La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,

conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de

sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales

("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***,

en une chambre composée des juges dont le nom suit:

 

       MM. J. Cremona, président,

            B. Walsh,

        Sir Vincent Evans,

        MM. R. Macdonald,

            C. Russo,

            R. Bernhardt,

            I. Foighel,

            R. Pekkanen,

            A.N. Loizou,

 

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier

adjoint,

 

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril

et 26 septembre 1991,

 

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

_______________

Notes du greffier

 

* L'affaire porte le numéro 45/1990/236/302-306.  Les deux

premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année

d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des

saisines de la Cour depuis l'origine et sur celles des requêtes

initiales (à la Commission) correspondantes.

 

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11),

entré en vigueur le 1er janvier 1990.

 

*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril

1989 s'appliquent en l'espèce.

_______________

 

PROCEDURE

 

1.      L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission

européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le

gouvernement britannique ("le Gouvernement"), les 11 et 16

juillet 1990 respectivement, dans le délai de trois mois

qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de

la Convention.  A son origine se trouvent cinq requêtes

(n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87) dirigées

contre le Royaume-Uni et dont cinq citoyens sri-lankais,

MM. Nadarajah Vilvarajah, Vaithialingam Skandarajah, Saravamuthu

Sivakumaran, Vathanan Navratnasingam et Vinnasithamby Rasalingam,

avaient saisi la Commission les 26 août et 16 décembre 1987, en

vertu de l'article 25 (art. 25).

 

2.       La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et

48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique

reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)

(art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48).

Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de

savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat

défendeur aux exigences de l'article 13 (art. 13) et, dans le cas

de la demande, de l'article 3 (art. 3).

 

En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du

règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer

à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

 

3.      La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir

Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43

de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la

Cour (article 21 par. 3 b) du règlement).  Le 27 août 1990,

celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres,

à savoir MM. B. Walsh, R. Macdonald, C. Russo, R. Bernhardt,

I. Foighel, R. Pekkanen et A.N. Loizou, en présence du greffier

(articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement)

(art. 43).

 

4.      Ayant assumé la présidence de la chambre

(article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par

l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le délégué

de la Commission et le conseil des requérants au sujet de la

nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1).

Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le

mémoire du Gouvernement le 28 janvier 1991, puis celui des

requérants le 31.  Par la suite, le délégué de la Commission l'a

informé qu'il s'exprimerait à l'audience.

 

5.      Le 15 octobre 1990, le président avait fixé la date de

celle-ci au 23 avril 1991 après avoir recueilli l'opinion des

comparants par les soins du greffier (article 38).

 

6.      Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au

Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg.  La Cour avait tenu

auparavant une réunion préparatoire.

 

Ont comparu:

 

- pour le Gouvernement

 

  M. N.D. Parker, ministère des Affaires

        étrangères et du Commonwealth,               agent,

  M. M. Baker, Q.C.,

  M. J. Eadie,                                       conseils,

  M. C.M.L. Osborne, ministère de l'Intérieur,

  M. A. Cunningham, ministère de l'Intérieur,        conseillers;

 

- pour la Commission

 

  Sir Basil Hall,                                    délégué;

 

- pour les requérants

 

  M. R. Plender, Q.C.,

  M. N. Blake,                                       conseils,

  M. D. Burgess,

  M. C. Randall,                                     solicitors.

 

7.      La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en

leurs réponses à ses questions, M. Baker pour le Gouvernement,

Sir Basil Hall pour la Commission, MM. Blake et Plender pour les

requérants. Ceux-ci ont déposé divers documents le jour de

l'audience.  Le 14 mai 1991, le Gouvernement a présenté ses

observations sur leurs demandes au titre de l'article 50 (art. 50)

de la Convention.

 

8.   La délibération finale a eu lieu sous la présidence de M.

le vice-président Cremona, qui avait assisté aux débats en

qualité de suppléant et qui remplaçait M. Ryssdal, empêché

(articles 21 par. 5 et 24 par. 1 du règlement).

 

EN FAIT

 

I.      Les circonstances de l'espèce

 

A. M. VILVARAJAH

 

1. Avant le refoulement

 

9.      Né en 1960, le premier requérant, M. Nadarajah Vilvarajah,

est un citoyen sri-lankais d'origine ethnique tamoule.

Il travaillait comme assistant dans le magasin de son

père à Paranthon, district de Kilinochchi, dans la partie nord

de l'île de Ceylan.  A plusieurs reprises, l'armée sri-lankaise

avait attaqué le secteur, tuant des gens et causant des

destructions.  En 1986 elle avait abattu le cousin du requérant

et cinq autres hommes puis, le 28 mars 1987, mis à sac le magasin

familial.

 

10.     Il affirme que par deux fois, en mars et en avril 1986,

des militaires des forces navales s'emparèrent de lui et lui

infligèrent des sévices.  La première, il pilotait un minibus qui

tomba en panne près d'une base navale; avec ses passagers, il fut

détenu pendant dix heures par une patrouille de la marine qui

l'aurait sévèrement battu.  La seconde, toujours au volant du

minibus, il fut interpellé par une patrouille navale, puis détenu

pendant vingt-quatre heures.  Les militaires escortèrent le

véhicule jusqu'à Krainagar, la ville où il résidait, puis

tirèrent au hasard sur les gens.  Il y eut également un échange

de coups de feu entre un groupe séparatiste tamoul, les Tigres

libérateurs de l'Eelam tamoul (Liberation Tigers of Tamil Eelam

- "LTTE"), et les soldats des forces navales, qui se servirent

des passagers du bus comme de boucliers.

 

11.       Lors d'une importante offensive de l'armée sri-lankaise

visant à reprendre la province du Nord aux LTTE, sa famille

perdit son magasin ainsi que ses biens, et ses membres faillirent

être tués.  En mai 1987, son père s'arrangea avec un agent à

Colombo pour l'envoyer à Londres.  M. Vilvarajah gagna Madras le

6 juin 1987, muni de son propre passeport, puis, le 10, Londres

via Bombay, porteur d'un passeport malaisien (obtenu d'un agent

à Madras).  Arrivé le 11, il demanda l'autorisation d'entrer au

Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit

pour Montréal, au Canada, où il disait se rendre en vacances.

Il fut détenu le temps d'une enquête.  Après avoir reconnu qu'il

n'était pas le titulaire régulier du passeport, dans lequel on

avait substitué sa photo à celle du vrai propriétaire, il essuya

un refus fondé sur l'article 3 du "Texte d'amendements aux règles

sur l'immigration" (Statement of Changes in Immigration Rules;

paragraphe 84 ci-dessous), qui oblige une personne sollicitant

un permis d'entrée à produire un passeport ou toute autre pièce

valable d'identité.

 

12.     Le 12, il demanda l'asile au Royaume-Uni en invoquant la

Convention des Nations Unies, de 1951, relative au statut des

réfugiés, amendée par le Protocole de 1967 ("la Convention de

1951").  Le 19, des fonctionnaires des services de l'immigration

l'interrogèrent en tamoul avec l'assistance d'un interprète; il

affirma qu'il était risqué pour lui de rester à Sri Lanka, pour

les raisons précitées.

 

13.      Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du service

"Immigration et nationalité" du ministère de l'Intérieur conclut

qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions,

au sens de la Convention de 1951.  Le 20 août 1987, le ministre

de l'Intérieur prit une décision de rejet que l'intéressé se vit

notifier dans les termes suivants:

 

"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre

avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,

de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance

à un groupe social ou de vos opinions politiques.  Vous avez

allégué qu'il était risqué pour vous d'y demeurer, à cause des

opérations menées par le gouvernement dans la région de Jaffna.

Vous avez déclaré aussi avoir été détenu à deux reprises, en mars

et en avril 1986, pendant dix et vingt-quatre heures, et vous

avez dit que l'armée avait saccagé votre entreprise familiale le

28 mars 1987.  Toutefois, les incidents rapportés par vous

revêtaient un caractère fortuit et relevaient d'une action

générale de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les

extrémistes tamouls.  Ils ne constituent pas une preuve de

persécution.

 

Vous n'avez fourni aucun autre élément à l'appui de votre

demande.

 

Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas,

ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous

n'aviez pas démontré craindre avec raison d'y être persécuté.

 

En conséquence, il rejette votre requête.  Comme vous ne

remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni

à un autre titre, il a chargé les services de l'immigration de

vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être

renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe (schedule) 2 à la

loi de 1971 sur l'immigration (Immigration Act)."

 

14.  Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri

Lanka le 22 août 1987.  Il engagea alors une action en contrôle

judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,

mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).

 

2. Après le renvoi à Sri Lanka

 

15.  L'intéressé dut retourner dans son pays le 10 février 1988.

Des policiers l'escortaient, les autorités locales ayant été

prévenues.  Son nom parut dans la presse sri-lankaise.  A son

arrivée à l'aéroport, les services de l'immigration

l'interrogèrent brièvement.  Un membre de la Haute Commission

britannique (British High Commission) se trouvait sur place à sa

descente d'avion.  Le ministère de l'Intérieur assuma les frais

du refoulement.  Quant au requérant, il avait sur lui plus de 100 £.

 

16.  Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au

Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur

l'immigration, un recours contre le refus d'asile (paragraphes 71-72

ci-dessous).  Ils se rendirent à Colombo pour s'entretenir

avec lui et recueillir ses déclarations.  Il confirma que, grâce

à la publicité faite autour de son cas et à la présence du membre

de la Haute Commission britannique, il n'avait guère eu d'ennuis

à l'aéroport.  Il signala que la police sri-lankaise l'avait

questionné pendant trois heures environ pour savoir s'il avait

des liens avec des groupes séparatistes tamouls tels que

l'Organisation de libération du peuple tamoul de l'Eelam

(People's Liberation Organisation of Tamil Eelam - "PLOTE") et

les LTTE, ce qu'il avait nié.  Elle avait noté son adresse et

pris ses empreintes digitales.

 

17.  Il dit avoir regagné son village natal pour éviter les

autorités sri-lankaises et les dénonciations par la PLOTE, avec

laquelle il avait en réalité coopéré, mais qui aidait à présent

les Forces indiennes de maintien de la paix (Indian Peace Keeping

Forces - "IPKF") à identifier ses anciens adhérents et les

membres présumés des LTTE.

 

18.  Il ajouta que, deux semaines après son retour, il avait été

dénoncé aux IPKF et convoqué au bureau du chef de la police

locale.  Accusé d'intelligences avec les LTTE, il avait eu peur.

On l'avait néanmoins laissé rentrer chez lui au terme de

l'interrogatoire.  En avril 1988, au cours d'un voyage à Jaffna,

les IPKF l'avaient interpellé, en même temps que d'autres

Tamouls, et gardé pendant dix heures.  Le groupe fut aligné

devant des hommes masqués qui identifièrent certaines personnes.

L'intéressé redoutait une erreur, mais on le relâcha.

 

19.  Il relata d'autres incidents qui l'amenaient à craindre des

mauvais traitements de la part des IPKF, en raison de son

activité passée au sein de la PLOTE et de leur comportement

arbitraire envers les Tamouls.  Pour se rendre à Colombo afin d'y

rencontrer ses solicitors, il avait dû franchir de nombreux

points de contrôle des IPKF et sri-lankais, ce qui avait doublé

la durée normale - huit heures - du trajet.

 

20.   L'Adjudicator donna gain de cause à M. Vilvarajah le 13 mars 1989.

Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le

4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa,

peu après son retour, une nouvelle demande d'asile sur laquelle

il n'a pas encore été statué.  On lui accorda un permis de séjour

exceptionnel valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au

22 mars 1992.

 

B. M. SKANDARAJAH

 

1. Evénements antérieurs au refoulement

 

21.  Né en 1958, le deuxième requérant, M. Vaithialingam Skandarajah,

est originaire de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka,

zone qui se trouvait sous le contrôle des LTTE à l'époque où il

y habitait.  D'après lui, en 1985 l'armée sri-lankaise y régnait

par la terreur.  La population ne pouvait pas sortir.  Des jeunes

hommes étaient arrêtés sans motif, parfois torturés ou abattus

à vue tandis que d'autres "disparaissaient".  Soupçonnés tous

d'être des séparatistes tamouls, ils vivaient dans la peur.  Lors

des descentes de l'armée, l'intéressé se cachait avec sa famille

dans des tranchées.  Sa maison fut régulièrement fouillée

jusqu'en 1985, puis détruite en 1986.  La famille devait se

passer de nourriture pendant des jours, parce qu'il était trop

dangereux d'aller s'en procurer au-dehors.  L'armée bombardait

quotidiennement la zone tamoule de manière aveugle.  C'est ce

pilonnage, et les dégâts causés à sa maison et à son entreprise

le 24 avril 1987, qui auraient incité le requérant à partir.  Il

affirme avoir été interrogé par la police au sujet des LTTE, bien

que n'en ayant jamais fait partie.

 

22.  Il quitta Jaffna après avoir perdu tous ses biens, sauf

150 000 roupies.  Il rallia Colombo où la police l'arrêta le 2 mai 1987

chez son oncle.  Il aurait été détenu pendant vingt heures

et torturé. Sa jambe droite porterait encore les marques des

blessures subies de la sorte.

 

23.  Le 6 juin 1987, il se rendit en avion de Colombo à Madras,

muni de son propre passeport sri-lankais.  Le 10, il gagna

Londres via Bombay, grâce à un faux passeport malaisien fourni

par un agent à Madras.  Il sollicita l'autorisation d'entrer au

Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit

pour Montréal, au Canada.

