l'affaire Klos fut versée au dossier du tribunal en l'espèce, mais l'ordonnance d'expédient portant annulation de cette décision a été rendue après la décision visée par le recours en contrôle judiciaire en instance.

[11] Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, 1992).

[12] G. S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, 2e éd. (Oxford: Clarendon Press, 1996), à la p. 107.

[13] [1994] 1 C.F. 298 (C.A.).

[14] Id., à la p. 307.

[15] [1998] 1 R.C.S. 982, aux p. 1021 et 1022, par. 54 et 55. L'observation faite par le juge Robertson signifie, à mon sens, que la volonté manifeste des signataires de la Convention doit, à titre de guide d'interprétation, l'emporter sur les «commentaires» des auteurs les plus en vue en la matière. Dans ce sens, la Cour suprême du Canada, avec ses nombreuses références aux travaux préparatoires, n'était pas en désaccord avec son approche.

[16] Id., aux p. 1033 et 1034, par. 73. La référence faite par le juge Bastarache aux criminels de droit commun «susceptibles d'extradition en vertu d'un traité» se trouve aussi dans les travaux préparatoires; voir par exemple le document E/AC.7/SR.166 du 22 août 1950 des Nations Unies, qui est le procès-verbal sommaire d'une réunion du Conseil économique et social du 7 août 1950, où était débattue la définition de «réfugié».

[17] A. Takkenberg & C. C. Tahbaz, éditeurs, The Collected Travaux préparatoires of the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees (Amsterdam: Dutch Refugee Council, 1990) vol. III, aux p. 22 et 159, où est reproduite la p. 5 du document A/CONF.2/1 du 12 mars 1951 des Nations Unies. Il s'agit de la version du projet de Convention adopté par l'Assemblée générale le 14 décembre 1950. Dans Pushpanathan, supra, note 15, au par. 59, le juge Bastarache mentionne une version antérieure, adoptée par le Conseil économique et social des Nations Unies en août 1950.

[18] Nations Unies. Centre pour les droits de l'homme: Droits de l'homme: Recueil d'instruments internationaux, vol. 1 (New York et Genève: 1994), à la p. 4.

[19] Supra, note 17, à la p. 491, où sont reproduites les p. 11 et 12 du document A/CONF.2/SR.29 du 28 novembre 1951 des Nations Unies, qui est le compte rendu analytique de la séance du 19 juillet 1951 de la Conférence.

[20] Supra, note 17, à la p. 432 où est reproduite la p. 9 du document A/CONF.2/SR.24 du 27 novembre 1951 des Nations Unies, qui est le compte rendu analytique de la séance du 17 juillet 1951 de la Conférence.

[21] Supra, note 17, à la p. 491 où est reproduite la p. 12 du document A/CONF.2/SR.29 du 28 novembre 1951 des Nations Unies, qui est le compte rendu analytique de la séance du 19 juillet 1951 de la Conférence.

[22] Supra, note 17, à la p. 492 où est reproduite la p. 14 du document A/CONF.2/SR.29 du 28 novembre 1951 des Nations Unies, qui est le procès-verbal sommaire de la séance du 19 juillet 1951 de la Conférence.

[23] Ibid.

[24] Supra, note 17, à la p. 661 où est reproduite la p. 3 du document A/CONF.2/L.1/add.10 du 20 juillet 1951 des Nations Unies. Le débat sur ces amendements est résumé dans le compte rendu analytique de la séance du 19 juillet 1951, supra, note 19, aux p. 495 à 499, où sont reproduites les p. 20 à 27 du document des Nations Unies. Un amendement antérieur, déposé par la délégation du Royaume-Uni pour lancer le débat mais qui n'a pas été poursuivi, figure dans The Collected Travaux préparatoires, supra, note 17, à la p. 22, et dans le document A/CONF.2/74 du 13 juillet 1951 des Nations Unies.

[25] Voir en particulier supra, note 17, aux p. 571 à 574, où sont reproduites les p. 20 à 25 du document A/CONF.2/SR.35 du 3 décembre 1951 des Nations Unies, qui est le compte rendu analytique de la séance du 25 juillet 1951 de la Conférence.

[26] Supra, note 6.

[27] Supra, note 15, aux p. 1024 et 1025, par. 58.

[28] Supra, note 17, aux p. 89, 90 et 184.

[29] Supra, note 17, aux p. 350 et 351, où sont reproduites les p. 16 et 17 du document A/CONF.2/SR.16 du 23 novembre 1951 des Nations Unies, qui est le compte rendu analytique de la séance du 11 juillet 1951 de la Conférence.

[30] Supra, note 16.

[31] Voir Moreno, supra, par. 21.

[32] Observation figurant en p. 11 du dossier du tribunal [au par. 46]: [traduction] «Le tribunal a fait savoir que la question du faux en passeports ne serait pas poursuivie à moins que d'autres informations ne soient disponibles». Cette décision fait suite aux propos tenus par un membre du tribunal durant l'audience; voir Dossier du tribunal, à la p. 623.

[33] Supra, note 13, aux p. 326 et 327. Voir aussi Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.), à la p. 657.

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