COMMISSION EUROPEENNE DE DROITS D'HOMME

SUR LA RECEVABILITE DE
La requête présentée par COPPOLA contre l'ITALIE

REF. NO:

ORIGIN: COMMISSION (Plénière)

TYPE: DECISION

PUBLICATION:

TITLE: COPPOLA contre l'ITALIE

APPLICATION NO.: 22159/93

NATIONALITE: Norvégienne

REPRESENTED BY: TØNDEL, E., avocat, Oslo RESPONDENT: Italie

DATE OF INTRODUCTION: 19930602

DATE OF DECISION: 19930831

APPLICABILITY:

CONCLUSION: Irrecevable

ARTICLES: 3 ; 5-1-c ; 6

RULES OF PROCEDURE:

LAW AT ISSUE:

STRASBOURG CASE-LAW:

Cour Eur. D.H. Arrêt Irlande c/Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 66, par. 167 ; Arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A n° 161, pp. 35, 45, pars. 91, 100, 113

SUR LA RECEVABILITE

de la requête No 22159/93 présentée par Enrique COPPOLA contre l'Italie La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 août 1993 en présence de

MM. C.A. NØRGAARD, Président

S. TRECHSEL

A. WEITZEL

F. ERMACORA

E. BUSUTTIL

A.S. GÖZÜBÜYÜK

J.-C. SOYER

H. DANELIUS

Mme G.H. THUNE

MM. F. MARTINEZ

C.L. ROZAKIS

Mme J. LIDDY

MM. L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.P. PELLONPÄÄ

G.B. REFFI

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

N. BRATZA

M.M. de SALVIA, Secrétaire adjoint de la Commission ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 2 juin 1993 par Enrique COPPOLA contre l'Italie et enregistrée le 5 juillet 1993 sous le No de dossier 22159/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant argentin né le 5 août 1943 à Buenos Aires. Il a acquis la nationalité norvégienne par naturalisation le 5 décembre 1984. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Maître Espen TØNDEL, avocat au barreau d'Oslo. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant fut arrêté le 15 avril 1992 à Messine, en exécution d'un mandat d'arrêt international des autorités argentines, le recherchant pour complicité d'enlèvement avec demande de rançon et association illégale. Le 13 juin 1992, le Gouvernement argentin présenta une demande d'extradition en bonne et due forme. Le requérant s'opposa à son extradition en faisant valoir qu'il était totalement étranger aux faits qui lui étaient reprochés et qu'il redoutait - compte tenu du système judiciaire argentin - que sa détention ne se prolonge indûment avant que ne soit reconnue son innocence. Le 28 octobre 1992, à l'issue de l'audience en chambre du conseil, tenue devant la cour d'appel de Messine (au cours de laquelle le requérant était assisté d'un défenseur et d'un représentant de l'Ambassadeur de Norvège en Italie), la cour de Messine émit un avis favorable à l'extradition du requérant. Elle releva que, compte tenu de la Convention d'extradition du 16 juin 1986, qui liait l'Italie à l'Argentine et au regard de laquelle l'existence d'un mandat d'arrêt des autorités de ce pays constituait une condition suffisante à l'extradition, elle ne pouvait donner un avis différent. La cour remarqua néanmoins qu'elle serait parvenue "à une conclusion différente si elle avait dû dire en toute liberté, si les actes fournis par les autorités argentines offraient la preuve de l'existence de graves indices de culpabilité à la charge du dénommé E.C. au regard de sa participation à l'enlèvement avec demande de rançon de X". Le requérant s'est pourvu en cassation à une date qui n'a pas été précisée. Par arrêt du 10 mai 1993, qui n'a pas été versé au dossier, la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi du requérant. Par décret du 7 août 1993, le ministre italien de la Justice a accordé l'extradition du requérant à l'Argentine. Le requérant n'a pas attaqué ce décret devant les tribunaux administratifs, un recours ne présentant, selon lui, aucune chance de succès.