 

24.  Le 12, les services de l'immigration lui opposèrent un refus

en vertu de l'article 3 du Texte d'amendements aux règles sur

l'immigration (paragraphe 11 ci-dessus).  Là-dessus, il révéla

sa nationalité sri-lankaise et demanda l'asile.  Le 17, des

fonctionnaires desdits services l'interrogèrent en tamoul avec

l'assistance d'un interprète; il déclara redouter d'être inquiété

s'il retournait dans son pays.

 

25.  Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de

l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de

craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951.  Le

20 août 1987, le ministre de l'Intérieur prit une décision de

rejet que l'intéressé se vit notifier dans les termes suivants:

 

"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre

avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,

de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance

à un groupe social ou de vos opinions politiques.  Le ministre

a étudié votre demande.  Vous avez allégué qu'il était risqué

pour vous de rentrer à Sri Lanka, à cause des opérations menées

par le gouvernement dans la région de Jaffna.  Vous avez déclaré

que votre maison et les locaux de votre entreprise avaient été

détruits par les tirs d'obus des forces gouvernementales.  Vous

avez dit aussi avoir été détenu pendant 20 heures en mai 1987 et

avoir subi des sévices.  Il apparaît toutefois que la destruction

de votre maison et de votre entreprise ont eu pour cause des

bombardements aveugles liés aux troubles civils.  De même, votre

arrestation et votre brève détention résultaient d'une action

générale de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les

extrémistes tamouls.

 

Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas,

ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous

n'aviez pas démontré craindre avec raison d'y être persécuté.

En conséquence, il rejette votre requête.  Comme vous ne

remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni

à un autre titre, il a chargé les services de l'immigration de

vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être

renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe 2 à la loi de 1971

sur l'immigration."

 

26.  Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri

Lanka le 22 août 1987.  Il engagea alors une action en contrôle

judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,

mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).

 

2. Après le renvoi à Sri Lanka

 

27.  L'intéressé dut retourner à Sri Lanka le 10 février 1988.

A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour

le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).  La police

sri-lankaise l'interrogea ensuite pendant plusieurs heures et lui

prit ses empreintes digitales.  Il séjourna chez son oncle à

Colombo un mois environ, en attendant de pouvoir regagner Jaffna

sans risques.

 

28.  Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au

Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur

l'immigration, un recours contre le refus d'asile.  Ils se

rendirent à Colombo pour s'entretenir avec lui et recueillir ses

déclarations (paragraphes 71-72 ci-dessous).  Il leur dit que le

10 mars 1988, alors qu'il roulait vers Jaffna à bicyclette, il

dut s'arrêter à un poste de contrôle des IPKF.  Les Tamouls de

sexe masculin auraient été alignés en vue d'une identification

par deux hommes masqués, dont l'un aurait désigné le requérant.

Celui-ci aurait été emmené, en compagnie d'une dizaine de

personnes, à un poste des IPKF dans une maison de Jaffna où on

l'aurait battu pendant à peu près trois heures, à l'aide

notamment de tuyaux de plastique remplis de sable.  En même

temps, on lui beuglait des questions relatives aux LTTE, qu'il

affirma ne pas connaître.  On l'aurait gardé dans une petite

pièce sans literie ni installations sanitaires, avec six autres

détenus qui auraient subi le même type de traitements.  Certains

d'entre eux auraient été suspendus par les pieds et roués de

coups.  Le requérant aurait encore été rossé à trois reprises au

cours des sept jours suivants, chaque fois pendant une demi-heure

environ.

 

29.     Détenu jusqu'au 24 mai 1988 et interrogé par les mêmes

individus, il aurait perdu de 10 à 15 kilos, souffert de violents

maux de tête et éprouvé de vives angoisses.  Les soldats indiens

lui répétaient sans cesse qu'il resterait enfermé à vie s'il ne

parlait pas.  Les détenus recevaient du riz, du dahl et des

chapatis; on ne leur donnait pas assez d'eau.  Ce régime les

aurait déshydratés et constipés.  On les filma et il semble qu'on

les ait montrés à la télévision comme des membres des LTTE

s'étant rendus.  Le requérant fut relâché grâce à des membres de

sa famille qui auraient soudoyé le commandant des IPKF locales

en lui versant de l'or.

 

30.  A sa libération, on lui ordonna de se présenter tous les

jours au poste.  Il s'enfuit alors à Colombo.  D'après lui, les

Tamouls y vivaient dans une situation très tendue, exposés à un

risque permanent de se voir arrêter et détenir de façon

arbitraire et dénoncer par des indicateurs.  Néanmoins, il se

sentait plus en sécurité qu'à Jaffna. Pour justifier son séjour,

il s'inscrivit comme étudiant.

 

31.  L'Adjudicator donna gain de cause à M. Skandarajah le 13 mars 1989.

Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le

4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa,

peu après son retour, une nouvelle demande d'asile sur laquelle

il n'a pas encore été statué.  On lui accorda un permis de séjour

exceptionnel valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992.

 

C. M. SIVAKUMARAN

 

1. Avant le refoulement

 

32.  Né en 1966, le troisième requérant, M. Saravamuthu Sivakumaran,

est originaire de Point Pedro, dans le nord de Sri Lanka,

où vit sa famille.  En avril 1984, il assista au meurtre

de son frère par des militaires de la marine.  La victime pêchait

avec un ami au large de Point Pedro quand ceux-ci s'approchèrent

en bateau, ouvrirent le feu et tuèrent les deux hommes sans

sommation ni motifs.

 

33.  En mars 1984, les forces de sécurité descendirent dans la

région et opérèrent parmi les Tamouls de sexe masculin une rafle

qui engloba le requérant.  Elles les gardèrent un jour durant et

les frappèrent à coups de crosse de fusil et de bâton.  Elles

prirent note de leurs noms et de renseignements concernant leurs

familles, puis emmenèrent certains d'entre eux.  En juin 1984,

300 Tamouls de sexe masculin, dont le requérant, furent détenus

à Point Pedro et subirent des sévices.  Les forces de sécurité

emmenèrent quinze personnes.  Elles les abattirent le même jour

et brûlèrent leurs corps.

 

34.  En septembre 1984, des Tamouls de sexe masculin, dont

l'intéressé, furent à nouveau rassemblés et détenus pendant une

journée.  Une vingtaine d'entre eux furent emmenés et exécutés.

Leurs corps furent brûlés sur place.

 

35.  L'aviation et l'artillerie déversent régulièrement des

projectiles sur Point Pedro.  En octobre 1985, un bombardement

aérien endommagea la maison de la famille du requérant et les

habitants durent se réfugier dans une demeure voisine.

 

36.  L'intéressé affirme avoir été membre des LTTE de la fin de

1984 jusqu'à son départ de Sri Lanka.  Il suivait un entraînement

militaire et occupait un poste de sentinelle du camp.  Il servait

aussi de messager.  Il affirme toutefois n'avoir jamais participé

à des actes de violence ou de terrorisme.

 

37.  Le jugeant menacé en sa qualité de jeune Tamoul de sexe

masculin, son père décida qu'il devait quitter Sri Lanka.  Il

chargea un agent tamoul de Point Pedro de le faire sortir du

pays.  Le requérant se rendit à Colombo le 28 novembre 1986 et

séjourna chez l'agent jusqu'au 11 décembre 1986.  Il gagna le

Royaume-Uni via l'Inde, le Népal et Dacca.  Juste avant

d'atteindre l'aéroport de Colombo, le minibus qui l'y amenait dut

s'arrêter à un poste de contrôle de l'armée.  On les accusa, lui

et les autres passagers, d'aller en Inde pour s'y entraîner avec

des militants.  On les conduisit dans un bureau où on les

interrogea pendant trois heures.  On prit en outre leurs

empreintes digitales.

 

38.  Le requérant figurait dans un groupe de quelque 64 Tamouls

qui arrivèrent à l'aéroport de Heathrow, à Londres, le 13 février 1987,

et demandèrent l'asile.  Il se prétendit d'abord en transit

pour la Norvège.  Les intéressés restèrent tous détenus pendant

la procédure.

 

39.  Assistés d'un interprète, des agents des services de

l'immigration interrogèrent M. Sirakumaran en tamoul.  Il relata

les événements décrits ci-dessus.  A ce stade, il déclara ne pas

appartenir aux LTTE; il ne reconnut le contraire auprès des

autorités britanniques qu'en septembre 1987, car il craignait que

cela n'entraînât l'échec de sa demande d'asile.  Saisie de celle-

ci, la section "Réfugiés" du ministère de l'Intérieur conclut

qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions,

au sens de la Convention de 1951, et le débouta le 16 février

1987.  Toutefois, la Divisional Court lui accorda le 24

l'autorisation, sollicitée par lui, d'intenter une action en

contrôle judiciaire.  Le 2 mars, le ministère de l'Intérieur

informa ses solicitors qu'il allait réexaminer la demande

d'asile.

 

40.  A la suite de démarches du Conseil consultatif britannique

pour les immigrants (United Kingdom Immigrants' Advisory Service

- "UKIAS"), l'intéressé fut à nouveau interrogé, le 14 avril 1987,

au sujet de celle-ci.  Saisie une seconde fois, la section

"Réfugiés" conclut derechef qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu

de craindre des persécutions.  Les détails de l'affaire furent

communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue.

En conséquence, on adressa au requérant, le 20 août 1987, une

lettre de refus ainsi libellée:

 

"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre

avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,

de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance

à un groupe social ou de vos opinions politiques.  Le ministre

a étudié votre demande plus avant.  Vous avez allégué que vous

courriez un trop grand danger à rester à Sri Lanka, où les forces

de sécurité arrêtaient sans motif des personnes et les

exécutaient.  Vous avez aussi déclaré avoir été détenu trois fois

entre 1984 et 1985, puis une quatrième pendant trois jours, après

avoir été appréhendé avec vos compagnons de route en vous rendant

à Colombo.  Enfin, vous avez dit que des militaires de la marine

avaient abattu votre frère Kamarajah en 1984.  Toutefois, les

incidents rapportés par vous constituaient le résultat des

troubles à Sri Lanka, plutôt qu'une persécution au sens de la

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, vos

arrestations s'inscrivaient dans le cadre d'une action générale

de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les extrémistes,

et chaque fois on vous a relâché à bref délai sans vous inculper.

Il échet de relever aussi que votre frère a été tué par la marine

après avoir refusé d'obéir à un ordre régulier.  Le ministre a

examiné les circonstances propres à votre cas, ainsi que la

situation dans votre pays; il a conclu que vous n'aviez pas

démontré craindre avec raison d'y être persécuté.  En

conséquence, il rejette votre requête.  Comme vous ne remplissez

pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre

titre, il a chargé les services de l'immigration de vous refouler

vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en

vertu de l'article 10 de l'annexe 2 à la loi de 1971 sur

l'immigration."

 

41.  Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri

Lanka le 22 août 1987.  Il engagea alors une action en contrôle

judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,

mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).

 

2. Après le renvoi à Sri Lanka

 

42.  L'intéressé dut retourner à Sri Lanka le 12 février 1988.

A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour

le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).

 

43.  Le 9 janvier 1990, ses représentants produisirent le texte

d'une déclaration qu'il leur avait faite au sujet de sa situation

à Sri Lanka depuis son rapatriement le 13 février 1988.  La

police sri-lankaise (section de la police judiciaire) aurait

commencé par le garder durant une journée; elle l'aurait traité

comme un criminel quand elle l'interrogea sur les motifs de son

séjour au Royaume-Uni.  Il aurait ensuite passé quelques semaines

chez ses parents.  Le 2 avril 1988, alors qu'il franchissait un

poste de contrôle, il aurait été identifié par un homme masqué

comme ayant trempé dans les activités des LTTE.  Les IPKF

l'auraient alors détenu, interrogé au sujet des LTTE et torturé

tous les quatre ou cinq jours.  On l'aurait déshabillé et frappé

avec des barres de fer et des tuyaux de plastique remplis de

sable.  On l'aurait parfois suspendu par les pieds en faisant

brûler des piments sous sa tête pendant dix à quinze minutes,

jusqu'à ce qu'il perdît connaissance.  A quatre ou cinq reprises,

on l'aurait soumis à un traitement aux électrochocs sur les

parties génitales.  Il aurait avoué avoir eu des liens avec les

LTTE.  Relâché le 3 octobre 1988 après que ses parents eurent

réussi à soudoyer le chef de la police, il aurait vécu deux

semaines à l'hôpital car il pouvait à peine marcher.

Le 29 novembre 1988, les IPKF l'auraient cependant arrêté derechef,

en compagnie de membres du Front révolutionnaire de libération du

peuple de l'Eelam (Eelam People's Revolutionary Liberation Front

- "EPRLF").  Il aurait subi les mêmes sévices qu'auparavant et

recouvré la liberté le 30 décembre 1988, ses parents ayant à

nouveau corrompu la police.  Après deux mois de clandestinité,

il aurait essayé de se rendre au Canada mais aurait été dupé par

un agent qui l'aurait abandonné en Malaisie.  En avril 1989, il

avait dû rentrer à Sri Lanka et s'était caché à Colombo.  Un

jour, des militaires de la marine l'auraient roué de coups.

Depuis son retour au Royaume-Uni, il a déclaré que les IPKF et

l'EPRLF continuaient de harceler sa famille.

 

44.  Bien que l'on ait ignoré pendant un temps son adresse, il

resta en contact avec ses solicitors.  En son nom, ils

attaquèrent au Royaume-Uni le refus d'asile.  L'Adjudicator

accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72

ci-dessous).  Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989,

le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel

valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992.

