Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Philippines

Contexte politique

L'année 2007 a continué d'être marquée par un nombre élevé d'exécutions extrajudiciaires aux Philippines, dont les principales victimes sont des opposants politiques de gauche, des journalistes, des activistes luttant contre les exploitations minières, des membres et des dirigeants d'organisations de paysans et de pêcheurs, d'associations d'enseignants ou de femmes, ou de syndicats, perçus par les autorités comme proches du Parti communiste des Philippines et de sa branche armée, la Nouvelle armée populaire (New People's Army – NPA). Ainsi, selon l'organisation PAHRA, 409 cas d'arrestations et de détentions arbitraires ont été recensés de janvier 2001, année de l'accession de Mme Gloria Macapagal Arroyo à la présidence de la République, à septembre 2007, et 259 cas de disparitions forcées au 10 décembre 2007.1 En 2007, selon KARAPATAN, 68 personnes ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires. Si le nombre d'exécutions et de cas traités par l'Observatoire a diminué en 2007, vraisemblablement en réaction à l'indignation nationale et internationale suscitée par le niveau inégalé de violence atteint les années précédentes, le discours et les pratiques des autorités restent cependant les mêmes, et les organisations politiques et sociales légales continuent d'être une cible privilégiée de la répression.

Le Gouvernement a adopté certaines mesures limitées afin d'enrayer les exécutions extrajudiciaires. Ainsi, en janvier 2007, la commission indépendante qui avait été mise en place en 2006 afin d'enquêter sur les assassinats de journalistes et d'activistes (Commission Melo) a souligné dans son rapport que certains membres des forces armées avaient leur part de responsabilité pour un nombre indéterminé d'exécutions, en les permettant, les tolérant, voire en les encourageant. En outre, le 25 septembre 2007, la Cour suprême a adopté une résolution autorisant le recours en amparo, qui peut être invoqué par "toute personne dont la vie, la liberté et la sécurité est violée ou menacée de violation par le fait d'un acte illégal ou une omission de la part d'un agent de l'État, ou un individu ou une entité privés". La possibilité d'un tel recours, dont l'application est rétroactive, constitue indéniablement une avancée.

L'impunité demeure toutefois la règle aux Philippines. En particulier, aucun membre des forces armées, dont la responsabilité dans de nombreux cas d'exécutions extrajudiciaires ou de disparitions forcées ne fait aucun doute, n'a été condamné, comme l'a rappelé M. Philip Alston, Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, suite à sa visite dans le pays en février 2007.2 La police est en effet souvent réticente à enquêter sur des violations qui impliqueraient l'armée ; en outre, il n'y a pas de programme efficace de protection des témoins, qui hésitent par conséquent à témoigner, compte tenu du risque important encouru.3

Criminalisation des activités de défense des droits de l'Homme au nom de la lutte contre le terrorisme et "l'insurrection communiste"

En 2007, le Gouvernement a continué sa politique de criminalisation et de stigmatisation des activités de défense des droits de l'Homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et contre la NPA. La Loi sur la sécurité humaine (Human Security Act – HSA), ou loi anti-terroriste, est entrée en vigueur le 15 juillet 2007, avec le risque qu'elle renforce l'impunité dans le pays et affaiblisse un peu plus encore la protection des libertés civiles. En effet, cette loi élargit les pouvoirs de l'exécutif de sorte qu'il puisse détenir indéfiniment toute personne suspectée d'avoir commis ou d'être complice d'actes terroristes (article 19). En outre, le terrorisme y est très largement défini comme la perpétration d'infractions dans le but de "créer une situation de peur et de panique répandue et extraordinaire au sein de la population, afin de contraindre le Gouvernement à céder à une requête illégale" (article 3). La nouvelle loi donne également de très larges pouvoirs au Conseil anti-terroriste, composé de responsables gouvernementaux. Il peut notamment ordonner l'investigation et la poursuite accélérée de toute personne accusée de terrorisme, geler les biens et comptes bancaires de personnes soupçonnées de terrorisme et fournir une récompense monétaire aux informateurs qui permettraient l'arrestation de terroristes. La loi n'aborde pas la question de la responsabilité éventuelle des membres du Conseil anti-terroriste pour violation des droits de l'Homme dans l'exercice de ces pouvoirs étendus.4

Par ailleurs, les défenseurs des droits de l'Homme continuent d'être étiquetés par les responsables gouvernementaux comme des "communistes", des "gauchistes" ou encore des "ennemis de l'État", ce qui ne peut qu'encourager les exactions à leur encontre de la part de l'armée et des forces paramilitaires engagées dans des opérations contre-insurrectionnelles.5 Ainsi, le 2 novembre 2007, M. Ricardo Belamia y Beceril, membre de "Kilusang Mayo Uno" (KMU), une organisation qui lutte en faveur des droits des travailleurs, et de la Fédération nationale du travail à Cebu, a été arrêté à son domicile et accusé de "rébellion" par le tribunal de la ville de Danao. Il serait notamment accusé d'être un cadre de la NPA.

