TROISIÈME SECTION

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 39518/98

présentée par Ahcène BENRACHID

contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en chambre le 8 décembre 1998 en présence de

M. N. Bratza, président,

M. J.-P. Costa,

Mme F. Tulkens,

M. W. Fuhrmann,

M. K. Jungwiert,

M. K. Traja,

M. L. Loucaides, juges,

et de M. E. Fribergh, greffier en exercice ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 21 janvier 1998 par Ahcène BENRACHID contre la France et enregistrée le 26 janvier 1998 sous le n° de dossier 39518/98 ;

Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant algérien, né en 1963 à Constantine (Algérie). Il réside à Constantine (Algérie). Devant la Cour, il est représenté par Maître Jean-Loup Cacheux, avocat au barreau de Lyon.

Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit :

Le requérant est entré en France en 1970, à l'âge de sept ans, avec sa famille. Il a toujours vécu en France jusqu'à son expulsion vers l'Algérie en 1993.

Par arrêt en date du 9 novembre 1989, la cour d'assises du département du Rhône reconnut coupable le requérant de vols avec arme, vol et séquestration illégale de personne comme otage et, pour ces faits, le condamna à la peine de sept ans de réclusion criminelle.

Comme suite à cette condamnation, le ministre de l'Intérieur prit le 19 mars 1993 un arrêté d'expulsion à son encontre sur la base de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

Le 16 août 1993, le requérant, invoquant notamment l'article 8 de la Convention, introduisit un recours auprès du tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre. Par jugement du 14 juin 1994, le tribunal administratif de Lyon rejeta le recours.

Contre ce jugement, le requérant interjeta appel devant le Conseil d'Etat. Par arrêt du 30 juillet 1997, le Conseil d'Etat confirma le jugement entrepris. Examinant l'allégation du requérant concernant la prétendue violation de l'article 8 de la Convention, la haute juridiction administrative se prononça ainsi :

« Considérant que si le requérant soutient que l'arrêté attaqué, a porté atteinte à sa vie privée et familiale, il ressort des pièces du dossier que M. Benrachid, âgé de trente ans à la date de l'arrêté attaqué, célibataire et sans charge de famille, n'était pas dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, où il avait d'ailleurs choisi d'accomplir son service militaire ; que dans ces conditions, et compte tenu de la gravité des actes commis par l'intéressé, la mesure litigieuse n'a pas excédé ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public et méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ».

GRIEF

Le requérant fait valoir qu'il est arrivé en France à l'âge de sept ans et que dans ce pays résident ses parents et tous ses frères et soeurs dont certains ont la nationalité française. Il souligne que c'était là sa première condamnation et que sa conduite est sans reproche depuis plusieurs années. Il considère que la mesure d'expulsion prise à son encontre constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention.

EN DROIT

Le requérant fait valoir qu'il a vécu en France depuis l'âge de sept ans et que dans ce pays vivent ses parents, frères et sœurs. Il se plaint que l'arrêté d'expulsion pris à son encontre porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.      Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.   Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

La Cour rappelle en premier lieu que, selon sa jurisprudence constante, les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (cf., par exemple, Cour eur. D.H., arrêts Moustaquim c. Belgique du  18  février  1991,  série  A n° 193, p. 19, § 43 ; Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-A, p. 27, § 74 et Boughanemi c. France du 24 avril 1996, p. 609, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996-II ; Mehemi c. France du 26 septembre 1997, § 34, Recueil 1997 ; El Boujaïdi c. France du 26 septembre 1997, § 39, Recueil 1997).

Toutefois, leurs décisions en la matière peuvent porter atteinte dans certains cas au droit protégé par l'article 8 § 1 de la Convention.

La Cour note que le requérant est entré en France à l'âge de sept ans et que dans ce pays résident ses parents ainsi que ses frères et sœurs.  La Cour considère que, compte tenu des liens familiaux et personnels du requérant en France, la mesure d'expulsion du territoire français constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale (Cour eur. D.H., arrêt El Boujaïdi c. France précité, § 33).

La Cour constate que la mesure d'expulsion prise à l'encontre du requérant est, en l'espèce, une mesure prévue par la loi et vise la  défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales qui constituent des buts légitimes, au sens du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention.

En ce qui concerne la nécessité de l'ingérence en vue de protéger les intérêts légitimes prévus au paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, la Cour constate que le requérant a choisi de réaliser son service militaire en Algérie. Dès lors, on peut présumer qu'il connaît bien son pays d'origine et en maîtrise la langue.

Un élément essentiel pour l'évaluation de la proportionnalité de la mesure d'expulsion est la gravité des infractions commises par le requérant, démontrée par la peine de sept années de réclusion criminelle à laquelle il a été condamné par la cour d'assises du département du Rhône pour plusieurs vols à main armée dont le dernier avec séquestration d'otage pour faciliter la commission du vol.

Compte tenu des considérations qui précèdent, et en particulier, d'une part, de la nature et la gravité des infractions commises par le requérant et, d'autre part, du fait que l'on ne saurait considérer que le requérant est dépourvu de toute attache avec son pays d'origine, la Cour estime que l'ingérence dans sa vie privée et familiale que pourrait constituer la mesure d'expulsion du territoire français peut raisonnablement être considérée comme nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 § 2 de la Convention (cf. Cour eur. D.H., arrêts Boughanemi c. France précité, p. 610, § 44 et 45 ;  C. c. Belgique du 7 août 1996, p. 928, § 35 et 36, Recueil 1996-III et El Boujaïdi c. France précité, § 41-42).

Il s'ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

E. Fribergh, Greffier en exercice

N. Bratza, Président

Disclaimer:

This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.