Peu après son retour, il déposa une nouvelle demande

d'asile sur laquelle il n'a pas encore été statué.

 

D. M. NAVRATNASINGAM

 

1. Avant le refoulement

 

45.  Né en 1970, le quatrième requérant, M. Vathanan Navratnasingam,

est originaire d'Achelu mais a suivi sa scolarité

à Point Pedro jusqu'en décembre 1986.  Les forces armées

sri-lankaises l'auraient détenu cinq fois: un mois en 1983, un

jour en 1984, une semaine en 1985, une demi-journée en 1986, un

jour et demi en 1987.

 

46.  En mai 1984, elles auraient mis le feu à son école à Point

Pedro. Le lendemain, on l'aurait détenu pendant six ou sept

heures au camp militaire local et accusé d'avoir provoqué

l'incendie.  Le directeur de l'établissement aurait protesté,

provoquant sa libération.

 

47.  En mai 1986, tandis que l'intéressé se rendait à l'école,

un hélicoptère de l'armée bombarda un pont que devait franchir

son bus et tous les passagers durent descendre.  Détenu dans un

camp militaire pendant sept heures, il s'entendit menacer de

mauvais traitements.  Dans l'intervalle, son frère aîné avait fui

en France (en janvier 1986) où on lui avait accordé l'asile

politique.

 

48.     Après août 1986, l'artillerie se livra à des tirs

intensifs et la maison familiale d'Achelu fut détruite le 1er janvier 1987.

Le requérant n'a revu ni sa mère ni sa soeur depuis lors.

Retourné sur place, son père ne put que constater les dégâts;

le 15 janvier 1987, ils prirent tous deux le car pour

Colombo.  Arrêtés à Elephant Pass, à quelque 50 kilomètres de

Jaffna, ils restèrent détenus au camp militaire local pendant un

jour et demi.

 

49.   Ils arrivèrent à Colombo le 18 janvier 1987; le père y

chargea un agent de faire sortir son fils de Sri Lanka.  Celui-ci

ne s'y sentait pas en sécurité car il avait des papiers

d'identité tamouls et les autorités savaient qu'il venait

d'ailleurs.  Il s'envola donc pour Londres et atterrit le 13 février 1987

à Heathrow où il demanda l'asile.  Plusieurs pages

de son passeport avaient été arrachées.  Il figurait dans un

groupe de 64 demandeurs d'asile tamouls (paragraphe 38 ci-dessus).

 

50.  Il demeura détenu pendant la procédure.  Interrogé à deux

reprises en tamoul par un agent des services de l'immigration

assisté d'un interprète, il relata les événements décrits

ci-dessus.  Il déclara aussi ne pas avoir eu d'activités

politiques à Sri Lanka.

 

51.  Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de

l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de

craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951, et

le débouta le 17 février 1987.  Toutefois, la Divisional Court

lui accorda le 24 l'autorisation, sollicitée par lui, d'intenter

une action en contrôle judiciaire.  Le 2 mars, le ministère de

l'Intérieur informa ses solicitors qu'il allait réexaminer la

demande d'asile.

 

52.  A la suite de démarches de l'UKIAS, l'intéressé fut à

nouveau interrogé, le 23 avril 1987, au sujet de celle-ci.

Saisie une seconde fois, la section "Réfugiés" du ministère de

l'Intérieur conclut derechef qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu

de craindre des persécutions.  Les détails de l'affaire furent

communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue.

On en informa M. Navratnasingam par une lettre du 1er septembre 1987,

ainsi libellée:

 

"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre

avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,

de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance

à un groupe social ou de vos opinions politiques.  Le ministre

a étudié votre demande plus avant.

 

Ces dernières années, Sri Lanka a connu des troubles

considérables et les autorités ont dû prendre des mesures pour

rétablir l'ordre. L'agitation a entraîné des souffrances pour les

individus de tous les groupes ethniques.  Toutefois, après avoir

pesé tous les éléments de preuve disponibles, le ministre estime

que les Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe

persécuté dont les membres puissent revendiquer, sur la seule

base de leur origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié

au titre de la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la

matière.

 

Il étudie néanmoins chaque demande d'asile introduite par un

Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères

de ladite Convention.  La décision dépend des circonstances

propres au cas d'espèce.

 

A l'appui de votre requête, vous avez affirmé que votre vie se

trouvait en danger à Sri Lanka et que des tirs d'artillerie

avaient endommagé votre maison.  Vous avez dit aussi que l'armée

vous avait détenu un jour pendant six heures, en compagnie des

autres passagers de votre car scolaire, et qu'elle avait aussi

bloqué pendant 24 à 36 heures le bus qui vous conduisait de

Jaffna à Colombo.  Lors de l'entretien du 13 avril 1987, vous

avez ajouté avoir été emmené par elle et gardé pendant une heure

en 1984.

 

Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances

suivantes: les dégâts causés à votre maison résultaient de tirs

aveugles; on ne vous a rien fait lors de vos deux arrestations,

pas plus qu'à vos compagnons de route, ni quand on vous a détenu

pendant une heure en 1984.  En outre, le Service consultatif

britannique pour les immigrants a indiqué en votre nom qu'arrivé

à Colombo le 18 janvier 1987, vous n'y étiez pas resté parce que

vous ne vous y sentiez pas en sécurité: vous aviez une carte

d'identité tamoule et les autorités savaient que vous veniez

d'ailleurs.  Lors d'un entretien ultérieur, en avril 1987, vous

avez déclaré penser que votre père, qui vous avait accompagné à

Colombo, puis à l'aéroport le 2 février, avait probablement

repris ses activités d'enseignant dans une école de l'Etat et

renoué le contact avec votre mère et votre soeur.

 

Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l'appui de votre

demande, ainsi qu'aux autres données exposées dans la présente

lettre, le ministre n'a pas la conviction que vous ayez lieu de

craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention

des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.

 

Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer

au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de

l'immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel

vous devez être renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe 2

à la loi de 1971 sur l'immigration."

 

53.  Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri

Lanka le 4 septembre 1987.  Il engagea alors une action en

contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision du

ministre, mais en vain (paragraphe 67-69 ci-dessous).

 

2. Après le renvoi à Sri Lanka

 

54.  M. Navratnasingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988.

 

A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour

le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).  La police

sri-lankaise l'interrogea ensuite de manière agressive durant

quatre heures au sujet de ses liens avec des groupes tamouls et

des agences de voyage qui l'avaient aidé à fuir au Royaume-Uni.

Elle prit ses empreintes digitales.

 

55.  Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au

Royaume-Uni un recours contre le refus d'asile.  Ils se rendirent

à Colombo pour s'entretenir avec lui et recueillir ses

déclarations.  Il leur dit qu'à son retour il avait séjourné à

Colombo chez un ami de la famille, car on n'avait découvert

aucune trace de celle-ci.  Il ne sortait qu'accompagné d'une

personne parlant le cingalais et capable de régler les problèmes

éventuels avec la police.  Il connut maintes difficultés parce

qu'il ne possédait plus sa carte d'identité, égarée par les

services britanniques de l'immigration.  Il ne tenta pas de

retrouver sa famille, faute de pouvoir franchir les nombreux

contrôles.

 

56.  Arrêté sans carte d'identité par la police vers le 10 mars 1988,

il fut détenu quatre heures et interrogé sur ses activités

à Colombo. Un ami de la famille persuada la police de le

relâcher.  A Colombo, les Tamouls vivaient dans une atmosphère

très tendue, parce qu'en butte aux attaques des Cingalais.  A

nouveau appréhendé par la police en mai 1988, l'intéressé resta

détenu jusqu'au lendemain.  Il reçut des coups de ceinture et des

coups de pied durant une demi-heure environ.  On l'accusa d'avoir

caché des terroristes tamouls du groupe des LTTE.  L'ami de la

famille réussit à soudoyer quelqu'un pour obtenir sa libération.

Les coups subis eurent pour effet d'aggraver un ulcère apparu

pendant son séjour au Royaume-Uni et, en conséquence, de

l'obliger à passer une semaine à l'hôpital.

 

57.  Le requérant fut aussi vivement affecté par un reportage

télévisé montrant deux membres de sa famille tués lors d'un

échange de coups de feu entre les LTTE et les IPKF à plusieurs

kilomètres de son village.

 

58.  Le recours formé au Royaume-Uni aboutit: l'Adjudicator

l'accueillit le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous).

Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989, le requérant

se vit accorder un permis de séjour exceptionnel valable d'abord

pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992. Peu après son

retour, il déposa une nouvelle demande d'asile sur laquelle il

n'a pas encore été statué.

 

E. M. RASALINGAM

 

1. Avant le refoulement

 

59.  Né en 1961, le cinquième requérant, M. Vinnasithamby Rasalingam,

est originaire de Manor Town, dans le nord-ouest de

Sri Lanka, à quelque 150 kilomètres de Jaffna.  Vers la fin de

1986, la ville devint la proie de bombardements incessants des

forces gouvernementales.  De nombreux Tamouls cherchèrent refuge

dans la jungle.  En 1985, des soldats incendièrent la maison et

le magasin de la famille de l'intéressé.  Celui-ci croit qu'en

1986 l'armée tua deux de ses frères. En 1985 déjà, il l'aurait

vue abattre deux personnes.  A l'époque, il se terrait dans la

jungle pour des raisons de sécurité.  Un jour, des soldats

traversant la ville auraient tiré sur lui.  Depuis 1983, la zone

où il résidait connaît des problèmes liés à la majorité

cingalaise de la ville.  Il y aurait eu beaucoup de meurtres et

de destructions. On a parlé de massacres en d'autres endroits.

 

60.  Un camp militaire se trouvait à huit kilomètres du domicile

du requérant.  Les jeunes hommes surtout étaient menacés.

Repérés par les militaires, ils risquaient l'arrestation

sommaire, la torture, voire l'assassinat.  Les gens fuyaient à

la vue des soldats.  Au moment où le requérant quitta Sri Lanka,

ceux-ci restaient en général dans leurs cantonnements; ils n'en

visitaient pas moins les convois, à la recherche de personnes.

La région où habitait l'intéressé était sous le contrôle des

séparatistes tamouls.  L'armée fouillait sa maison chaque

semaine.  Il n'appartenait ni à un parti politique, ni à une

organisation terroriste.

 

61.  Il versa 50 000 roupies sri-lankaises à un agent pour qu'il

l'aidât à sortir du pays.  Il atterrit à Heathrow le 19 mars 1987

et demanda l'asile, alors qu'il avait d'abord compté se rendre

au Canada. Plusieurs pages de son passeport avaient été

arrachées.  Le 20 mars, on l'interrogea en tamoul avec l'aide

d'un interprète.  Il relata les événements décrits ci-dessus.

 

62.  Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de

l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de

craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951.  Les

détails de l'affaire furent communiqués au ministre, qui aboutit

à une conclusion analogue.  On en informa M. Rasalingam par une

lettre du 1er septembre 1987, ainsi libellée:

 

"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre

avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,

de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance

à un groupe social ou de vos opinions politiques.  Ces dernières

années, Sri Lanka a connu des troubles considérables et les

autorités ont dû prendre des mesures pour rétablir l'ordre.

L'agitation a entraîné des souffrances pour les individus de tous

les groupes ethniques.  Toutefois, après avoir pesé tous les

éléments de preuve disponibles, le ministre estime que les

Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe persécuté dont

les membres puissent revendiquer, sur la seule base de leur

origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié au titre de

la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la matière.

 

Il étudie néanmoins chaque demande d'asile introduite par un

Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères

de ladite Convention.  La décision dépend des circonstances

propres au cas d'espèce.

 

A l'appui de votre requête, vous avez allégué l'impossibilité de

vivre à Sri Lanka parce qu'on y persécute les Tamouls.  Un camp

militaire se trouverait à huit kilomètres de votre village, dont

les troupes ne cesseraient de chasser les habitants.  Vous avez

déclaré que la maison de vos parents avait été incendiée en 1985

avec le reste du village, que des militaires vous avaient

interrogé et menacé en 1985 et que votre magasin avait été réduit

en cendres.  Vous avez affirmé aussi que des soldats avaient

abattu deux de vos cinq frères.

 

Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances

suivantes: vous avez passé en sécurité à Sri Lanka les deux

années qui ont suivi la destruction de la maison de vos parents

et de votre magasin; vos parents vivent à présent dans un petit

village situé de l'autre côté de la forêt, et vous travailliez

sur les terres de votre père.  D'après les renseignements fournis

par vous, vos parents, vos trois autres frères et vos quatre

soeurs - dont certains, mariés, ont eux-mêmes des enfants -

vivent toujours en sécurité à Sri Lanka.

 

Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l'appui de votre

demande, ainsi qu'aux autres données exposées dans la présente

lettre, le ministre n'a pas la conviction que vous ayez lieu de

craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention

des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.

 

Comme vous ne remplissez pas les conditions auxquelles les règles

sur l'immigration subordonnent l'entrée à un autre titre, je vous

refuse l'autorisation de pénétrer sur le territoire."

 

63.  Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri

Lanka le 4 septembre 1987.  Il engagea alors une action en

contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision du

ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).

 

2. Après le renvoi à Sri Lanka

 

64.  M. Rasalingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988.

A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour

le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).

