DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 41059/98

présentée par M. B.

contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en chambre le 2 mars 1999 en présence de

Sir Nicolas Bratza, président,

M. J.-P. Costa,

M. L. Loucaides,

M. P. Kūris,

M. W. Fuhrmann,

M. K. Jungwiert,

Mme H. S. Greve, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 6 juin 1997 par M. B. contre la France et enregistrée le 30 avril 1998 sous le n° de dossier 41059/98 ;

Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant marocain né en 1965. Il est incarcéré à la prison de Fresnes.

Les faits, tels que présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit :

Le requérant est entré en France en 1982, à l'âge de 17 ans. Il est marié avec une ressortissante marocaine et de cette union sont nés deux enfants, respectivement les 31 juillet 1993 et 27 août 1994.

Par arrêt du 11 avril 1996, la cour d'assises du département du Gard condamna le requérant à la peine de 18 ans de réclusion criminelle et à l'interdiction définitive du territoire français pour importation de stupéfiants en bande organisée, transport, détention, cession, acquisition et importation de stupéfiants (héroïne, cocaïne et haschich). Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 1997.

Par requête en date du 19 juin 1998, le requérant sollicita le relèvement de la mesure d'interdiction définitive du territoire français prononcée à son encontre au motif qu'il résidait en France depuis 17 ans et que ses deux enfants résidaient sur le territoire français. Par arrêt du 10 novembre 1998, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes rejeta la demande aux motifs suivants :

«(...) Attendu qu'en important puis cédant d'importantes quantités de produits stupéfiants, B., de nationalité étrangère, a causé une atteinte tant à l'ordre public qu'à la santé publique,

Que d'ailleurs le quantum de la peine principale prononcée, est révélateur de la gravité des faits retenus à sa charge,

Que, dès lors, et quel que soit le mérite des arguments familiaux invoqués, il ne sera pas fait droit à sa requête ; (...). »

GRIEF

Le requérant se plaint que la mise en œuvre de l'interdiction définitive du territoire français le séparera de ses enfants et de son épouse, ce qui l'empêchera d'avoir une vie familiale. Il invoque en substance l'article 8 de la Convention.

EN DROIT

Le requérant fait valoir qu'il vit en France depuis l'âge de 17 ans et que dans ce pays vivent sa femme et ses deux enfants. Il se plaint que la mesure d'interdiction définitive du territoire français prononcée à son encontre porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

La Cour rappelle en premier lieu que, selon sa jurisprudence constante, les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (cf., par exemple arrêts Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991, série A n° 193, p. 19, § 43 ; Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A, p. 27, § 74 ; Boughanemi c. France du 24 avril 1996,  Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 609, § 41 ; Mehemi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1971, § 34 ; El Boujaïdi c. France du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1992, § 39).

Toutefois, leurs décisions en la matière peuvent porter atteinte dans certains cas au droit protégé par l'article 8 § 1 de la Convention.

La Cour note que le requérant est entré en France à l'âge de 17 ans et que dans ce pays résident sa femme et ses deux enfants. La Cour considère que, compte tenu des liens familiaux et personnels du requérant en France, la mesure d'interdiction du territoire français constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale (arrêt El Boujaïdi c. France précité, § 33).

La Cour constate que la mesure d'interdiction du territoire prononcée à l'encontre du requérant est, en l'espèce, une mesure prévue par la loi et vise la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales ainsi que la protection de la santé d'autrui qui constituent des buts légitimes, au sens du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention.

En ce qui concerne la nécessité de l'ingérence en vue de protéger les intérêts légitimes prévus au paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, la Cour constate que le requérant est entré en France alors qu'il était presque adulte. Par ailleurs, il est marié à une femme de nationalité marocaine. Dès lors, on peut présumer qu'il connaît bien son pays d'origine et en maîtrise la langue.

Un élément essentiel pour l'évaluation de la proportionnalité de la mesure d'interdiction du territoire français est la gravité des infractions commises par le requérant, démontrée par la peine de 18 ans de réclusion criminelle à laquelle il a été condamné par la cour d'assises du département du Gard pour un vaste trafic de stupéfiants.

Compte tenu des considérations qui précèdent, et en particulier, d'une part, de la nature et la gravité des infractions commises par le requérant et, d'autre part, du fait que l'on ne saurait considérer que le requérant est dépourvu de toute attache avec son pays d'origine, la Cour estime que l'ingérence dans sa vie privée et familiale que pourrait constituer la mesure d'interdiction du territoire français peut raisonnablement être considérée comme nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 § 2 de la Convention (cf., arrêts Boughanemi c. France précité, Recueil, p. 610, § 44 et 45 ;  C. c. Belgique du 7 août 1996, Recueil 1996-III, p. 928, §§ 35 et 36, et El Boujaïdi c. France précité, Recueil, §§ 41-42).

Il s'ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

S. Dollé, Greffière

N. Bratza, Président

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