Enfin, en juillet et en août 2007, le Gouvernement aurait établi, à l'occasion de la réunion des ministres de l'Association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN), qui a eu lieu à Manille du 21 juillet au 2 août 2007, une liste noire de quelque 500 personnes interdites d'accès sur le territoire, dont des Philippins expatriés. Parmi ces personnes, certaines seraient des membres d'organisations non gouvernementales étrangères, à l'exemple du Centre pour les droits constitutionnels (Centre for Constitutional Rights – CCR), une organisation américaine, ou philippines, telle Gabriela/Gab Net, un réseau mondial de femmes dénonçant les violations des droits de l'Homme aux Philippines.6

Les dirigeants syndicaux et paysans, une cible privilégiée de la répression

En 2007, comme en 2006, plusieurs dirigeants paysans ont été tués en lien avec la réforme agraire. Dans ces cas, les enquêtes policières ont été extrêmement inadéquates et les propriétaires terriens, qui appartiennent à des familles riches et puissantes, ont bénéficié de l'impunité la plus complète. C'est par exemple le cas de M. Franklin Cabiguin Labial, dirigeant paysan tué par balles le 10 août 2007 à Mindanao. En juillet, il avait déjà reçu des menaces de mort après qu'il eut remis en question la mise en oeuvre de la Loi de réforme agraire globale et dénoncé l'assassinat de paysans et d'autochtones qui avaient fait valoir leurs droits afin d'obtenir une parcelle de terrain. En outre, en 2007, de nombreux dirigeants syndicaux et paysans ont fait l'objet de poursuites judiciaires, d'agressions et d'enlèvements.

De même, les manifestations pacifiques qui dénoncent les conflits liés à la réforme agraire sont régulièrement réprimées. Ainsi, le 7 septembre 2007, plusieurs paysans ont été blessés lorsque la police a violemment dispersé leur manifestation pacifique devant le quartier général du Département en charge de la réforme agraire (DAR), dans la ville de Quezon et, le 12 janvier 2007, trois dirigeants d'une fédération syndicale ont été arrêtés lors d'une manifestation pacifique devant le Centre de convention internationale de Cebu, dans la ville de Mandaue, puis accusés de "désobéissance aux forces de l'ordre".

Par ailleurs, le Comité de la liberté syndicale du Bureau international du travail a rappelé dans son 346e rapport "que la pratique consistant à établir des listes noires de dirigeants et militants syndicaux met gravement en péril le libre exercice des droits syndicaux [...]"7 et a demandé au Gouvernement "de [...] le tenir informé des avancées de l'enquête qui doit être conduite par l'organe d'enquête mixte concernant les meurtres de dirigeants syndicaux et de syndicalistes [...]" et "de donner aux autorités chargées de faire appliquer la loi des instructions appropriées pour éliminer le danger induit par le recours à une violence excessive en tentant de maîtriser des manifestations".8

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Cf. PAHRA, intervention à l'occasion de la 59e Journée internationale des droits de l'Homme.

2 Cf. document des Nations unies A/HRC/4/20/Add.3, 22 mars 2007.

3 Dans sa résolution P6_TA(2007)0171, adoptée le 26 avril 2007, le Parlement européen a ainsi "condamn[é] de la façon la plus énergique l'assassinat de Mme Siche Bustamante-Gandinao, militante enthousiaste des droits de l'homme, qui a été tuée quelques jours seulement après avoir donné son témoignage au rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires [...]" et a "appel[é] le gouvernement philippin à prendre des mesures pour mettre fin à l'intimidation et au harcèlement systématiques des témoins dans le cadre des poursuites pénales pour assassinat et à assurer une protection réellement efficace des témoins [...]".

4 Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, M. Martin Scheinin, s'est ainsi dit inquiet par le fait que la loi établissait "une très large définition [des actes terroristes] [...] incompatible avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques", et que "certains organes soient autorisés à revoir la détention d'un individu, dans la mesure où plusieurs d'entre eux sont des membres de l'exécutif plutôt qu'un organe judiciaire indépendant" (Cf. communiqué de presse des Nations Unies, document HR/07/36, 12 mars 2007. Traduction non officielle).

5 A cet égard, le Parlement européen a souligné que "la plupart des personnes tuées – membres de partis d'opposition, ecclésiastiques, chefs de communauté, paysans, journalistes, avocats, militants des droits de l'homme, syndicalistes ou, simplement, témoins d'exécutions extrajudiciaires – [avaient] été accusées par des représentants du gouvernement de servir de façade à des groupes armés illégaux et à des 'terroristes' " (Cf. résolution du Parlement européen P6_TA(2007)0171, 26 avril 2007).

6 Cf. communiqués de Gabriela, 17 août 2007, et de "Human Rights Watch", 28 septembre 2007.

7 Cf. Bureau international du travail (BIT), 346e rapport du Comité de la liberté syndicale, Plainte contre le gouvernement des Philippines présentée par la Fédération des travailleurs libres (FFW) – Conseil des Visayas, juin 2007.

8 Cf. BIT, 346e rapport du Comité de la liberté syndicale, Plainte contre le gouvernement des Philippines présentée par le Kilusang Mayo Uno (KMU), juin 2007.

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