 

65.  Une fois rapatrié, il éprouva des difficultés car, comme le

quatrième requérant, il n'avait plus sa carte d'identité: les

services britanniques de l'immigration l'avaient momentanément

égarée; ils la lui restituèrent plus tard par la poste.  Il s'en

procura une fausse et réussit à éviter l'arrestation lors de

nombreuses opérations de police.  Son frère rallia les LTTE et

lui-même se fit extorquer des fonds pour leur cause.  Les

autorités sri-lankaises et indiennes le suspectaient et

continuent à le rechercher.  En avril 1988, il s'enfuit en France

après avoir appris que son père et son frère avaient été détenus

par les IPKF.

 

66.  Bien que l'on ait ignoré pendant un temps son adresse, il

resta en contact avec ses solicitors.  En son nom, ils

attaquèrent au Royaume-Uni le refus d'asile.  L'Adjudicator

accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72

ci-dessous).  Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 28 août 1989,

le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel

valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992.  En

octobre 1989, il déposa une nouvelle demande d'asile sur laquelle

il n'a pas encore été statué.

 

F. Les actions en contrôle judiciaire intentées par les

requérants

 

67.  Les trois premiers requérants sollicitèrent auprès de la

High Court l'autorisation d'intenter une action en contrôle

judiciaire du rejet de leur demande d'asile par le ministre.  Un

juge unique les débouta le 21 août 1987.  De nouvelles requêtes,

adressées par eux à un juge unique de la cour d'appel, échouèrent

elles aussi le même jour. Le ministère de l'Intérieur refusa de

surseoir à leur refoulement, prévu pour le lendemain, ce qui leur

eût permis de saisir une cour d'appel plénière le lundi 24 août.

Ils se tournèrent alors vers le juge de garde de la High Court,

le samedi 22 août au matin, alléguant que le refus de sursis les

privait de manière déraisonnable du droit de revenir à la charge

devant la cour d'appel.

 

Ledit juge leur donna gain de cause et interdit leur refoulement.

Le 26 août, la cour d'appel les admit à intenter une action en

contrôle judiciaire de la décision du ministre.

 

Après le refus opposé par le ministre à leur demande d'asile, les

quatrième et cinquième requérants engagèrent eux aussi une action

en contrôle judiciaire après avoir obtenu l'autorisation

nécessaire.

 

68.  Le juge McCowan, de la High Court, débouta les cinq

intéressés le 24 septembre 1987.  En revanche, la cour d'appel

annula sur recours, le 12 octobre 1987, les décisions de refus

d'asile.  Le ministre se pourvut alors devant la Chambre des

Lords qui, le 11 décembre 1987,  statua en sa faveur (R. v.

Secretary of State for the Home Department, ex parte Sivakumaran

and conjoined appeals, All England Law Reports 1988, vol. 1, p. 193).

 

69.  La haute assemblée devait se prononcer sur l'interprétation

exacte de l'article 1 A.2 de la Convention de 1951, telle

qu'amendée, qui définit le "réfugié" comme toute personne "qui,

(...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race,

de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un

certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve

hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du

fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de

ce pays (...)".

 

Elle estima qu'il s'agissait là d'un critère objectif; il fallait

démontrer l'existence d'un degré raisonnable de probabilité, ou

un risque réel et sérieux, de voir l'intéressé subir des

persécutions si on le renvoyait dans son pays.  Or il ressortait

du dossier que le ministre, pour décider de refuser l'asile,

avait appliqué le critère de la Convention de 1951.  Le texte de

l'arrêt contenait les opinions suivantes:

 

Lord Keith of Kinkel: "Les termes des décisions [du ministre]

montrent  qu'il s'est fondé sur la situation objective à Sri

Lanka, telle qu'il l'a perçue.  Il ressort de la déclaration sous

serment de M. Pott, fonctionnaire du ministère de l'Intérieur,

que le ministre a eu égard à des rapports de la section

'Réfugiés' de son département, rédigés à partir d'articles de

presse, de comptes rendus et de publications d'Amnesty

International, ainsi qu'à des renseignements reçus par lui du

ministère des Affaires étrangères et à la suite de visites

récentes de secrétaires d'Etat à Sri Lanka.  Chacun sait que ce

pays, ou du moins une partie de son territoire, connaît depuis

assez longtemps de graves troubles revêtant parfois l'ampleur

d'une guerre civile.  Les autorités ont adopté des mesures pour

y mettre fin et pour en identifier et arrêter les responsables.

Ces mesures, ainsi que les activités subversives, ont

naturellement débouché sur des expériences pénibles et

affligeantes pour beaucoup de gens pris malgré eux dans la

tourmente.  Comme l'agitation a sévi surtout dans les régions

habitées par des Tamouls, ce sont eux qui ont le plus souffert.

Dans ses décisions, le ministre a estimé que les opérations

militaires destinées à démasquer et neutraliser les extrémistes

tamouls ne constituent pas des preuves de persécution des Tamouls

en tant que tels.  Les avocats des requérants ne l'ont pas

contesté; ils n'ont pas non plus sérieusement avancé qu'un groupe

quelconque de Tamouls, les jeunes Tamouls du Nord par exemple,

subissait des persécutions pour l'un des motifs énoncés dans la

Convention.  Il apparaît que le ministre, tout en considérant que

ni les Tamouls en général, ni un groupe donné d'entre eux ne se

trouvaient en butte à pareille persécution, a recherché en outre

s'il n'en allait pas différemment pour l'un ou l'autre des

requérants; il a constaté que tel n'était pas le cas. D'après

lui, il fallait tenir compte des événements passés pour évaluer

les perspectives d'avenir.

 

On a plaidé que les décisions du ministre ne reflétaient pas

clairement l'utilisation du critère du 'risque réel et sérieux',

et non le recours à un simple calcul de probabilités.  Ses

déclarations montrent pourtant nettement qu'il n'existait pas,

selon lui, de risque réel de persécution pour l'un des motifs

énoncés dans la Convention."

 

Lord Templeman: "Pour que l'on considère une personne demandant

le statut de réfugié comme 'craignant avec raison d'être

persécutée', il doit exister un risque de la voir subir un tel

traitement en cas de renvoi dans son pays d'origine.  La

Convention n'habilite pas le demandeur à en décider; elle confie

cette décision au pays où il sollicite l'asile.  Aux termes de

la loi de 1971 [sur l'immigration], les demandes de permis

d'entrée au Royaume-Uni, y compris celles fondées sur la

revendication du statut de réfugié, sont instruites par les

autorités compétentes en matière d'immigration instituées par

elle. En vertu de son règlement d'application, c'est au ministre

qu'il incombe de statuer sur la qualité de réfugié du demandeur.

En l'espèce, sa tâche consistait et consiste à déterminer, pour

chaque demandeur, s'il y a risque de persécution en cas de renvoi

à Sri Lanka. Il s'agit manifestement d'une question de degré et

de jugement.  Le ministre reconnaît à un demandeur craignant

d'être persécuté le droit à l'asile dans ce pays, sauf s'il a la

conviction qu'il n'existe pas de risque réel et sérieux de

persécution.  Il a conclu à l'absence de semblable risque (...)

En l'occurrence, l'examen du processus décisionnel ne révèle

aucune erreur de sa part ni n'autorisait la cour d'appel à

contredire son avis selon lequel les requérants ne risqueront pas

d'être persécutés si on les renvoie à Sri Lanka."

 

Lord Goff of Chieveley: "Tout d'abord, je pense avec Lord Keith,

et pour les raisons invoquées par lui, que l'exigence d'une

crainte fondée de persécution signifie simplement la nécessité

de démontrer que la probabilité d'une persécution pour un motif

prévu par la Convention atteint un certain degré.  La thèse de

l'avocat du ministre, selon laquelle il doit exister un risque

réel et sérieux de persécution, me paraît d'ailleurs se concilier

avec cette interprétation.  En second lieu, il ne faut pas

oublier que le ministre jouit, de toute manière, d'un pouvoir

discrétionnaire lui permettant de s'écarter des règles en matière

d'immigration et d'accorder le statut de réfugié s'il estime

juste de le faire.  Enfin, je ne puis me rallier à l'opinion de

Sir John Donaldson MR, d'après laquelle les critères applicables

diffèrent selon qu'il s'agit de l'article 1 de la Convention ou

de l'article 33 (Weekly Law Reports 1987, pp. 1047-1051).  Aux

termes de l'article 33 par. 1,

 

'Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de

quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des

territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de

sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance

à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.'

 

D'après Sir John Donaldson, le ministre, même quand il reconnaît

à un requérant la qualité de réfugié au sens de l'article 1, doit

rechercher ensuite si l'article 33, qui pose un critère objectif,

interdit le refoulement du demandeur vers le pays concerné.  Je

ne puis y souscrire. Il me semble clair, et les observations de

l'avocat du [Haut Commissaire des Nations Unies pour les

réfugiés], qui s'appuie sur les travaux préparatoires, le

confirment du reste, que la clause de non-refoulement de

l'article 33 a été conçue pour s'appliquer à toute personne

considérée comme un réfugié au sens de l'article 1 de la

Convention.  J'ai néanmoins le sentiment que les articles 1 et

33 se concilient plus aisément si l'on adopte, de préférence à

celle du Haut Commissaire, l'interprétation donnée par le

ministre aux mots 'craint avec raison', figurant à l'article 1

A. 2)."

 

70.     Après cette décision, les solicitors des cinq requérants,

agissant en leur nom à tous, écrivirent au ministère de

l'Intérieur pour lui signaler qu'ils entreprendraient de

nouvelles démarches et saisiraient la Commission européenne des

Droits de l'Homme en la priant d'user de l'article 36 de son

règlement intérieur.  Ils l'invitèrent aussi à confirmer qu'il

ne prendrait aucune mesure contre leurs clients pendant sept

jours; il s'y engagea.  La Commission rejeta la demande

d'application de l'article 36 le 18 décembre 1987.   Sur les

instances du Comité d'action tamoul au Royaume-Uni (Tamil Action

Committee U.K.), le Conseil britannique pour les réfugiés

(British Refugee Council), l'UKIAS et un député intervinrent de

leur côté pour empêcher le renvoi. Le ministre estima que les

candidats à l'asile ne pouvant obtenir le statut de réfugié

devaient retourner à Sri Lanka, sauf raisons humanitaires graves;

il conclut à l'absence de semblables raisons dans le cas des

requérants.

 

G. Les recours ultérieurs des requérants au titre de l'article 13

de la loi de 1971 sur l'immigration

 

71.  A la suite du renvoi des requérants à Sri Lanka, leurs

solicitors attaquèrent les refus d'asile devant un Adjudicator

au Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur

l'immigration.  Ils déposèrent une documentation importante

concernant la situation -passée et présente- des Tamouls à Sri

Lanka.  Les représentants du ministre n'en contestèrent aucun

élément et ne fournirent aucune autre information sur laquelle

il eût fondé son refus.  Par une décision du 13 mars 1989,

l'Adjudicator admit que les requérants avaient quitté Sri Lanka

parce que, jeunes Tamouls, ils risquaient notamment d'être

"interrogés, détenus, voire molestés".  Il accorda un large

crédit au tableau que chacun d'eux avait brossé de sa situation

personnelle, à savoir:

 

- pour le premier, la mise à sac de l'entreprise familiale, la

mort de son cousin, ses arrestations et sa détention en 1986 et,

plus tard, à son retour à Sri Lanka, son interrogatoire par la

police (mais non son appartenance alléguée à la PLOTE);

 

- pour le deuxième, sa situation familiale, ses allégations de

détention et de voies de fait, la destruction de sa maison et,

à son retour à Sri Lanka, son arrestation et les mauvais

traitements subis par lui à Jaffna;

 

- pour le troisième, ses arrestations, ses interrogatoires et la

mort de son frère (mais non son appartenance alléguée aux LTTE);

 

- pour le quatrième, la destruction de la maison de sa famille

par des tirs d'obus, les incidents auxquels il assista et, à son

retour à Sri Lanka, ses diverses détentions dues au défaut de

carte d'identité;

 

- pour le cinquième, l'incendie de sa maison, la mort par balles

de deux de ses frères et, après son retour à Sri Lanka,

l'arrestation de sa famille et de ses proches.

 

Il admit aussi qu'en général, les victimes des mauvais

traitements infligés par les forces sri-lankaises étaient des

jeunes Tamouls de sexe masculin et que l'armée sri-lankaise, puis

les IPKF, avaient fait dans le Nord un usage excessif de la

violence contre des non-combattants.

 

Il conclut que les requérants avaient lieu de craindre des

persécutions et jugea, notamment,

 

- qu'ils avaient tous droit à l'asile au moment de la décision

du ministre;

 

- que les circonstances n'avaient guère changé depuis lors;

 

- que la décision du ministre concernant chacun d'eux n'était pas

conforme à la loi;

 

- que leurs recours étaient donc fondés;

 

- que l'on devait les ramener au Royaume-Uni dans les plus brefs

délais.

 

72.  Le 19 avril 1989, la commission de recours en matière

d'immigration (Immigration Appeal Tribunal) déclara tardif

l'appel du ministre: une erreur administrative avait entraîné le

dépassement du délai légal de quatorze jours.  Le 12 mai, le

ministre sollicita un contrôle judiciaire des décisions de ladite

commission et de l'Adjudicator.  Il contestait, entre autres, la

légalité ou le caractère raisonnable de l'ordre d'assurer le

retour des requérants au Royaume-Uni.

 

Le juge McCowan ayant accordé l'autorisation voulue le 17 mai

1989, le Lord Justice Lloyd et le juge Auld examinèrent l'affaire

le 11 juillet; la High Court confirma la décision de la

commission de recours.  Le 31 juillet, le ministre demanda un

sursis à exécution quant au retour des cinq requérants, en

attendant un recours éventuel. Il fut débouté le 31 juillet 1989.