GRIEFS

Dans sa requête introductive d'instance du 2 juin 1993, le requérant a exprimé des doutes quant à l'équité du procès devant se dérouler en Argentine. Il souligne à cet égard que les faits qui lui sont reprochés par les autorités argentines ne reposent sur aucun indice sérieux, il en veut pour preuve les constatations faites à cet égard par la cour d'appel de Messine lors de l'examen de la demande d'extradition. Il a également versé au dossier le compte-rendu d'une enquête ordonnée par la police de Asker et Berum (Asker og Berum politikammer) à la demande du parquet (påtalemyndigheten) d'où il ressort que le requérant se trouvait en Norvège pendant les périodes suspectes au regard des accusations dont il faisait l'objet. Or, bien que ces informations aient été portées à la connaissance des autorités argentines par les autorités norvégiennes, les accusations portées contre lui ont été maintenues par les premières qui auraient laissé entendre qu'elles n'en auraient tenu aucun compte. La presse argentine se serait fait largement l'écho des accusations le concernant. Le requérant explique cet état de choses par le fait que la victime de l'enlèvement dont il est accusé est un proche du Président Menem et qu'il faut à tout prix trouver un coupable. Dans ces circonstances, le requérant estime que son extradition violerait l'article 6 de la Convention. Le requérant a aussi affirmé qu'en l'extradant à l'Argentine le Gouvernement italien se rendrait responsable d'une violation des articles 3, 5 par. 1 et 6 de la Convention. Quant à la violation de l'article 3 de la Convention, elle découlerait pour le requérant "de ce que l'Italie ... extraderait une personne innocente" et de ce qu'elle l'exposerait "à l'emprisonnement et à un procès pénal en Argentine, ce qui, à la lumière des faits existants, relèverait d'un traitement inhumain". Dans un courrier du 16 août 1993, le requérant a fait valoir que, compte tenu de la durée prévisible de sa détention provisoire en Argentine mais surtout des conditions de celle-ci, son extradition constituerait un traitement contraire à l'article 3 de la Convention. A l'appui de ce grief, le requérant a fourni un rapport rédigé par les autorités de ce pays sur les conditions de vie dans les prisons argentines. Enfin, comme le Gouvernement de l'Argentine n'a pas fourni d'éléments permettant de soupçonner qu'il a commis une infraction, son arrestation et détention en Argentine seraient contraires à l'article 5 par. 1 c) de la Convention et en l'extradant à ce pays, l'Italie violerait cette disposition.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 2 juin 1993. Le jour même de l'introduction de la requête, le requérant a également demandé au Président de la Commission d'indiquer au Gouvernement de l'Italie, en application de l'article 36 du Règlement intérieur, qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas l'extrader à l'Argentine avant que la Commission n'ait eu la possibilité de procéder à un plus ample examen de la requête. Le 2 juin 1993, le Président de la Commission a décidé de ne pas donner suite à cette demande. Cette décision a été communiquée au conseil du requérant par lettre du 3 juin 1993. Par même courrier, le requérant a été invité à indiquer au Secrétariat s'il entendait maintenir sa requête. La requête, maintenue, a été enregistrée le 5 juillet 1993. Le 23 juillet 1993, la requête a été portée à la connaissance du Gouvernement de l'Italie, en application de l'article 46 du Règlement intérieur de la Commission. Le 16 août 1993, le requérant a réitéré sa demande au titre de l'article 36 du Règlement intérieur. Le même jour, le Président en exercice a décidé de ne pas donner suite à cette demande. Cette décision a été portée à la connaissance du conseil du requérant le 18 août 1993. Par télécopie du 24 août 1993, le requérant a demandé que sa requête soit examinée par priorité lors de la session de la Commission débutant le 30 août 1993 et, qu'à l'issue de cet examen, la Commission indique au Gouvernement de l'Italie, en application de l'article 36 du Règlement intérieur, qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas l'extrader à l'Argentine avant que la Commission n'ait eu la possibilité de procéder à un plus ample examen de la requête. Par télécopie du 28 août 1993, l'avocat du requérant a fourni des précisions sur l'épuisement des voies de recours et informé la Commission que le requérant serait extradé au plus tard le 2 septembre 1993.