 

Le 17 mai 1990, la cour d'appel rejeta un recours introduit par

lui contre la décision du juge Auld, dans la procédure précitée,

reconnaissant à MM. Vilvarajah et Skandarajah le droit de porter

leur demande d'asile en appel devant l'Adjudicator bien qu'ayant

commencé par présenter de faux passeports malaisiens et par

chercher à pénétrer sur le territoire en qualité de visiteurs (R.

v. Immigration Appeal Tribunal and Another, ex parte Secretary

of State for the Home Department, Weekly Law Reports 1990,

vol. 1, p. 1126).

 

H. La situation à Sri Lanka

 

73.  Sri Lanka compte 16 100 000 habitants, dont 74 % de

Cingalais et 18 % d'Hindous tamouls.  Concentrés dans certaines

régions, les Tamouls représentent 90 % de la population de la

péninsule de Jaffna, dans le nord du pays.  Le conflit ethnique

entre Tamouls et Cingalais remonte à plusieurs générations; le

chauvinisme anti-tamoul des seconds constitue un facteur

important dans la politique sri-lankaise depuis 1948.

L'hostilité aux Tamouls a provoqué, entre autres, une série de

pogroms contre les communautés tamoules, surtout depuis 1956.

La situation a beaucoup empiré en 1983, à la suite de

l'assassinat de treize soldats sri-lankais par un groupe de

libération tamoul.  L'état d'urgence proclamé à l'époque demeure

en vigueur.  La communauté tamoule a ainsi été exposée à une

politique de répression violente du gouvernement qui a notamment

toléré, sinon approuvé, des massacres organisés.

 

74.  En vertu d'un accord signé entre Sri Lanka et l'Inde le 29 juillet 1987,

l'armée indienne occupa des régions tamoules pour

protéger la population tamoule, et les forces cingalaises

devaient regagner leurs casernes.  Toutefois, les IPKF entrèrent

en action contre les extrémistes tamouls qui rejetaient l'accord.

Il y aurait eu des arrestations, des détentions arbitraires, des

cas de torture et des destructions, surtout en octobre et en

novembre 1987, lorsque les villages et les villes du Nord se

trouvèrent pris sous des bombardements et des tirs aveugles.  La

ville de Jaffna subit un siège pendant lequel les IPKF tuèrent

de 2 000 à 5 000 civils; de nombreuses atrocités furent commises

durant et après l'assaut.  A l'époque, les Tamouls avaient

absolument besoin de deux cartes d'identité - l'une sri-lankaise,

l'autre délivrée par les IPKF à tous les habitants du Nord - pour

éviter le risque de détention arbitraire.

 

75.  Lors du renvoi des requérants en février 1988, de nombreux

communiqués continuaient à relater des troubles.  Le gouvernement

défendeur analyse la situation ainsi: de vastes secteurs,

notamment dans le nord et l'est de Sri Lanka, étaient en proie

à la confusion et à la violence, même si de larges portions du

territoire restaient épargnées.  L'agitation sembla diminuer en

décembre 1987.  Eu égard à l'accord de juillet 1987, les

gouvernements sri-lankais et indien étaient pleinement acquis aux

principes du rétablissement du droit et de l'ordre, de la

garantie des droits fondamentaux pour toutes les communautés et

de l'élection démocratique de représentants régionaux. On assista

aussi au rapatriement volontaire de nombre de Tamouls sri-lankais

- dont la plupart avaient fui en Inde - dans le cadre d'une

opération organisée par le Haut Commissariat des Nations Unies

pour les réfugiés ("HCR") sur la base de certaines clauses dudit

accord.

 

76.  Au 11 février 1988, grâce au dispositif mis en place par le

HCR à la fin de décembre 1987, 2 746 Sri-lankais avaient regagné

leur pays et en août 1988 leur nombre dépassait 23 000.  Le HCR

a estimé qu'à la même date, 12 OOO de plus avaient recouru à

leurs propres moyens pour rentrer volontairement à Sri Lanka.

De leur côté, plusieurs pays d'Europe occidentale - par exemple

les Pays-Bas et la France - commencèrent à renvoyer des Tamouls

à Sri Lanka pendant la période d'août 1987 à février 1988.

D'autres, dont la République fédérale d'Allemagne et l'Italie,

avaient pour politique de ne pas refouler à l'époque les

demandeurs d'asile tamouls.

 

77.  En décembre 1987, Amnesty International, le Conseil

britannique pour les réfugiés et le H.C.R. pressèrent le

gouvernement défendeur de ne pas renvoyer de Tamouls à Sri Lanka,

en raison de l'instabilité qui y régnait, de l'effet incertain

de l'accord de juillet et des récits de violation des droits de

l'homme par les forces de sécurité sri-lankaises et les IPKF.

 

78.  Un rapport du comité "Asie" du Conseil britannique pour les

réfugiés, daté du 15 décembre 1987, parlait de destructions

massives ainsi que de problèmes alimentaires et sanitaires à

grande échelle.  La situation s'était légèrement améliorée depuis

le début de novembre 1987, mais l'ensemble des zones à majorité

tamoule étaient le théâtre d'attaques de la guérilla et de

contre-attaques des IPKF, et l'on ne pouvait guère y mener une

vie normale.

 

I.   Sources d'information utilisées pour statuer sur les

demandes d'asile des requérants

 

79.       Les renseignements dont bénéficiait le ministre quant

à la situation à Sri Lanka émanaient de nombreuses sources:

télégrammes de la Haute Commission britannique à Colombo, avis

du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,

informations et preuves documentaires fournies par des milliers

de demandeurs d'asile sri-lankais, contacts fréquents avec des

représentants du HCR, articles de presse, comptes rendus et

rapports d'organisations, telle Amnesty International, qui

suivaient les événements de près.  Le ministère des Affaires

étrangères et du Commonwealth donnait aussi des informations

provenant des représentations diplomatiques au sujet de

l'évolution de la conjoncture à Sri Lanka.

 

80.  En outre, M. Timothy Renton, député et ministre adjoint à

l'Intérieur, se rendit dans l'île du 10 au 14 septembre 1987,

accompagné du plus haut fonctionnaire du service de l'immigration

et de la nationalité du ministère de l'Intérieur, responsable

général de la politique d'asile, ainsi que du chef du service de

l'Asie du Sud du ministère des Affaires étrangères et du

Commonwealth.  Pendant son séjour, il s'entretint avec le

président Jayawardene et plusieurs ministres: il visita Jaffna

et Trincomalee où il rencontra des responsables locaux, des

membres des forces armées sri-lankaises, des citoyens, des

comités et des représentants des LTTE.

 

II.  Droit et pratique internes pertinents

 

A. Le processus décisionnel dans les affaires de demande d'asile

 

81.  Le "Texte d'amendements aux règles sur l'immigration" (House

of Commons paper 169) du 9 février 1983 ("les règles de 1983")

contient des dispositions particulières relatives à la situation

des réfugiés et des personnes qui demandent l'asile au

Royaume-Uni.  L'article 16 est ainsi libellé:

 

"Dans le cas d'un réfugié, il y a lieu de tenir pleinement compte

des dispositions de la Convention et du Protocole relatifs au

statut des réfugiés (Cmnd. 9171 et Cmnd. 3096).  Rien dans les

présentes règles ne peut s'interpréter comme exigeant une action

contraire aux obligations du Royaume-Uni au titre de ces

instruments."

 

82.  Une personne peut introduire une demande d'asile à son

arrivée au Royaume-Uni ou après avoir pénétré sur le territoire.

D'après l'article 4 par. 1 de la loi de 1971 sur l'immigration

("la loi de 1971"), dans le premier cas un fonctionnaire des

services de l'immigration examine la demande conformément à

l'article 73 des règles de 1983, aux termes duquel

 

"Des considérations spéciales entrent en jeu quand le seul pays

vers lequel on pourrait refouler une personne est un pays où elle

ne veut pas se rendre parce qu'elle craint avec raison d'y être

persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,

de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions

politiques.  Si l'agent des services de l'immigration a le

sentiment, à la suite d'affirmations ou renseignements émanant

de la personne qui sollicite à son arrivée le droit de pénétrer

sur le territoire, que le présent texte pourrait s'appliquer, il

saisit le ministère de l'Intérieur, pour décision, indépendamment

de tout motif prévu dans l'une quelconque des présentes règles

et pouvant sembler justifier un refus.  Le permis d'entrée ne

peut être refusé s'il apparaît que le refoulement irait à

l'encontre de la Convention et du Protocole relatifs au statut

des réfugiés."

 

83.  Quand l'article 73 trouve à s'appliquer, un agent des

services de l'immigration interroge le passager au point

d'arrivée sur le territoire, au besoin avec l'aide d'un

interprète.  Une partie de la formation générale de ces

fonctionnaires porte sur les questions d'asile.  Le Haut

Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés y est associé

depuis peu.  Selon ledit article 73, le dossier passe alors à la

section "Réfugiés" du service "Immigration et nationalité" du

ministère de l'Intérieur, spécialisé en la matière.  Les agents

des services de l'immigration ne statuent jamais sur une demande

d'asile au point d'arrivée.

 

84.  La section "Réfugiés" dispose d'effectifs importants,

répartis en sous-sections géographiques sous la direction de

quatre "Senior Executive Officers" (SEO), respectivement

responsables du Proche-Orient, de l'Extrême-Orient, de l'Afrique

et de l'Europe de l'Est ainsi que des Amériques.  Elle comprend

aussi une unité de recherche qui rassemble et diffuse des

renseignements de base sur des pays particuliers.  Un "Executive

Officer" de la section géographique compétente étudie d'abord la

demande, en apprécie le bien-fondé puis adresse une

recommandation à un "Higher Executive Officer".  Celui-ci peut

accorder l'asile ou un permis d'entrée exceptionnel.  Un refus

pur et simple doit émaner au moins d'un SEO.  Un agent peut

déférer à un supérieur, ou, comme en l'espèce, à un secrétaire

d'Etat les cas complexes ou ceux qui lui inspirent des doutes

particuliers.

 

85.  Ce mécanisme se combine avec un système, décrit ci-dessous,

de consultation de l'UKIAS (paragraphes 94-95).  Si les

fonctionnaires estiment ne pouvoir accéder à une demande

nonobstant les démarches dudit service, ils saisissent un

secrétaire d'Etat, pour décision, et informent l'UKIAS des

questions à trancher de la sorte.

 

B. Les droits d'appel garantis aux demandeurs d'asile par la loi

de 1971 sur l'immigration

 

86.  Si quelqu'un se voit débouter de sa demande d'asile avant

d'avoir obtenu l'autorisation d'entrer au Royaume-Uni, l'article

13 de la loi de 1971 lui reconnaît le droit d'en appeler aux

organes créés par la partie II de la loi ("les organes d'appel").

Cette faculté ne peut en général s'exercer que de l'étranger,

mais on peut aussi attaquer le refus d'asile par une action en

contrôle judiciaire (paragraphes 89-93 ci-dessous).

 

Un Adjudicator, juge unique nommé par le Lord Chancelier, connaît

en première instance des recours formés en vertu de l'article 13.

Ses décisions peuvent donner lieu à un appel, d'ordinaire après

autorisation, devant une commission de recours en matière

d'immigration.  Elle se compose de trois personnes, désignées par

le Lord Chancelier et pouvant ne pas posséder de qualifications

juridiques; un juriste doit cependant présider les séances.

 

87.  D'après l'article 17 de la loi de 1971, une personne n'ayant

pu obtenir un permis d'entrée au Royaume-Uni et dont on ordonne

le refoulement peut saisir un Adjudicator en plaidant qu'il

faudrait, à tout le moins, la renvoyer vers un autre pays ou

territoire.  C'est à elle qu'il incombe d'en trouver un qui

consente à l'accueillir.

 

88.  La procédure relative aux recours des demandeurs d'asile

contre les refus de permis d'entrée obéit à un règlement de 1984

(Immigration Appeals (Procedure) Rules; Statutory Instruments,

1984/2041).

 

Les appelants peuvent se faire représenter par l'UKIAS, que le

ministre finance pour lui donner les moyens de prêter conseil et

assistance aux titulaires d'un droit légal de recours (article 23

de la loi de 1971). Ils peuvent aussi mandater des solicitors.

Le règlement de 1984 prévoit la production, par le gouvernement,

d'un mémoire explicatif (article 8), la faculté pour l'organe

d'appel d'exiger des précisions (article 25), la convocation de

témoins (article 27), l'audition de chacune des parties (article 28),

l'administration de preuves orales, écrites ou autres

(article 29) et l'examen des preuves documentaires (article 30).

 

Aucune disposition du règlement n'autorise l'appelant à rentrer

au Royaume-Uni pour assister à l'audience d'appel, mais il peut

communiquer ses observations par écrit ou par l'intermédiaire de

son représentant.  Il peut demander aux organes d'appel une

procédure accélérée.  S'il obtient gain de cause, l'Adjudicator,

en vertu de l'article 19 de la loi de 1971, ou la commission, en

vertu de l'article 20, donnent les directives nécessaires pour

l'exécution de la décision. S'ils accueillent un recours formé

de l'étranger, ils peuvent enjoindre au fonctionnaire compétent

de délivrer à l'intéressé le titre requis pour lui permettre de

retourner au Royaume-Uni.  Chacune des deux parties peut attaquer

la décision de l'Adjudicator devant la commission de recours en

matière d'immigration.  Elle peut, en outre, solliciter un

contrôle judiciaire de la décision de ladite commission et

bénéficier, au besoin, de l'aide judiciaire à cette fin.

 

C. Le contrôle judiciaire des décisions en matière d'asile

 

89.  Il appartient au ministre d'apprécier s'il y a lieu

d'accéder à une demande d'asile, sous réserve du droit légal de

recours sur le fond mentionné plus haut.  Les tribunaux

(contrairement aux organes d'appel institués par la loi de 1971)

n'ont pas compétence pour se prononcer sur la qualité de réfugié.

La décision du ministre se prête toutefois à un contrôle

judiciaire pouvant conduire à l'annuler pour des motifs divers.

L'autorisation de solliciter pareil contrôle peut s'obtenir à

bref délai et l'intéressé se voir accorder une aide judiciaire

quelle que soit sa nationalité.

 

90.  Les tribunaux recherchent si le ministre de l'Intérieur a

bien interprété la loi pour accorder ou refuser l'asile.  Dans

la seconde hypothèse, même s'ils constatent l'absence d'erreur

de droit ils peuvent contrôler sa décision à la lumière des

"principes Wednesbury" (Associated Provincial Picture Houses Ltd

v. Wednesbury Corporation, Kings Bench 1948, vol. I, p. 223).

Cet examen consiste à déterminer si le ministre, en usant de son

pouvoir discrétionnaire, a laissé de côté un facteur qui aurait

dû entrer en ligne de compte, ou pris en considération un élément

qu'il aurait dû négliger, ou abouti à une conclusion si

déraisonnable que nulle autorité raisonnable n'aurait pu y

arriver.  D'après le Gouvernement, un tribunal aurait compétence,

en vertu de ces principes, pour annuler une décision de renvoi

d'un fugitif vers un pays où il existerait un risque sérieux et

avéré de traitements inhumains ou dégradants, par le motif qu'au

vu de toutes les circonstances de la cause aucun ministre

raisonnable ne pouvait prendre une telle décision.  Pour leur

part, les requérants contestent l'ampleur du contrôle judiciaire

du bien-fondé de la décision du ministre (paragraphe 118 ci-

dessous).

 

91.  La Chambre des Lords illustra l'étendue et les effets du

contrôle judiciaire dans l'affaire Bugdaycay (R. v. Home

Secretary, ex parte Bugdaycay and Others, All England Law Reports

1987, vol I, p. 940). Elle estima que le ministre de l'Intérieur

avait méconnu un élément dont il aurait dû spécialement tenir

compte.  Lord Bridge déclara (pp. 945 et 952):

 

"(...) toute question de fait dont dépend la décision

discrétionnaire d'accorder ou refuser un permis d'entrée ou de

séjour doit nécessairement être appréciée par l'agent des

services de l'immigration ou par le ministre (...) Même s'il

revêt une importance particulière, le point de savoir si le

demandeur a ou non la qualité de réfugié n'est qu'une des

multiples questions à trancher chaque jour par les agents des

services de l'immigration et les fonctionnaires du ministère de

l'Intérieur agissant au nom du ministre (...) Les décisions en

la matière ne peuvent être attaquées devant les tribunaux que sur

la base des célèbres principes Wednesbury (...) Il n'y a aucune

raison de déroger à la règle pour traiter la question soulevée

par une demande de statut de réfugié (...)

 

(...)

 

A l'intérieur de ces limites, le tribunal doit pouvoir, me

semble-t-il, pour s'assurer que nul vice n'entache une décision

administrative, la soumettre à un examen d'autant plus rigoureux

que son objet est grave. Or le droit le plus fondamental de

l'homme est le droit à la vie; si, d'après un requérant, la

décision administrative litigieuse peut mettre sa vie en danger,

les éléments qui la fondent appellent donc sans nul doute le

contrôle le plus scrupuleux."

 

Lord Templeman ajouta (p. 956):

 

"Quand une décision viciée risque de mettre en danger la vie ou

la liberté, une responsabilité particulière incombe, à mon avis,

au tribunal qui examine la manière dont elle a été prise."

 

En l'espèce, la Chambre, après avoir étudié les preuves avec

soin, annula les arrêtés de refoulement quant à l'un des

requérants, pour défaut de prise en compte de faits pertinents.

 

Par la voie du contrôle judiciaire, des tribunaux ont aussi

annulé des refus d'asile émanant du ministre dans R. v. Secretary

of State, ex parte Jeyakumaran (décision de la High Court du

28 juin 1985), R. v. Secretary of State, ex parte Yemoh (décision

de la High Court du 14 juillet 1988), et Gaima v. Secretary of

State (Immigration Appeals Reports 1989).  Dans l'affaire

Jeyakumaran, la High Court examina la décision du ministre sous

l'angle des "principes Wednesbury".  Le juge Taylor déclara: "Je

suis (...) troublé par certains des éléments qui semblent bien

avoir pesé dans la balance et par d'autres qui n'ont joué aucun

rôle.  Il échet donc d'étudier d'assez près les preuves fournies

par le défendeur."  Il conclut à la nécessité d'annuler le refus

opposé par le ministre, au motif que "pour se décider [celui-ci]

avait eu égard à des éléments qu'il aurait dû négliger et laissé

de côté des éléments pertinents".  La High Court adopta une

démarche analogue dans la deuxième affaire (Yemoh).  Quant à la

troisième (Gaima), elle  concernait plutôt le caractère équitable

de la procédure ayant abouti au refus d'asile: la cour d'appel

jugea que l'on n'avait pas offert à la requérante une occasion

suffisante de donner sa version des faits pris en considération

par le ministre pour apprécier sa crédibilité.  Le juge May, avec

qui ses deux collègues marquèrent leur accord, souligna qu'"en

matière d'asile, la Cour peut et doit soumettre les décisions

administratives à un examen rigoureux" et "s'assurer que le

processus décisionnel a été entièrement équitable d'un bout à

l'autre".

 

92.  Le ministre de l'Intérieur a précisé que l'on ne saurait

s'attendre à voir les demandeurs d'asile bénéficier d'une

permission automatique de rester au Royaume-Uni jusqu'à la fin

de la procédure. En pratique, toutefois, aucun demandeur n'est

refoulé dès lors qu'il a obtenu l'autorisation de solliciter un

contrôle judiciaire.  En outre, dans R. v. Secretary of State for

Education and Science, ex parte Avon County Council (Local

Government Reports 1991, n° 88, p. 737), la cour d'appel a estimé

qu'un tribunal statuant au titre du contrôle judiciaire a le

pouvoir d'ordonner un sursis même s'il doit en résulter une

restriction aux prérogatives de la Couronne.

 

93.  En cas de refus de l'autorisation de solliciter un contrôle

judiciaire, l'intéressé peut saisir la cour d'appel d'une

nouvelle demande.  Même si son action échoue à l'issue de débats

sur le fond, il peut former un recours sur un point de droit

devant la cour d'appel, puis devant la Chambre des Lords avec

l'accord de celle-ci ou de la cour d'appel.

 

D. Le système de consultation de l'UKIAS

 

94.  Depuis 1983, le dossier d'un demandeur d'asile non autrement

représenté peut être transmis, pour avis ou pour d'autres

services d'assistance, au Conseil consultatif britannique pour

les immigrants (UKIAS), subventionné par le gouvernement.  Le

ministère de l'Intérieur considère alors l'UKIAS comme l'agent

du HCR.

 

95.  Depuis le 1er septembre 1988 (soit après le refoulement des

requérants), aucune catégorie de demandeurs d'asile ne se trouve

automatiquement exclue de ce système, bien que le ministre de

l'Intérieur garde en tout temps le droit de conserver un dossier

par-devers lui.  Si une personne peut être envoyée dans un pays

tiers où elle ne craint pas de persécutions, on téléphone à

l'UKIAS pour savoir s'il souhaite s'entretenir avec elle; dans

l'affirmative, on lui accorde deux jours à cette fin et pour

formuler des observations. S'il envisage de rejeter la demande

d'asile d'une personne non représentée risquant d'être refoulée

vers un pays où elle affirme redouter des persécutions, le

ministère de l'Intérieur saisit l'UKIAS qui peut présenter des

observations dans le délai d'une semaine, pour les personnes

détenues, ou de quatre pour les personnes en liberté.  Le

ministre a l'obligation d'étudier toutes les observations ainsi

recueillies et d'y répondre.  Elles peuvent, avec la réponse

donnée, servir d'éléments au regard desquels les motifs et

conclusions des décisions prises peuvent être examinés dans le

cadre de la procédure de contrôle en cas de refus d'asile.

 

E. Les députés

 

96.  Les députés interviennent fréquemment auprès du secrétaire

d'Etat en faveur de demandeurs d'asile éconduits ou d'autres

personnes menacées d'expulsion.  Les premières directives en la

matière remontent à 1986.  Avant mars 1987, un simple coup de

téléphone pouvait suspendre un renvoi jusqu'à l'issue des

démarches.  Le 3 mars 1987, le ministre de l'Intérieur déclara

que les députés ne devaient plus compter sur l'octroi

systématique de sursis.  Des directives révisées, entrées en

vigueur le 3 janvier 1989 quant à la suite à réserver à de telles

interventions, ménagent la possibilité d'un sursis valable pour

huit jours ouvrables et destiné à permettre des démarches dès

lors que l'on dispose de preuves nouvelles et convaincantes non

encore prises en compte.

 

F. Le droit et la pratique dans le cas de réfugiés auxquels la

Convention de 1951 ne s'applique pas

 

97.  Le ministre jouit du pouvoir discrétionnaire d'autoriser ou

non à entrer au Royaume-Uni, et à y séjourner, une personne qui

ne possède pas le statut de réfugié au titre de la Convention de

1951.  En conséquence, si une personne pénétrant au Royaume-Uni

ne peut prétendre audit statut mais allègue que, renvoyée dans

son pays, elle courrait un risque réel de traitements

incompatibles avec l'article 3 (art.  3) de la Convention

européenne, il peut lui accorder un permis exceptionnel d'entrée.

Le demandeur d'asile peut alors demeurer au Royaume-Uni pour une

période initiale de douze mois.

 

En 1988, 57,4 % des décisions rendues en matière d'asile ont

octroyé un tel permis, en général pour des motifs humanitaires,

et 17,2 % ont opposé un refus pur et simple; dans 25,4 % des cas,

il y a eu reconnaissance du statut de réfugié.  La même année,

304 Sri-lankais ont obtenu un permis exceptionnel.

 

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

 

98.  MM. Vilvarajah, Skandarajah et Sivakumaran ont saisi la

Commission le 26 août 1987 (requêtes n° 13163/87, 13164/87 et

13165/87), MM. Navratnasingam et Rasalingam le 15 décembre 1987

(requêtes n° 13447/87 et 13448/87).  Ils alléguaient qu'en leur

qualité de jeunes Tamouls de sexe masculin, ils avaient des

motifs plausibles de craindre de subir des persécutions, la

torture, une exécution arbitraire ou des traitements inhumains

ou dégradants contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention.

Ils affirmaient en outre ne disposer en droit britannique d'aucun

recours effectif pour le grief tiré de ce texte.

 

Le 18 décembre 1987, la Commission a décidé de ne pas recommander

au gouvernement britannique, en vertu de l'article 36 de son

règlement intérieur et ainsi que les requérants l'en avaient

priée, de suspendre leur renvoi à Sri Lanka en attendant l'issue

de la procédure.

 

99.  Elle a retenu les requêtes le 7 juillet 1989.

 

Dans son rapport du 8 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle

conclut à l'absence de violation de l'article 3 (art. 3) (sept

voix contre sept, avec la voix prépondérante du président) mais

à l'existence d'une infraction à l'article 13 (art. 13) (treize

voix contre une).

 

Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il

s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.

 

_______________

* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y

figurera que dans l'édition imprimée (volume 215 de la série A

des publications de la Cour), mais on peut s'en procurer une

copie auprès du greffe.

_______________

 

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

 

100. A l'audience publique du 23 avril 1991, le Gouvernement a

confirmé les conclusions figurant dans son mémoire.  Elles

invitaient la Cour à dire

 

"1. que dans les circonstances propres à chaque espèce, il n'y

a pas eu violation de l'article 3 (art. 3);

 

2. qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 13 (art. 13), eu

égard notamment à la manière dont le contrôle judiciaire

fonctionne actuellement en la matière".

 

EN DROIT

 

I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 3 (art. 3)

 

101. Les requérants voient dans leur refoulement vers Sri Lanka

en février 1988 un traitement inhumain et dégradant contraire à

l'article 3 (art. 3), ainsi libellé:

 

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

traitements inhumains ou dégradants."

 

A. Applicabilité de l'article 3 (art. 3) en matière d'expulsion

 

102. La Cour rappelle d'emblée que les Etats contractants ont,

en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans

préjudice des engagements découlant pour eux de traités y compris

l'article 3 (art. 3), le droit de contrôler l'entrée, le séjour

et l'éloignement des non-nationaux (arrêt Moustaquim du 18 février 1991,

série A n° 193, p. 19, par. 43, avec les références).

Elle note aussi que ni la Convention ni ses Protocoles

ne consacrent le droit à l'asile politique, ce que

confirment diverses recommandations de l'Assemblée du Conseil de

l'Europe (recommandation 293 (1961), Textes adoptés, 30e session

ordinaire, 21-28 septembre 1961, et recommandation 434 (1965),

Annuaire de la Convention, 1965, vol. 8, pp. 56-57) ainsi qu'une

résolution et une déclaration ultérieures du Comité des Ministres

(résolution 67 (14), Annuaire de la Convention, 1967, vol. 10,

pp. 104-105, et déclaration relative à l'asile territorial,

adoptée le 18 novembre 1977, Recueil de textes, édition de 1987,

p. 202).