EN DROIT

Le requérant se plaint que son extradition à l'Argentine constituerait une violation des droits ci-après garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme : - violation du droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants énoncé à l'article 3 (art. 3) de la Convention ; - violation du droit à un procès équitable tel que défini à l'article 6 (art. 6) de la Convention ; - violation du droit à la liberté et à la sûreté, figurant à l'article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention. 1.Quant à la violation alléguée de l'article 3 (art. 3) de la Convention Le requérant a d'abord soutenu que le seul fait de l'extrader à l'Argentine, alors qu'il apparaît d'ores et déjà qu'il est totalement étranger aux faits qui lui sont reprochés, et de l'exposer ainsi à une détention injuste d'une durée imprévisible, constitue un traitement inhumain et dégradant. Il a fait valoir ensuite que les conditions de vie dans les prisons argentines sont inhumaines et dégradantes et qu'en le livrant à l'Argentine où il sera assujetti à de telles conditions carcérales, l'Italie se rendrait coupable d'une violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention. D'emblée, la Commission rappelle que le domaine de l'extradition ne compte pas par lui-même au nombre des matières régies par la Convention. En conséquence, la mesure d'extradition n'est pas en ellemême contraire à la Convention. Toutefois, la Commission a toujours admis qu'une telle mesure pourrait, dans des circonstances exceptionnelles, poser un problème sous l'angle de l'article 3 (art. 3) de la Convention lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'un individu serait exposé, dans le pays vers lequel il est extradé, à des traitements prohibés par cette disposition. S'agissant d'apprécier si tel est le cas en l'espèce, la Commission rappelle cependant que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée que s'"il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le livre à l'Etat requérant, y courra un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants" (cf. Cour eur. D.H., arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 35, par. 91). Par ailleurs, "un mauvais traitement ... doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3 (art. 3). L'appréciation de ce minimum est relatif par essence ; elle dépend de l'ensemble des circonstances de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ... ainsi que de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux" (ibidem, par. 100). La Commission relève tout d'abord que le risque d'une détention provisoire prolongée, à le supposer établi, n'atteint pas un degré de gravité tel qu'il puisse à lui seul constituer un traitement inhumain et dégradant. Quant au traitement que le requérant craint de subir en prison, la Commission relève qu'il est lié aux conditions matérielles existant dans les prisons argentines en général, qui, elles-mêmes, découlent de facteurs divers, tels que la situation de développement économique du pays. En tout cas, ils ne découlent pas d'actes visant délibérément "à créer [en ses victimes] des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier, à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique" (cf. Cour eur. D.H., arrêt Irlande c/Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 66, par. 167). La Commission note par ailleurs que la situation des prisons argentines fait l'objet d'études de la part d'une commission désignée par le Gouvernement, qui est également chargée de faire des propositions de nature à améliorer les conditions de détention. Les faits énoncés par le requérant sont tirés des conclusions de cette commission (composée entre autres de représentants de diverses associations humanitaires, de l'association des avocats de Buenos Aires et de l'association des juristes américains). De l'avis de la Commission, les carences qui y sont dénoncées dans le traitement réservé aux détenus tant sur le plan matériel que moral (visites en prison, correspondance), pour déplorables qu'elles soient, n'atteignent pas un degré de gravité tel qu'elles puissent être qualifiées de traitements contraires à l'article 3 (art. 3) et exiger du Gouvernement italien qu'il déroge aux obligations qu'il a assumées en matière d'extradition. Il s'ensuit que le grief tiré de l'article 3 (art. 3) de la Convention est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 2.Quant à la violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention Le requérant craint en outre que son procès en Argentine ne se déroule pas de manière équitable, de sorte que sa remise à l'Argentine constituerait une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Pour étayer ses affirmations, le requérant souligne que bien que les éléments de preuve fournis par les autorités argentines se soient révélés dépourvus de fondement, ces dernières ont persisté dans les accusations portées contre lui. Il craint que, compte tenu de la personnalité de la victime de l'enlèvement, de fortes pressions ne soient exercées à son encontre lors des interrogatoires par la police, pressions pouvant être qualifiées de "traitement inhumain et dégradant". Enfin, il craint que son procès ne se prolonge au-delà du délai raisonnable lui causant un dommage, selon lui, injuste puisqu'il apparaîtrait d'ores et déjà qu'il est totalement étranger aux faits. Quant à la question de savoir si l'extradition du requérant pourrait donner lieu à une violation de l'article 6 (art. 6), la Commission se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Soering précitée. A cette occasion, la Cour a admis que "Tel que le consacre l'article 6 (art. 6), le droit à un procès pénal équitable occupe une place éminente dans une société démocratique ... La Cour n'exclut pas qu'une décision d'extradition puisse exceptionnellement soulever un problème sur le terrain de ce texte au cas où le fugitif aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant ..." (Cour eur. D.H., arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 45, par. 113). Dès lors, la Commission doit examiner si, dans les circonstances de l'espèce, il y aurait lieu de conclure à la violation de l'article 6 (art. 6) au cas où le requérant serait remis aux autorités argentines. La Commission relève à cet égard que le maintien par les autorités argentines des accusations portées contre le requérant et de la demande d'extradition y relative n'est pas déraisonnable eu égard au fait que des investigations sont toujours en cours dans ce pays et que ce n'est qu'à l'issue de celles-ci et après avoir entendu le requérant que ce dernier pourra éventuellement être mis hors de cause. Par ailleurs, les allégations du requérant concernant les traitements qu'il craint de subir lors des interrogatoires se fondent sur de simples conjectures et ne sont pas étayées. Quant à la durée de la procédure, elle ne saurait en soi motiver le refus de l'extradition. Dans ces circonstances, la Commission estime que les raisons fournies par le requérant à l'appui de ses allégations de violation de l'article 6 (art. 6) ne sauraient être qualifiées de circonstances exceptionnelles pouvant soulever un problème sur le terrain de cette disposition de la Convention. Partant, son grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 3.Quant à la violation alléguée de l'article 5 (art. 5) de la Convention Enfin, le requérant allègue que sa détention en Argentine serait contraire à l'article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention, puisqu'il n'existe pas en l'état "de raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction". Il soutient également qu'en l'extradant à l'Argentine, où il risque d'être détenu dans des conditions contraires à l'article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c), l'Italie se rendrait coupable d'une violation de cette disposition de la Convention. La Commission n'estime cependant pas devoir examiner le bienfondé de cette allégation. En effet, à supposer même qu'elle ne soit pas dépourvue de tout fondement, elle ne serait pas de nature à faire apparaître l'extradition comme portant atteinte à cette disposition de la Convention. Il s'ensuit que la requête doit être déclarée irrecevable comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (M. de SALVIA) (C.A. NØRGAARD)
Disclaimer:

This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.