 

103. Dans son arrêt Cruz Varas du 20 mars 1991, elle a jugé que

l'expulsion d'un demandeur d'asile par un Etat contractant peut

soulever un problème au regard de l'article 3 (art. 3), donc

engager la responsabilité de l'Etat en cause au titre de la

Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire

que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque

réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements

inhumains ou dégradants (série A n° 201, p. 28, paras. 69 et 70).

 

B. Application de l'article 3 (art. 3) en l'espèce

 

1. Thèse des comparants

 

104. Les requérants allèguent qu'à l'époque de leur renvoi, il

existait des motifs sérieux de craindre de voir leur retour à Sri

Lanka se traduire pour eux par des traitements contraires à

l'article 3 (art. 3).  Ils contestent que l'intérêt général entre

en ligne de compte dans l'examen de la question.  Ils invoquent

la détérioration des conditions de sécurité à Sri Lanka depuis

septembre 1987 et la forte préoccupation exprimée par diverses

organisations à propos de leur refoulement (paragraphe 77 ci-

dessus).  En outre, ils couraient un plus grand risque de mauvais

traitements que la population sri-lankaise en général: ils en

avaient déjà subi par le passé et les jeunes Tamouls de sexe

masculin étaient particulièrement exposés à la menace d'une

arrestation par les forces de sécurité si elles les soupçonnaient

de sympathies militantes.  Ces dangers se trouvaient encore

accrus dans le cas des quatrième et cinquième requérants:

renvoyés à Sri Lanka sans carte d'identité, ils devaient pendant

leur voyage passer sans papiers les points de contrôle installés

par l'armée.

 

A l'appui de leurs assertions, ils affirment qu'après leur retour

à Sri Lanka trois d'entre eux furent détenus par les forces de

sécurité qui les soumirent à la torture ou à d'autres mauvais

traitements (paragraphes 28-29, 43 et 56 ci-dessus).  De plus,

l'Adjudicator estima par la suite qu'à l'époque de la décision

du ministre, ils avaient lieu de redouter des persécutions et

auraient dû bénéficier de l'asile (paragraphe 71 ci-dessus).

 

105. D'après le Gouvernement, il faut, pour déterminer si la

responsabilité d'un Etat se trouve réellement engagée dans un cas

donné, mettre en balance les exigences de l'intérêt général de

la communauté et les impératifs de la protection des droits

fondamentaux. Un constat de violation de l'article 3 (art. 3) en

l'espèce aboutirait à conférer à toutes les autres personnes

placées dans une situation analogue, c'est-à-dire exposées à des

risques non individualisés liés à des troubles dans leur Etat

d'origine, le droit à ne pas être refoulées; on autoriserait de

la sorte l'entrée d'une population potentiellement très

nombreuse, avec les graves conséquences économiques et sociales

qui en découleraient.

 

Aux yeux du Gouvernement, aucun des requérants ne paraissait

spécialement menacé.  Les risques étaient, pour l'essentiel,

diffus et identiques à ceux que connaissaient d'autres jeunes

hommes pris comme eux dans une conjoncture de désordres civils.

Ils résultaient du contexte général à Sri Lanka et valaient pour

tous les non-combattants. En février 1988, la situation s'était

du reste améliorée dans le nord et l'est de l'île, comme en

témoignait le programme de rapatriement volontaire des réfugiés

tamouls élaboré par le HCR.

 

Le Gouvernement aurait examiné avec soin tous les renseignements

dont il disposait et toutes les interventions effectuées auprès

de lui en faveur des requérants.  Les éléments résumés plus haut

l'auraient amené à juger que les intéressés n'avaient pas établi

l'existence d'un risque assez important de mauvais traitements,

ni d'un lien de causalité suffisamment net entre leur renvoi et

tout mauvais traitement pouvant avoir eu lieu.  Dès lors, la

décision de les refouler ne saurait passer pour déraisonnable ou

arbitraire.

 

106. La majorité de la Commission arrive à une conclusion

analogue: selon elle, l'instabilité générale à Sri Lanka créait

dans certains secteurs des risques pour tous les non-combattants

et les requérants n'avaient pas couru de dangers personnels plus

grands à leur retour en février 1988.

 

2. Examen par la Cour des questions en litige

 

a) Comment apprécier l'existence d'un risque de mauvais

traitements

 

107. Dans son arrêt Cruz Varas précité, la Cour a jugé pertinents

en la matière les principes suivants (série A n° 201, pp. 29-31,

paras. 75-76 et 83):

 

1) afin de déterminer s'il y a des motifs sérieux et avérés de

croire à un risque réel de traitements incompatibles avec

l'article 3 (art. 3), elle s'appuie sur l'ensemble des éléments

qu'on lui fournit ou, au besoin, qu'elle se procure d'office;

 

2) dans une telle affaire, un Etat contractant assume une

responsabilité au titre de l'article 3 (art. 3) pour avoir exposé

quelqu'un au risque de mauvais traitements.  En contrôlant

l'existence de ce risque, il faut donc se référer par priorité

aux circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir

connaissance au moment de l'expulsion, mais cela n'empêche pas

la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs; ils peuvent

servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie

contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d'un

requérant;

 

3) pour tomber sous le coup de l'article 3 (art. 3), un mauvais

traitement doit atteindre un minimum de gravité.  L'appréciation

de ce minimum est relative par essence; elle dépend de l'ensemble

des données de la cause.

 

108. En vue d'apprécier l'existence, à l'époque considérée, d'un

risque de traitements contraires à l'article 3 (art. 3), la Cour

se doit d'appliquer des critères rigoureux, eu égard au caractère

absolu de cette disposition et au fait qu'elle consacre l'une des

valeurs fondamentales des sociétés démocratiques formant le

Conseil de l'Europe (arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A

n° 161, p. 34, par. 88).  Il résulte des principes énumérés ci-

dessus que l'examen de la question doit se concentrer en l'espèce

sur les conséquences prévisibles du renvoi des requérants à Sri

Lanka, compte tenu de la situation générale dans l'île en février

1988 et des circonstances propres au cas de chacun d'eux.

 

b) Sur le point de savoir si leur refoulement exposait les

requérants à un risque réel de traitements inhumains

 

109. Du rapport de la Commission et des commentaires y relatifs

des requérants et du Gouvernement, il semble ressortir qu'en

février 1988 la situation dans le nord et l'est de l'île, le plus

touchés par les troubles, s'était améliorée.  Conformément à

l'accord de juillet 1987, les IPKF y avaient relevé les forces

de sécurité, à prédominance cingalaise, et la bataille avait

cessé à Jaffna.

 

Si de larges portions du territoire demeuraient tranquilles, des

escarmouches continuaient d'avoir lieu dans le nord et l'est

entre des unités des IPKF et des militants tamouls hostiles à

l'accord.  Ces secteurs vivaient sous la menace permanente de

nouvelles violences et les civils risquaient d'être pris dans les

combats (paragraphes 74-75 ci-dessus).

 

110. Néanmoins, le programme de rapatriement volontaire du HCR,

dont l'exécution avait commencé à la fin de décembre 1987, montre

nettement qu'en février 1988 la situation s'était détendue à un

point suffisant pour permettre à de nombreux Tamouls d'être

ramenés à Sri Lanka malgré la persistance de troubles.  Il

s'avère aussi que beaucoup d'autres y retournèrent par leurs

propres moyens (paragraphe 76 ci-dessus).

 

111. Les preuves fournies à la Cour quant aux antécédents des

requérants et au contexte général à Sri Lanka n'établissent pas

que la situation personnelle des intéressés fût pire que celle

de la généralité des membres de la communauté tamoule ou des

autres jeunes Tamouls de sexe masculin qui regagnaient leur pays.

La conjoncture restant instable, ils se trouvaient devant un

certain risque de détention ou de mauvais traitements, qui

s'était apparemment déjà réalisé pour certains d'entre eux par

le passé (paragraphes 10, 22 et 33 ci-dessus).  Toutefois, en de

telles circonstances une simple possibilité de mauvais

traitements n'entraîne pas en soi une infraction à l'article 3

(art. 3).

 

112. Les requérants affirment que le second, le troisième et le

quatrième d'entre eux en subirent effectivement après leur retour

(paragraphes 28-29, 43 et 56 ci-dessus).  Quoi qu'il en soit,

leurs cas ne présentaient aucun élément distinctif qui aurait pu

ou dû permettre au ministre de prévoir qu'il en irait ainsi.

 

113. Le renvoi des quatrième et cinquième requérants sans carte

d'identité prête à critique, car il était de nature à compliquer

leurs déplacements en raison de l'existence de nombreux points

de contrôle installés par l'armée.  On ne saurait toutefois

considérer que ce seul fait les ait exposés à un véritable risque

de traitements dépassant le seuil fixé par l'article 3 (art. 3).

 

114. La Cour attache aussi du poids aux connaissances et à

l'expérience accumulées par les autorités britanniques en

étudiant le dossier de nombreux demandeurs d'asile sri-lankais,

dont beaucoup obtinrent un permis de séjour, et à la circonstance

que le ministre de l'Intérieur avait examiné avec soin le cas

personnel de chacun des requérants à la lumière d'une

documentation importante sur la situation régnant à Sri Lanka et

sur le sort de la communauté tamoule dans l'île (arrêt Cruz Varas

précité, série A n° 201, p. 31, par. 81, et paragraphes 5, 17,

34, 46, 57, 77-79 et 97 ci-dessus).

 

115. Ces considérations l'amènent à conclure à l'absence de

motifs sérieux et avérés de croire que le renvoi des requérants

à Sri Lanka en février 1988 allait les exposer à un risque réel

de subir des traitements inhumains ou dégradants, au sens de

l'article 3 (art. 3).

 

116. Partant, il n'y a pas eu violation de ce texte.

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 (art. 13)

 

117. Les requérants se plaignent en outre de n'avoir bénéficié

au Royaume-Uni, pour leur grief tiré de l'article 3 (art. 3),

d'aucun recours effectif au sens de l'article 13 (art. 13),

d'après lequel

 

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la

(...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours

effectif devant une instance nationale, alors même que la

violation aurait été commise par des personnes agissant dans

l'exercice de leurs fonctions officielles".

 

118. Les tribunaux saisis d'une action en contrôle judiciaire ne

s'occuperaient pas du bien-fondé du refus d'asile opposé par le

ministre, mais seulement de la manière dont ce dernier a pris sa

décision.  En particulier, ils ne rechercheraient pas s'il a

correctement apprécié les risques que courraient les intéressés.

En outre, ils auraient toujours affirmé ne pas vouloir substituer

leur avis sur le bien-fondé de la demande à celui du ministre

quand ils contrôlent l'exercice de son pouvoir discrétionnaire

en la matière.

 

Selon les requérants, le contrôle judiciaire peut constituer un

recours effectif lorsque, comme dans l'affaire Soering (arrêt

précité du 7 juillet 1989, série A n° 161), les faits ne prêtent

pas à contestation et qu'il s'agit de savoir si la décision était

telle que nul ministre raisonnable ne pouvait y parvenir.  Il

n'en irait pourtant pas ainsi en l'espèce, car leur litige avec

le ministre portait précisément sur les risques auxquels ils se

trouveraient exposés si on les renvoyait à Sri Lanka.

 

119. La Commission partage leur opinion; à ses yeux, en matière

d'asile les tribunaux doivent vérifier de près le caractère

raisonnable de la crainte de persécutions exprimée par les

demandeurs.

 

120. D'après le Gouvernement, la procédure de contrôle judiciaire

fournit un recours effectif pour les griefs tirés de l'article 3

(art. 3).   La Cour l'aurait constaté dans l'affaire Soering

(loc. cit., pp. 46-48, paras. 116-124) et il n'existerait à cet

égard aucune différence essentielle entre celle-ci et la présente

cause.  Dans la première, les problèmes de preuve n'étaient pas

moins complexes que dans la seconde et les parties ne

s'accordaient pas non plus sur le risque, pour le requérant, de

subir des traitements inhumains et dégradants.  Elles soulevaient

toutes deux la même question: y avait-il un risque réel et

sérieux que les intéressés fussent exposés à des traitements

inhumains et dégradants ?  Rien n'empêchait les requérants, sur

la base de leurs objections actuelles contre les décisions du

ministre, d'attaquer ces dernières en les taxant de

déraisonnables au sens des "principes Wednesbury", mais ils ne

l'ont pas fait.  Or le contrôle judiciaire fondé sur ce critère

impliquerait un examen du bien-fondé de pareille décision, ainsi

qu'il ressortirait des arrêts Bugdaycay, Jeyakumaran et Yemoh

(paragraphe 91 ci-dessus); en l'occurrence, il représentait un

moyen suffisant d'en obtenir un.

 

121. Le caractère défendable du grief des requérants au titre de

l'article 3 (art. 3) n'a pas prêté à discussion devant la Cour

(voir notamment l'arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988, série A

n° 131, p. 23, par. 52).

 

122. L'article 13 (art. 13) garantit l'existence en droit interne

d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés

de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés

(ibidem).  Il a donc pour conséquence d'exiger un recours interne

habilitant l'"instance" nationale compétente à connaître du

contenu du grief fondé sur la Convention et, de plus, à offrir

le redressement approprié (voir notamment l'arrêt Soering

précité, série A n° 161, p. 47, par. 120).  Il ne va pas

cependant jusqu'à exiger une forme particulière de recours, les

Etats contractants jouissant d'une marge d'appréciation pour

honorer les obligations qu'il leur impose.  En outre,

l'"effectivité" qu'il exige du recours ne dépend pas de la

certitude d'un résultat favorable (arrêt Syndicat suédois des

conducteurs de locomotives du 6 février 1976, série A n° 20,

p. 18, par. 50).

 

123. Dans son arrêt Soering du 7 juillet 1989 (loc. cit., pp. 47-48,

paras. 121 et 124), la Cour a vu dans le contrôle judiciaire

un recours effectif pour le grief de l'intéressé.  Elle s'est

dite convaincue que les juridictions anglaises pouvaient

apprécier le "caractère raisonnable" d'une décision d'extradition

à la lumière d'éléments du genre de ceux que le requérant

invoquait à Strasbourg dans le contexte de l'article 3 (art. 3).

Elle a notamment relevé qu'au titre du contrôle judiciaire, le

tribunal pouvait juger illicite l'exercice du pouvoir

discrétionnaire de l'exécutif parce qu'entaché d'illégalité,

d'irrationalité ou d'irrégularité procédurale, et que le critère

de l'"irrationalité", selon les "principes Wednesbury", serait

qu'un ministre raisonnable n'eût jamais pris un arrêté

d'extradition dans les circonstances de l'espèce.  En outre,

selon le gouvernement britannique un tribunal aurait compétence

pour annuler la décision de livrer un fugitif à un Etat où il

courrait un risque sérieux et avéré de traitements inhumains ou

dégradants, au motif que nul ministre raisonnable ne l'eût

adoptée dans les circonstances de la cause.

 

124. La Cour n'aperçoit entre la présente espèce et l'affaire

Soering aucune différence essentielle qui doive l'amener à une

autre conclusion à cet égard.

 

125. Nul ne conteste que les juridictions anglaises ont, en

matière d'asile, compétence pour contrôler un refus du ministre

sur la base des mêmes principes que ceux déjà étudiés dans

l'affaire Soering et pour annuler une décision dans des

circonstances analogues, ni qu'elles en ont usé en plusieurs

occasions (paragraphes 89-91 ci-dessus).  Elles ont en effet

souligné leur responsabilité particulière en ce domaine:

soumettre les décisions administratives à l'examen le plus

minutieux quand la vie ou la liberté d'un requérant risque de se

trouver en danger (paragraphe 91 ci-dessus).  De surcroît, en

pratique aucun demandeur d'asile n'est refoulé du Royaume-Uni

avant la fin de la procédure une fois qu'il a obtenu

l'autorisation de solliciter un contrôle judiciaire

(paragraphe 92 ci-dessus).

 

126.  A la vérité, les pouvoirs correspondant à la procédure de

contrôle judiciaire ne sont pas sans limites (paragraphes 89-92

ci-dessus).  La Cour estime pourtant qu'exercés par les plus

hautes juridictions du pays, ils offrent un degré effectif de

contrôle sur les décisions administratives relatives aux demandes

d'asile et suffisent à remplir les exigences de l'article 13 (art. 13).

 

127. Les requérants disposaient donc d'un recours effectif pour

leur grief fondé sur l'article 3 (art. 3).  Partant, il n'y a pas

eu méconnaissance de l'article 13 (art. 13).

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR

 

1.   Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation

de l'article 3 (art. 3);

 

2.   Dit, par sept voix contre deux, qu'il n'y a pas eu

infraction à l'article 13 (art. 13).

 

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience

publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le

30 octobre 1991.

 

Signé: John CREMONA

        Président

 

Signé: Marc-André EISSEN

        Greffier

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2

(art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé

des opinions séparées suivantes:

 

- opinion partiellement dissidente de M. Walsh, approuvée par M. Russo;

 

- opinion dissidente de M. Russo.

 

Paraphé: J. C.

 

Paraphé: M.-A. E.

 

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE WALSH,A LAQUELLE

SE RALLIE M. LE JUGE RUSSO

 

(Traduction)

 

1.    J'estime fondé le grief des requérants selon lequel il y

a eu violation de l'article 13 (art. 13) de la Convention.  La

comparaison de la présente cause avec l'affaire Soering ne tient

pas.  Dans cette dernière, il n'y avait aucune contestation

relative aux faits, tandis qu'en l'espèce ils sont controversés.

Le contrôle judiciaire n'existe pas pour la solution de tels

litiges.  La question de l'objet et de la portée de cette

procédure devant les tribunaux anglais relève exclusivement du

droit anglais.  Il me paraît que les principes régissant

l'exercice de cette voie de recours sont clairement exposés dans

les décisions suivantes de juridictions anglaises:

 

The Chief Constable of North Wales Police v. Evans, W.L.R. 1982,

vol. 1, p. 1155, per Lord Brightman, pp. 1173-1174:

 

"Le contrôle judiciaire porte non sur la décision mais sur la

procédure qui y a abouti.  Si le tribunal méconnaît cette

limitation de son pouvoir, il se rend selon moi coupable, sous

couvert d'éviter un abus de pouvoir, d'une usurpation de pouvoir

(...).  Ainsi que le terme l'indique, le contrôle judiciaire

n'est pas un appel d'une décision mais un contrôle de la manière

dont cette décision a été prise."

 

Dans la même affaire, le Lord Chancelier, Lord Hailsham, déclara

(p. 1160):

 

"Mais il importe de se souvenir dans chaque espèce que le but de

cette voie de recours [le contrôle judiciaire] est de s'assurer

que l'individu reçoit un traitement équitable de la part de

l'autorité à laquelle il a été assujetti, et qu'il n'entre

nullement dans ce but de substituer l'avis du pouvoir judiciaire

ou de juges individuels à celui de l'autorité constituée par la

loi pour statuer sur la problématique en question."

 

L'une des hypothèses dans lesquelles le processus décisionnel

peut être soumis à un contrôle judiciaire est l'exercice d'un

pouvoir d'une manière tellement déraisonnable qu'il devient

susceptible de contrôle en vertu des "principes Wednesbury",

consacrés par le droit anglais et auxquels la Chambre des Lords

et la cour d'appel ont fréquemment fait référence et donné leur

approbation.  L'affaire dont ils dérivent leur appellation est

l'affaire Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury

Corporation (KB 1948, vol. 1, p. 223, per Lord Greene M.R.,

pp. 230, 233):

 

"On a raison de dire que, si une décision prise par une autorité

compétente est déraisonnable au point qu'aucune autorité

raisonnable ne l'aurait jamais prise, alors les tribunaux peuvent

intervenir."

 

Dans l'affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for

the Civil Service (A.E.R. 1984, vol. 3, p. 935), Lord Diplock

déclara que le critère Wednesbury

 

"s'applique à une décision si extravagante dans le défi à la

logique ou aux normes morales admises qu'elle représente,

qu'aucune personne sensée qui se serait penchée sur la question

ne l'aurait tranchée de cette manière." (p. 921)

 

Bref, la décision doit être indéfendable car manifestement et

sans ambiguïté contraire à la raison et au bon sens les plus

élémentaires. On a dit dans l'affaire Wednesbury que, pour

apporter la preuve d'un tel état de choses, il fallait "quelque

chose d'irrésistible".

 

En l'espèce, l'argument du gouvernement britannique selon lequel

le contrôle judiciaire "vérifie" la décision des autorités en

matière d'immigration doit être analysé à la lumière du fait

qu'en droit anglais, le contrôle judiciaire ne porte que sur la

procédure et non sur le bien-fondé de la décision incriminée.

 

L'examen du bien-fondé des demandes des requérants a finalement

débouché en l'espèce sur une décision de l'Attorney General en

leur faveur.  Il n'était pas possible de procéder au stade du

contrôle judiciaire à un examen au fond aux fins de statuer sur

le fond.  Pareil examen n'aurait pu intervenir qu'aux fins

d'instruire tout argument selon lequel la décision en matière

d'immigration cadrait avec les critères de déraison ou

d'extravagance mentionnés dans les affaires anglaises citées plus

haut.  Cela "exigerait quelque chose d'irrésistible".  Or nul n'a

plaidé en l'espèce l'existence de semblable preuve irrésistible

du caractère déraisonnable ou extravagant de la décision

attaquée.

 

2.      L'autorité nationale visée à l'article 13 (art. 13) de

la Convention est une autorité capable d'offrir un recours

effectif pour une violation des droits et libertés consacrés par

la Convention.  Or le contrôle judiciaire ne peut offrir de

réparation pour le seul motif que les faits d'une affaire donnée

révèlent une infraction à la Convention.  Dans certaines espèces

où semblable violation a réellement eu lieu, le contrôle

judiciaire peut certes déboucher sur l'annulation de la décision

incriminée au motif que la preuve d'un vice de procédure

important au regard du droit anglais a été apportée, mais ce

dernier motif est le seul que l'on puisse concevoir.  Dans un tel

cas, l'existence d'une violation de la Convention constituerait

simplement une coïncidence.  Les tribunaux anglais ne contrôlent

pas une décision au simple motif que l'autorité qui l'a rendue

a omis de rechercher s'il y avait ou non violation de la

Convention (paragraphe 35 de l'arrêt Soering du 7 juillet 1989,

série A n° 161, pp. 18-19).  L'avis de la Cour sur

l'"effectivité" du contrôle judiciaire, exprimé au paragraphe 121

dudit arrêt, ne peut se comprendre qu'à la lumière des

circonstances de l'affaire concernée, car il n'y avait de

contestation sur aucune question de fait essentielle, et si un

contrôle judiciaire était intervenu il n'aurait porté sur aucune

question de fait litigieuse ni aucun argument de fond.  En

théorie, les tribunaux anglais auraient pu, mais ils ne furent

jamais appelés à se prononcer sur la question, considérer, en se

fondant sur le droit anglais, "le syndrome du couloir de la mort"

comme une épreuve tellement barbare que n'importe quel ministre

qui eût permis une telle extradition aurait rendu une décision

(pour reprendre les termes de Lord Diplock) "si extravagante dans

le défi (...) aux normes morales admises qu'elle représente" que,

d'un point de vue juridique, elle aurait dû être annulée au motif

qu'aucune autorité raisonnable n'aurait pu y aboutir. Si une

chose semblable s'était produite devant les tribunaux anglais,

l'affaire en serait restée là, il n'y aurait pas eu violation de

l'article 3 (art. 3), et la question ne serait pas venue devant

les organes de la Convention.  Si une demande de contrôle

judiciaire avait échoué, la question aurait finalement été

tranchée par la Cour comme ce fut le cas, et le contrôle

judiciaire aurait été réputé ne pas satisfaire aux critères de

l'article 13 (art. 13).

 

3.      Il me paraît qu'un système national fournissant

prétendument un recours effectif pour une violation de la

Convention et excluant le pouvoir de rendre une décision sur le

fond ne saurait répondre aux exigences de l'article 13 (art. 13).

 

4.   Je souscris au constat de la Cour selon lequel il n'y a pas

eu violation de l'article 3 (art. 3).

 

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CARLO RUSSO

 

Je partage l'opinion de la minorité de la Commission et je suis

d'avis qu'il y a une violation de l'article 3 (art. 3) de la

Convention dans les présentes affaires pour les motifs suivants:

 

L'article 3 (art. 3) fait partie du "noyau dur" de la Convention

et ne supporte pas de dérogation, même dans les hypothèses

couvertes par l'article 15 (art. 15); il faut donc veiller avec

soin à ne pas restreindre l'importance d'un droit aussi

fondamental pour la protection des droits de l'homme.

 

Je n'ignore pas que la question des réfugiés concerne presque

tous les pays d'Europe et même du monde: mon pays - l'Italie -

a connu très récemment une situation difficile avec plus

de 20 000 Albanais qui ont demandé l'asile politique.  Il s'agit

d'établir un équilibre entre l'intérêt général du pays d'accueil

et l'intérêt individuel des demandeurs d'asile.

 

On ne peut pas dire que les autorités nationales doivent accepter

un groupe pour la seule raison qu'il appartient à une minorité:

on créerait des problèmes d'une dimension dépassant les

possibilités réelles des Etats.  En l'occurrence, on ne peut donc

pas affirmer que tous les Tamouls ont le droit d'être accueillis,

même s'ils font partie d'une minorité vraiment persécutée.  En

l'espèce toutefois, ainsi que la minorité de la Commission l'a

bien souligné dans son opinion séparée, "même si l'on se base sur

l'analyse que le Gouvernement fait de la situation à Sri Lanka

en février 1988, les requérants risquaient réellement de subir

des mauvais traitements graves à leur retour dans ce pays".

Cette conclusion est confirmée par les opinions d'associations

ou organisations particulièrement qualifiées, comme le Conseil

britannique pour les réfugiés, le Haut Commissariat des Nations

Unies pour les réfugiés ou Amnesty International.  L'Adjudicator

a reconnu valable la thèse des requérants et le Gouvernement en

a correctement tiré les conséquences en payant aux intéressés

leur voyage de retour.  Les requérants couraient par conséquent

un risque réel de subir des persécutions et de voir menacée leur

intégrité physique.

 

Il y a donc pour moi, sans aucun doute, violation de l'article 3

(art. 3) de la Convention.

 

J'ai voté aussi pour la violation de l'article 13 (art. 13) pour

les raisons indiquées par le juge Walsh dans son opinion

dissidente.

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